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L’amertume des Kurdes engagés contre l’Etat islamique

Visés par l’aviation turque, les militants du PKK accusent Ankara de « tromper les Occidentaux ».

Par  (Basverimli,Turquie, envoyé spécial)

Publié le 07 août 2015 à 13h56, modifié le 11 août 2015 à 07h39

Temps de Lecture 4 min.

A Silopi, à la frontière entre la Turquie et le Kurdistan irakien, le 29 juillet.

Des centaines de camions turcs traversent chaque jour le poste-frontière d’Ibrahim-Khalil, unique passage légal entre le territoire turc et le Kurdistan irakien. Leurs cargaisons nourrissent quotidiennement l’économie de cette région autonome du nord de l’Irak en matériaux de construction et en biens de consommation. Dans l’autre sens roulent des tankers chargés du pétrole brut extrait des gisements contrôlés par les Kurdes d’Irak et, de manière régulière, des camions réfrigérés qui transportent les dépouilles de jeunes Kurdes de Turquie ayant rejoint les rangs du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) avant de tomber au combat contre l’Etat islamique (EI) dans les plaines irakiennes et syriennes qui s’étendent plus au sud.

Le 5 août, après onze jours de blocage par les autorités turques, l’un de ces camions contenant les treize cadavres de combattants kurdes et d’un volontaire allemand a enfin été autorisé à passer. Au cours de ces journées d’attente, le village de Basverimli situé à proximité de Silopi, dans le département de Sirnak, à 2 kilomètres de la frontière a accueilli plusieurs centaines de Kurdes venus réclamer leurs « martyrs ». Sous le vol sombre d’hélicoptères décollant vers les positions du PKK des monts Joudi, leurs rassemblements au poste-frontière ont été dispersés par les gaz lacrymogènes de la gendarmerie. Contraints de se réfugier dans les maisons mises à leur disposition par les villageois, ils ont tâché, tant bien que mal, de faire pression sur les autorités turques avant d’obtenir gain de cause.

Scènes de guerre urbaine

L’attentat de Suruç contre des militants prokurdes, le 20 juillet, suivi de l’assassinat de policiers décidé en représailles par le PKK et la reprise consécutive des frappes aériennes sur les bases de la guérilla kurde dans le nord de l’Irak ont ouvert une nouvelle phase de conflit, après deux ans de processus de paix.

Dans les villes kurdes, des affrontements meurtriers opposent les jeunes militants du PKK aux forces de sécurité et donnent parfois lieu à des scènes de guerre urbaine. Vendredi 7 août, à Silopi, trois civils kurdes ont été tués par la police. Les affrontements, déclenchés lorsque des bulldozers de la police sont venus combler les tranchées creusées par les militants en travers des rues de leur quartier, ont occasionné des cas de blessures graves par balles et la destruction de plusieurs maisons. En représailles, un policier et deux soldats ont été tués dans les villes de Cizre et dans les provinces de Van et d’Agri. Largement diffusées sur les réseaux sociaux, les images de maisons en flammes à Silopi ont renforcé la crainte des habitants du sud‐est kurde de la Turquie de voir leur région sombrer dans une violence sans retour.

Des camions de marchandises, à Silopi, le 2 août.

Le mouvement kurde dénonce une « manipulation » du président de la République turque, Recep Tayyip Erdogan. La percée du Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde de gauche) ayant privé le Parti de la justice et du développement (AKP) de majorité, les résultats des dernières élections législatives devaient se traduire soit par la formation d’un gouvernement de coalition, qui paraît à ce stade impossible à négocier, soit par l’organisation d’un nouveau suffrage. « Le gouvernement turc veut inciter le PKK à déclencher une nouvelle guerre afin de discréditer le HDP et d’obtenir lors des élections anticipées une majorité suffisante pour gouverner seul », explique Faysal Sariyildiz, député HDP de Sirnak.

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La proximité des champs de bataille syrien et irakien, où les forces kurdes combattent l’Etat islamique, n’est pas sans conséquence. Depuis le déclenchement de la guerre civile syrienne, les Kurdes de Turquie ont les yeux tournés vers le Rojava, les régions kurdes de Syrie où le PKK a réussi à imposer son modèle politique et continue à combattre les djihadistes de l’EI. Et l’engagement récent de la Turquie contre le groupe djihadiste ne convainc personne à Basverimli, comme ailleurs dans les régions kurdes. « Daech [acronyme arabe de l’EI] est l’instrument qu’utilise l’Etat turc pour faire la guerre aux Kurdes. Les avions turcs bombardent nos combattants et Daech nous tue au Rojava et en Irak », accuse Rasul Tas, un habitant de Basverimli, reprenant une idée largement partagée au sein de la population kurde. « La Turquie est en train de tromper les Occidentaux : ce gouvernement déclare s’attaquer à Daech, mais c’est un prétexte pour faire la guerre aux Kurdes », regrette Salih Gulenç, un cadre du mouvement kurde du département de Sirnak.

Des familles kurdes se rassemblent à la frontière Turquie-Irak, à Silopi, afin de récupérer les corps de treize hommes tombés au combat face à l'Etat islamique en juillet.

Les combattants dont les dépouilles étaient bloquées à la frontière turque sont morts au début du mois de juillet dans les régions d’Hassaké en Syrie et de Sinjar en Irak, deux zones où l’aviation américaine soutient directement les combattants kurdes au sol. L’incompréhension et la confusion n’en sont que plus grandes parmi les Kurdes de Turquie, qui s’étonnent de voir les gouvernements occidentaux ne pas s’opposer plus fermement à la politique turque. « Nos martyrs sont morts en combattant Daech au nom de l’humanité, lance le frère aîné d’un combattant tué en Syrie, venu à la frontière depuis Diyarbakir, pour attendre son corps. Aujourd’hui, la Turquie nous attaque et le monde nous a oubliés. »

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