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Auroville, le rêve inachevé d’une cité universelle

SÉRIE D'ÉTÉ. Fondée pour servir la « conscience divine » avec la bénédiction de l’Unesco, la communauté d’Auroville, au sud-est de l’Inde, a été imaginée dans les années 1960 par une Française devenue gourou. Elle abrite aujourd’hui 2.500 personnes sur les 50.000 prévues au départ.

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Symbole d’Auroville, le Matrimandir (« temple de La Mère ») a été achevé en 2008 après 37 ans de travaux.

Par Benoît Georges

Publié le 6 août 2015 à 17:30

C’est la directrice de l’ashram de Pondichéry, la Française Mirra Alfassa (1878-1973), surnommée « La Màre », qui est à l’origine d’Auroville.

Une maison d’Auroville. Le plan d’urbanisme, non réalisé à ce jour, et la plupart des bâtiments d’Auroville ont été confiés à un architecte français, Roger Anger.

Sur la vidéo datant de 1973, des ouvriers de tous pays s’activent, à mains nues, sur fond de musique traditionnelle indienne. Des jeunes Européens, au sourire lumineux, parlent de « voyage », « d’aventure » ou de « changement de conscience ». L’auteur du reportage, un certain Jean-Pierre Elkabbach, s’émerveille de cette « ville internationale », vaste zone en friche où, sur la terre rouge du sud-est de l’Inde, de rares et modestes bâtiments préfigurent « une architecture nouvelle, réalisée sans moyen par des hommes qui n’ont pas seulement pour but de construire une cité différente, mais d’instaurer des rapports différents entre les êtres ».

A l’époque où est tourné le documentaire, Auroville existe depuis déjà cinq ans. Cette « ville de l’Aurore », située à 8 kilomètres de Pondichéry, dans l’Etat du Tamil Nadu, a été inaugurée le 28 février 1968, sous l’égide de l’Unesco et en présence du président de la République indienne et de représentants de 124 pays. Mais l’origine d’Auroville est bien plus spirituelle qu’institutionnelle : elle a été imaginée par une femme d’origine française, Mirra Alfassa, plus connue sous le surnom de « La Mère ». Compagne du penseur et poète indien Sri Aurobindo (1872-1950), inventeur du yoga intégral, c’est elle qui eut la « vision » d’un lieu « qu’aucune nation ne pourrait revendiquer, où tous les êtres humains de bonne volonté, sincères dans leurs aspirations, pourraient vivre librement comme citoyens du monde, en obéissant à une seule autorité, celle de la vérité suprême ».

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Directrice de l’ashram de Pondichéry fondé par Sri Aurobindo, Mirra Alfassa choisit un bout de terre désertique de 20 kilomètres carrés pour donner corps à son rêve de cité idéale. La « charte d’Auroville », qu’elle rédige, stipule que la ville appartient à l’humanité tout entière, et que chacun peut y habiter librement, à condition de vouloir servir « la conscience divine ». En pleine mode des communautés et d’éveil à la spiritualité indienne, cette idée d’une ville universelle, où l’argent n’aurait pas cours, attire des centaines de fidèles et de routards européens, qui commencent à défricher, planter et cultiver une « ville du futur » prévue pour héberger 50.000 habitants.

Un nouvel urbanisme

Car, au-delà de son aspect mystique et universel, Auroville doit être un nouveau modèle d’urbanisme, organisé autour de quatre zones (industrielle, culturelle, résidentielle et internationale) avec, au centre, une immense sphère dorée, le Matrimandir (« temple de La Mère »). Les plans sont confiés à un architecte français, Roger Anger, qui conçoit à partir de 1965 un plan appelé « Galaxie », où les quatre zones, constituées d’immenses bâtiments semblant sortir d’un film de science-fiction, s’enroulent autour du temple et de ses jardins en formant un cercle parfait.

Un demi-siècle plus tard, la réalité est bien loin des rêves de « La Mère », décédée en 1973. Si des bâtiments administratifs et des habitations sont sortis de terre, ils sont pour la plupart de taille modeste. Pour les voyageurs de passage à Auroville, la plupart des constructions sont presque invisibles, cachées par une végétation dense – en cinquante ans, plusieurs millions d’arbres ont été plantés par les Aurovilliens.

Le plus souvent, les visiteurs se contentent d’aller admirer le Matrimandir. Haut de 29 mètres, ce dôme recouvert de 1.415 disques dorés n’a été terminé qu’en 2008, après trente-sept ans de travaux. Il abrite une salle de méditation futuriste, en marbre blanc, éclairée par un énorme globe de cristal fabriqué par l’entreprise allemande Zeiss. Tout le monde peut s’y recueillir, à condition de visionner au préalable un film glorifiant le projet et sa génitrice, et de s’inscrire auprès du Centre des visiteurs, ce qui implique généralement une deuxième visite.

Quant aux Aurovilliens, ils sont aujourd’hui 2.400 (dont 600 enfants), soit à peine deux fois plus qu’à l’époque du reportage d’Elkabbach. L’évolution très lente de la population s’explique par le manque d’infrastructures et de logements, mais aussi par les débuts perturbés de l’expérience : après le décès de La Mère, l’ashram de Pondichéry a en effet voulu prendre le contrôle juridique de la ville, contre la volonté de ses habitants. Le litige ne fut réglé qu’en 1988 par la justice indienne, qui a débouté l’ashram et accordé Auroville un statut à part.

L’aspect international du projet reste cependant bien réel : selon les statistiques fournies par les autorités locales, 47 nationalités différentes sont représentées – dont un millier d’Indiens et près de 350 Français. L’éducation, la santé, la culture et les activités sportives sont gratuites, mais chaque Aurovillien est censé subvenir à ses propres besoins : les nouveaux venus doivent disposer de l’argent nécessaire pour vivre au moins un an sur place. La propriété reste en théorie interdite, mais il est possible de bénéficier d’un logement en faisant un don à la fondation Auroville. Et si la roupie indienne n’a pas cours à l’intérieur du village, le rêve d’un monde sans argent ne s’est pas encore accompli : les visiteurs restant plusieurs jours sont invités à utiliser une carte de paiement appelée... Aurocard.

Benoît Georges

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