« Une grande équipe sait finir ses championnats. » Oui, comme il y a deux ans à Barcelone, la natation française a « su finir » ses Mondiaux à Kazan en glanant deux ultimes médailles au dernier jour, dimanche 9 août : l’or pour Camille Lacourt sur 50 m dos, et le bronze pour le relais 4 × 100 m 4 nages, traditionnelle course de clôture. Mais le jugement du directeur technique national (DTN) Jacques Favre est inexact. C’est le mot « équipe » qui est un peu fort.
Pas tant au niveau de la cohésion collective des 28 nageurs et nageuses ayant fait le voyage en Russie, dont les entraîneurs français ont loué la solidité, qu’au niveau des résultats. Un rapide coup d’œil au palmarès suffit pour comprendre qu’à Kazan, l’équipe de France, c’était Florent Manaudou et Camille Lacourt.
C’est à ces deux jeunes gens que la délégation tricolore doit ses six médailles (quatre d’or, une d’argent, une de bronze), soit trois de moins qu’en 2013. Complètement – les 50 m nage libre et papillon pour le premier, les 50 m et 100 m dos pour le second – ou en partie, pour les deux obtenues en relais – le 4 × 100 m avec Manaudou, le 4 × 100 m 4 nages avec Lacourt. « Derrière quelques individus qui nous donnent du plaisir et une exposition, il y a quand même un certain vide », constate Fabrice Pellerin, ancien entraîneur de Yannick Agnel et de Camille Muffat, désormais directeur de l’équipe de France féminine.
Marseille, capitale de la natation
A Kazan sont apparues de façon criante deux caractéristiques de la sélection nationale. Elle se confond de plus en plus avec le Cercle des nageurs de Marseille, plus capitale de la natation tricolore que jamais : 10 des 28 Bleus présents aux Mondiaux sont licenciés du CNM, dont Jacques Favre est un ancien nageur, et dont le manageur, Romain Barnier, est aussi l’entraîneur en chef de l’équipe de France. Jérémy Stravius est le seul médaillé (4 × 100 m nage libre) à ne pas s’entraîner au-dessus de la plage des Catalans. Et l’Amiénois est le seul non-Marseillais à avoir goûté à la saveur d’une finale en Russie, avec la Calédonienne Lara Grangeon (400 m 4 nages).
Cette dernière illustre, en creux, le second phénomène marquant : elle est l’unique nageuse française, sur les quatorze sélectionnées, à s’être glissée parmi les huit meilleures mondiales de sa discipline. « Ce n’est évidemment pas suffisant », concède Jacques Favre, DTN d’une natation hexagonale structurellement fragile. Longtemps portée par Laure Manaudou (retraitée en 2013) puis Camille Muffat (retraitée en 2014, un an avant sa mort), l’équipe de France féminine « est aujourd’hui à construire, en manque de talents, loin de ce qui se fait de mieux au niveau mondial », admet sans détour Fabrice Pellerin : « Notre natation a toujours existé à travers des individualités. Si on en enlève une ou deux, il reste la forêt derrière les arbres. »
Et la forêt n’est pas luxuriante. La faiblesse de la natation féminine et la dépendance envers deux nageurs miraculeux n’incitent pas à l’optimisme, à douze mois des Jeux olympiques de Rio. L’olympiade suivante pourrait même s’avérer très douloureuse si les « arbres » venaient à disparaître, et marquer un retour deux décennies en arrière, à l’époque où la natation française, lors des grandes compétitions, ne comptait pas le nombre de médaillés, mais de finalistes. « Oui, on est inquiets, très inquiets, mais on va bouger », assure Jacques Favre. « Ce qui arrive à la natation féminine peut très bien arriver un jour à la natation masculine », prévient Romain Barnier. Fabrice Pellerin énumère : « Il faut travailler sur la formation, les critères de sélection, la culture de la natation en France. C’est un vaste chantier. »
Débat sur les critères de sélection
Immanquablement, à Kazan, cette question des critères de sélection – le temps minimum imposé aux nageurs avant une compétition internationale pour obtenir leur sélection – a été évoquée. « Soit on établit les critères pour participer en espérant entrer en demi-finales, soit on se dit que le but, c’est que tout nageur qualifié entre au moins en finale ou chope des médailles, expose Fabrice Pellerin, partisan de cette seconde philosophie. Si demain on me dit : “les critères sont revus, ça va faire mal aux fesses, il n’y aura que huit nageurs qualifiés, mais les huit pourront prétendre à une médaille”, ça me va parfaitement. Dans ce cas, il faudra non pas corriger nos critères, mais les révolutionner. »
C’est ce qu’avait fait le DTN Claude Fauquet après les catastrophiques Jeux d’Atlanta, en 1996, où la natation française, pourtant largement représentée, avait rapporté zéro médaille et quatre malheureuses places de finaliste. La révolution de Fauquet avait eu des conséquences spectaculaires – seuls cinq Français avaient participé aux Mondiaux 2001 à Fukuoka (Japon) – mais elle est aujourd’hui tenue pour responsable des succès suivants de la natation bleue aux Jeux de Sydney (Maracineanu), Athènes (Manaudou, etc.) ou Pékin (Bernard, etc.).
Romain Barnier, lui, ne voit pas le durcissement des critères comme un remède miracle : « On a l’impression qu’il suffit de déplacer le curseur et que tout le monde va progresser. Les critères sont un des points importants de la réflexion, mais ce n’est pas le point unique qui va transformer la natation française. »
L’entraîneur en chef des Bleus, en plus d’un solide circuit de meetings qui se met en place en France, et de séjours à l’étranger (Etats-Unis, Brésil) pour confronter les nageurs français au gratin international, mise volontiers sur autre chose : « Les Jeux olympiques à Paris en 2024, il n’y aurait rien de mieux comme moteur, et cela laisserait huit ans pour préparer de nouveaux champions. »
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