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Portrait au vitriol du monde de la télévision - "Julia InsideTV"

La couverture du blog "Julia InsideTV"
La couverture du blog "Julia InsideTV" © Julia InsideTV
Nicolas Quenel , Mis à jour le

Bienvenue dans le monde de «l’odieux visuel» avec «Julia Inside TV». Julia, un nom d’emprunt, est journaliste et productrice depuis une quinzaine d’années et tient maintenant un blog sur les dessous de la télévision. Dans ce blog, elle décrit d’une plume acerbe un monde bien éloigné du strass et des paillettes qu’on lui prête en temps normal. En seulement deux mois, elle a fidélisé près de 80 000 personnes à la lecture de son blog. Véritable Virgile, elle guide son lecteur dans «l’enfer du quotidien des travailleurs de la télévision» et devient le porte-parole d’une véritable souffrance au travail.

Paris Match. Comment vous est venue l’idée de lancer «Julia InsideTV»?
Julia: C’est le résultat logique après 15 ans de carrière. J’ai débuté en tant que "casteuse" dans des émissions testimoniales type "Ca se discute", "Confessions Intimes", Tellement vrai "… J’ai vite été confrontée à la réalité du terrain et à ce qu’il pouvait se passer derrière les caméras. Après quelques temps, j’ai réussi à rentrer dans un vrai magazine d’investigation. Je pensais pouvoir enfin exercer mon métier de journaliste comme je l’avais imaginé. C’est à ce moment que j’ai connu ma plus grosse désillusion, car je devais faire les mêmes choses, casting des témoins, mises en scène, pour répondre aux critères encore plus "trash" des gens de l’info. Tout ce que l’on me demandait était de porter les préjugés du présentateur ou du producteur dans mes sujets. Je ne le supportais plus et j’ai eu envie de décrire ce milieu abject, du coup je me suis mise à écrire, à raconter mon quotidien, mes histoires et aussi celles de mes confrères. J’ai compilé toutes mes observations dans un manuscrit, encore confidentiel et j’ai décidé de créer ce blog, "Julia InsideTV" pour voir si ce que je racontais pouvait intéresser les gens qu’ils soient du métier ou non. Et apparemment cela marche, au-delà de mes espérances.

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Musulmans, annonceurs et crème solaire

Quels genres de préjugés avez vous dû affronter durant votre carrière?
Il y en a beaucoup, mais un des plus marquants concernait un sujet sur les mariages forcés en Algérie. Je devais trouver une jeune fille, élevée en France que ses parents avaient contrainte d’épouser, dans leur pays d’origine, un homme qu’ils lui avaient choisi. Après plusieurs semaines d’enquête, j’ai trouvé une chrétienne, qui avait été mariée de force en Algérie et avait réussi à s’extraire du carcan familial. Et, bien qu’il s’agisse de coutumes culturelles et non pas religieuses, dans la tête du producteur, cela n’allait pas car elle n’était pas musulmane. Elle ne correspondait pas au stéréotype qu’il se faisait de la pauvre fille d’immigrés perpétuant des traditions ancestrales, qui ne pouvait être, selon lui, pratiquées que par des musulmans. A cela il faut encore ajouter la pression des annonceurs publicitaires qu’il ne faut surtout pas contrarier avec nos sujets. Difficile de faire un reportage sur l’inefficacité d’une crème solaire, la dangerosité d’un soda, sans que votre sujet soit censuré. Travailler à la télévision aujourd’hui c’est ça.

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Et ce blog ne vous attire pas que de la sympathie.
Non, même si beaucoup de gens de la profession entrent en contact avec moi pour me remercier car ils reconnaissent ce qu’ils vivent au quotidien. Le blog agit un peu comme un exutoire pour eux. En un sens et malgré moi, Julia devient la porte-parole d’une vraie souffrance au travail dans le monde de l’audiovisuel. Beaucoup ne m’aiment pas non plus, ils ont peur que je dévoile les identités des gens sur lesquels j’écris. Ce n’est pas le but. Je veux dénoncer un système, pas porter préjudice aux gens qui travaillent dans ce milieu. Mais c’est amusant car beaucoup de jeunes journalistes que j’ai formés m’écrivent des commentaires incendiaires. Et au contraire, des gens avec qui je ne m’entends pas du tout professionnellement adorent le blog.

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L’omerta pour règle

Quelles seraient les conséquences si votre identité venait à être révélée?
Dans le milieu de la télévision l’omerta est la règle. Si tu l’ouvres, tu peux vite être "grillé", en général tu es "blacklisté" et tu ne travailles plus. De toutes façons, si tu n’es pas content il y en a dix qui attendent derrière, cela n’incite pas à dire ce que l’on pense. Le jour où mon identité sera découverte, c’est sûr que je vais perdre des contrats, mais ce n’est pas grave, je continuerai à travailler avec ceux qui me connaissent bien, reconnaissent mon travail et comprennent ma démarche. Mais, paradoxalement, plusieurs opportunités se sont ouvertes quand j’ai lancé "Julia InsideTV". Mon côté polémiste m’offre de nouvelles opportunités de carrière. On me propose, par exemple, des chroniques médias et de nombreux éditeurs m’ont approchée pour publier un livre. Le propre d’un journaliste c’est d’avoir des convictions, alors on a quand même le droit de dire ce que l’on pense et notamment faire savoir que, dans nos métiers, le droit du travail n’est pas respecté.

Quelles entorses sont régulièrement faites au droit du travail?
Il y en a beaucoup. La plus connue reste une pratique très répandue dans les boites de production. Elle consiste à déclarer les journalistes sous le statut d’intermittents du spectacle en tant que réalisateurs. Cela permet de ne les déclarer qu’un jour sur deux, alors qu’ils sont à temps plein évidemment. Le reste du salaire est payé par les indemnités Pôle Emploi Spectacle. Pour les jeunes c’est ça ou pas de contrat du tout.C’est honteux car un jeune comédien ou un technicien, lui, a besoin de ce régime spécifique, mais cette pratique vide les caisses. J’ai côtoyé avec une femme qui travaillait depuis 15 ans dans la même boîte sous ce régime illégal et n’avait aucun scrupule. Il y a vraiment un coup de pied à donner dans ce système. Un autre problème concerne le versement de droits d’auteur. Les entreprises déclarent au smic et complètent avec une rémunération en droits d’auteur, pour alléger leurs charges patronales. Sauf que le jour où l’on se retrouve au chômage, c’est sur la base d’un smic que les indemnités sont calculées.

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Des chaînes dirigées par des technocrates

Pour vous, quel est le plus gros problème à la télévision?
Le premier dans la forme c’est que les chaînes sont dirigées par des technocrates qui sortent d’HEC. Ces gens ne sont pas journalistes, ils n’ont aucune connaissance du terrain et aucune créativité. Sur le fond, il y a une censure permanente du haut de la tour, des dictats construits sur les préjugés que les décideurs ont sur notre société. Aujourd’hui très peu de journalistes partent sur le terrain sans séquencier. C’est un scénario de tournage comprenant le contenu précis des interviews avant même qu’elles n’aient été réalisées, les commentaires sur image que l’on envisage de faire... Alors qu’en fait on ne sait jamais ce que l’on va réellement trouver sur le terrain. La commande est précise et il faut coller aux attentes, même s’il faut pour cela détourner un peu la réalité. Au-delà de cela, moi, quand j’ai commencé, le journaliste partait avec un caméraman et un preneur de son. De nos jours la mode est au JRI (Journaliste Reporter d’Images) qui doit tout savoir faire tout seul pour des raisons d’économies budgétaires. Gérer à la fois le contenu, l’image et le son est une grosse responsabilité et un travail harassant.

Doit-on conseiller à un étudiant en journalisme de lire «Julia InsideTV»?
Cela ne ferait pas de mal. Il ne faut pas rentrer dans ce métier bercé d’illusions. J’ai enseigné en école de journalisme et je démoralisais un peu mes élèves en faisant des cours sur la création de nouveaux concepts. Je leurs apprenais qu’il ne fallait pas avoir d’idées originales. Même si le projet d’émission était génial il ne passerait pas. Si les gens à la tête des télés étaient des créatifs, cela se saurait. La télévision fonctionne par tendances et il ne faut pas s’en écarter…

C’est un bilan très pessimiste sur le monde de la télévision. Est-il toujours possible selon vous d’exercer ce métier convenablement?
Oui, Il y a encore des producteurs dignes de ce nom et des chaines qui prennent des risques. C’était le cas de Canal+, avant l’affaire Bolloré . Il y avait une vraie liberté de ton. Plus maintenant très clairement. Arte et France 5 sont des chaînes qui ont encore leur espace de liberté malgré tout. Mais c’est un métier très difficile. Il faut laisser derrière soi, son éducation, sa morale, sa déontologie. Honnêtement pour tenir, il faut être insensible ou avoir un pète au casque. Aujourd’hui les jeunes journalistes entre 25 et 35 ans me disent tous qu’ils veulent se reconvertir. Beaucoup se tournent vers internet, mais il ne faut pas avoir peur de mourir de faim, C’est moins bien payé, mais la liberté d’expression est plus grande, c’est une porte de sortie.

https://juliainsidetv.com/

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