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Pour la juge d’instruction, l’affaire de Tarnac n’est pas un dossier terroriste

La magistrate renvoie huit personnes devant le tribunal, mais n’a pas retenu la circonstance aggravante d’« entreprise terroriste ».

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Publié le 08 août 2015 à 19h27, modifié le 11 août 2015 à 09h48

Temps de Lecture 3 min.

Huit personnes mises en cause dans l’affaire Tarnac sont renvoyées en correctionnelle, mais sans la circonstance aggravante d’« entreprise terroriste ».

Il aura fallu sept ans. Sept ans d’une enquête erratique et politisée à l’excès pour aboutir à l’un des plus retentissants déraillements de la justice antiterroriste. Vendredi 7 août, la juge d’instruction chargée de l’enquête sur les sabotages de plusieurs lignes de TGV en 2008 a estimé, contre l’avis du parquet, que l’affaire dite de Tarnac — du nom du village corrézien où gravitait une petite communauté issue de la mouvance anarcho-autonome — n’était pas un dossier terroriste.

La magistrate, Jeanne Duyé, a décidé de renvoyer quatre membres du groupe, dont son principal animateur Julien Coupat, devant un tribunal correctionnel pour « association de malfaiteurs », rejetant la circonstance aggravante d’« entreprise terroriste » réclamée par le parquet. Quatre autres personnes sont renvoyées pour avoir refusé de donner leur ADN et, pour deux d’entre elles, pour « falsification de documents administratifs ».

Pour le ministère public, cette ordonnance de renvoi est un désaveu cinglant. Dans son réquisitoire du 6 mai, le parquet avait demandé que la circonstance aggravante d’« entreprise terroriste » soit retenue à l’encontre des trois principaux mis en examen : Julien Coupat, sa compagne Yildune Lévy et son ex-petite amie Gabrielle Hallez.

La juge d’instruction balaye sans doute définitivement le spectre du terrorisme qui planait depuis le début de l’enquête sur ces sabotages. « Après près de sept années d’instruction à charge, nous avons enfin une décision de justice courageuse. C’est un désaveu total pour le parquet », ont réagi Mes Marie Dosé et William Bourdon, avocats des prévenus.

Le « couac de Tarnac »

Cette affaire avait, dès sa genèse, suscité une vive polémique, le gouvernement et la ministre de l’intérieur de l’époque, Michèle Alliot-Marie, étant soupçonnés d’instrumentaliser son caractère terroriste. Cette politisation du dossier intervenait alors que Nicolas Sarkozy s’apprêtait à créer la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), née le 1er juillet 2008 de la fusion des Renseignements généraux avec la Direction de la surveillance du territoire. Une concomitance qui avait alimenté le soupçon d’un dossier terroriste « gonflé » sur mesure pour la nouvelle plate-forme des services de renseignement.

Le 30 mai 2009, François Hollande, alors président du conseil général de Corrèze, où se situe Tarnac, avait à son tour pris position dans une tribune publiée sur Slate : « Il apparaît de plus en plus clairement que la qualification de terrorisme a été utilisée bien imprudemment », écrivait-il, évoquant tour à tour un « ratage policier » et une « palinodie judiciaire », avant de résumer sa pensée d’une phrase choc : « Le couac de Tarnac est devenu une affaire politique. »

« Troubler gravement l’ordre public »

L’intention terroriste prêtée par l’accusation aux membres du groupe de Tarnac ne reposait pas sur la dangerosité des sabotages. De l’aveu même des experts, la pose d’un crochet sur une caténaire — un dispositif emprunté aux techniques des militants antinucléaires allemands dans les années 1990 — ne peut porter atteinte à la sécurité des voyageurs. Le ministère public estimait en revanche, en se fondant sur l’article 421-1 du code pénal, que « les atteintes aux biens » peuvent constituer des actes de terrorisme pour peu qu’elles aient « pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».

Cette volonté de « troubler gravement l’ordre public », le ministère public la motivait par l’idéologie et les relations des membres du groupe de Tarnac avec la « mouvance anarchiste internationale ». Le pivot de l’accusation reposait sur les écrits de Julien Coupat, considéré comme la « plume principale » — ce qu’il a toujours démenti — d’un « pamphlet » intitulé L’Insurrection qui vient, publié en 2007 par le Comité invisible.

« L’instrumentalisation » d’un livre

Ce texte préconise un « blocage organisé des axes de communication », au premier rang desquels les chemins de fer, par des groupes ayant adopté un mode de vie communautaire, afin de faire tomber « l’architecture de flux » qu’est devenu le monde moderne. Pour le parquet, cet « opuscule présenté de façon faussement béate par plusieurs témoins comme un simple livre de philosophie » était en réalité un guide théorique visant à « renverser par la violence l’Etat ».

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Dans leurs remarques sur ce réquisitoire envoyées le 5 juin à la juge Jeanne Duyé, Mes William Bourdon et Marie Dosé dénonçaient « l’instrumentalisation » de ce livre qui, rappelaient-ils fort opportunément, « n’a jamais fait l’objet de poursuites », ce qui peut en effet surprendre pour un opuscule terroriste. Dénonçant « l’impuissance du parquet à articuler le moindre commencement de preuve de la suffisance des charges après sept années d’une construction intellectuelle acharnée », ils demandaient un non-lieu général.

La juge d’instruction n’a pas été jusque-là. Elle a estimé que les preuves étaient suffisantes pour la tenue d’un procès pour sabotage. Le parquet dispose de cinq jours après la signature de l’ordonnance pour faire appel devant la chambre d’instruction.

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