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Billet de blog 30 décembre 2013

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Non, le SMIC n'est pas l'ennemi de l'emploi

A travers toute l'Europe, l'exemple, que dis-je, le « miracle » allemand nous est présenté par les droites européennes comme l'aboutissement de la théorie néolibérale.

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A travers toute l'Europe, l'exemple, que dis-je, le « miracle » allemand nous est présenté par les droites européennes comme l'aboutissement de la théorie néolibérale.

En effet, le chômage, mal ultime de nos sociétés contemporaines, touchait en octobre 2013 seulement 5,2 % des Allemands actifs, provoquant à bon ton la jalousie de tous les pays européens qui n'eurent pas le courage d'entreprendre des réformes « courageuses et nécessaires ». Messieurs les Français, Espagnols, Grecs, Portugais, Italiens, et autres peuples dotés de salaire minima et de taux de chômage à 2 chiffres, le laxisme budgétaire est fini. Angela règne pour imposer l'austérité. Qu'importe la sortie de la crise, les Allemands, n'en déplaisent aux « germanophobes », font eux les efforts et ça marche !

La nouvelle risque de satisfaire plus d'un salarié allemand. Camarades, enfin, votre combat a mené à une victoire ! Que l'on vive à l'Est, à l'Ouest, que l'on soit jeune stagiaire, ou vieux, tout travail salarié sera désormais rémunéré 8,5 euros de l'heure. Réjouissez-vous, socialistes français, travailleurs allemands, la solution à tous nos maux, à la pauvreté, à la précarisation des travailleurs et aux inégalités sociales est arrivée : Angela Merkel, par la signature d'un accord de coalition avec le SPD ces derniers jours vient de promettre l'introduction d'un salaire minimum généralisé. Enfin, c'est la victorie de l'Europe sociale !

Ah, mais pourquoi avoir attendu seulement maintenant pour le mettre en place ? Tout s'explique par la prépondérance accordée en Allemagne au « dialogue social » entre « partenaires sociaux », principaux termes de la novlangue économique reprise tant par les démocrates chrétiens que par les socialistes pour faire oublier toute conflictualité sociale dans le monde du travail. La patrie de Marx aurait-elle donc abandonné la lutte des classes ? Ah, qu'il n'est pas magnifique de voir le succès de la cogestion, système de négociations internes aux entreprises selon leurs branches d'activité ? Qu'il n'est pas magnifique de voir enfin main dans la main patronat et syndicats qui ont posé le drapeau rouge, enfin réconciliés ?

Mais, posons-nous la question inverse: ne faut-il pas se réjouir de négociations au sein d'entreprises qui permettent d'obtenir un salaire qui joue le rôle de « voiture-balai » où chacun y trouverait son compte ? Convenons-nous en, mais cela représente l'allégorie ultime de la thèse néolibérale du prix d'équilibre entre offre et demande sur le marché du travail. La réponse est non. La réponse est non quand l'Allemagne semble à première vue connaître le plein emploi (ce doux rêve encore fantasmé en France d'un lointain âge d'or des Trente Glorieuses). Or, ce plein emploi est illusoire car il cache les inégalités sociales, et il n'est en aucun cas dû à l'absence d'un SMIC généralisé. La réponse reste négative quand la pauvreté et la précarité y ont explosé ces dernières années, quand des abus envers le droit du travail y ont lieu, et enfin quand les rapports de force penchent sans aucun doute du côté du patronat face à un syndicalisme en déclin (certes moins important qu'en France).

L' apparition d'un salaire minimum ne peut être qu'à approuver à première vue. Pour preuve, après les élections législatives, elle fait preuve d'un large consensus tant entre tous les partis politiques (Die Linke, Grunen, SPD et CSU-CDU) qu'au sein de la population : 83 % des Allemands s'y déclaraient favorables. Cette mesure ne doit pas pour autant faire oublier la dure réalité sociale des travailleurs pauvres dont la proportion a explosé depuis l'application des réformes Hartz mises en place par le social-démocrate Gerard SCHRODER (SPD) dans les années 2000. Elles permirent la flexibilisation du marché du travail en facilitant les licenciements, la limitation de la période d'indemnisation des chômeurs de longue durée, ainsi que la multiplication des mini-jobs ( vous savez, ces travaux à temps partiel limités à 60 heures mensuelles rémunérées 400 euros en y ajoutant des allocations Hartz IV. En somme, le cocktail orthodoxe de véritables réformes néolibérales dont le but fut d'améliorer la compétitivité-prix des entreprises et de diminuer le déficit extérieur allemand (devenu aujourd'hui un généreux et abusif excédent).

Ainsi, ces réformes « courageuses » ont poussé nombre de salariés à temps partiel comme à temps plein dans la spirale de la pauvreté : ces « nouveaux forçats de la faim » demeurent marginalisés dans une société où la survie quotidienne est le maître mot : ils ne font que perdre leur vie à la gagner. L'aide des associations caritatives est le dernier recours pour près de 1 million et demi de salariés à temps plein.

Ces réformes provoquèrent également un évident « dumping social » au sein de l'Europe quand certains travailleurs, et notamment certains travailleurs détachés d'Europe de l'Est (dont il a été question ces dernières semaines après la directive européenne à son sujet), souvent immigrés sont rémunérés parfois jusqu'à à peine 1,37 euro/heure dans certains abattoirs allemands. De la même manière, peut-on se réjouir quand les réformes de l'Agenda 2010, réformes impulsées par un « gouvernement de gauche », ont fait baisser le nombre de salariés couverts par des conventions collectives, passant à seulement 55 % de salariés couverts dans les anciens Lander et 36 % dans les nouveaux ? Peut-on se réjouir quand on assiste à des caractéristiques violations du droit du travail , notamment dans le non-respect des congés maladies et des congés-payés (Amazon reste le champion en la matière : l'article dans le Monde Diplo' de Novembre 2013 relatant les conditions de travail dans ces entrepôts donne à réfléchir sur la notion de travail). Peut-aussi continuer à se réjouir du modèle allemand quand 16,1 % des Allemands vivent sous le seuil de pauvreté et que dans le même temps, les ressources des plus riches ont augmenté de 12,4 % depuis 1990 et les ressources des plus pauvres ont baissé de 11,2 % selon les chiffres de l'IMK ?

Bien que retardé dans son application à 2015 et même à 2017 (c'est-à-dire aux calendes grecques) pour bon nombre d'entreprises exigeant des compensations pour affronter le futur « choc » d'augmentations des salaires qui augmentera le coût du travail, un SMIC allemand profiterait au final aux exportations espagnoles, italiennes et françaises et favoriserait une meilleure reprise de l'activité économique au niveau européen. De la même manière, cela permettrait de redonner du pouvoir d'achat à nombre de travailleurs précaires et donc de stimuler la demande intérieure allemande, jusque là congelée. C'est là l'assurance contre laquelle sont immunisés les pays dotés d'un SMIC comme la France et l'Angleterre. En moyenne, pour preuve, entre 1995 et 2009, les Allemands ont ainsi vu leurs dépenses de consommation augmenté d'à peine 13 % quand les Français et les Britanniques voyaient les leurs augmenter de 37 % et 45 % sur la même période.

Pour autant, ne voyons pas tout en noir : l'introduction d'un salaire minimum généralisé mettrait ainsi fin au délire des mini-jobs et protégerait les salariés qui n'étaient pas couverts par une convention collective. J'entends là le bruit de fond du patronat qui prévoir à la louche la destruction de 500 000 à 1 million d'emplois ; tout comme des patrons de l'industrie automobile (BMW, Volswagen) qui menacent de délocaliser leurs chaines de production en Europe de l'Est : en bref, attendons-nous à un véritable cataclysme économique ! Ce qu'ils oublient pourtant, c'est que, lorsque un salaire minimum généralisé a été introduit dans les années 90 au Royaume-Uni après les funestes années Thatcher, c'est qu'il n'a eu aucune incidence sur l'emploi, et que les vértables raisons du succès allemand sont plus à voir dans sa politique de formation professionnelle performante et à l'importance accordée à l'innovation au sein de son solide réseau de PME. C'est exactement ce qu'a montré le journaliste économique Guillaume Duval dans son excellent ouvrage Made in Germany où il démystifie le modèle allemand fruit des réformes SCHRODER. Par ces réformes, l'Allemagne fit le choix du chômage faible quitte à multiplier les travailleurs pauvres. Ainsi, en 2012, pendant qu'en Allemagne, 24,5 % des salariés allemands percevaient des salaires inférieurs à 66 % du salaire médian , dans des pays comme la France, seulement 5,5 % des salariés gagnaient une rémunération en-dessous de ce même seuil.

Pour autant, dans le cadre d'Etats fédéraux, comme cela est le cas aux Etats-Unis, la possibilité de salaires minima régionaux n'est pas à écarter du fait des grandes inégalités qui subsistent entre Est et Ouest. De plus, la question d'un revenu de base universel se pose tout autant face au défi de la pauvreté : la question de la place du travail est central dans ce débat.

Ainsi, les inégalités salariales et le grand nombre de travailleurs pauvres seraient-ils donc le prix à payer pour se rapprocher du rêve si doux du plein emploi ? Rémunère t-on le travail à sa juste valeur ? Le partage de la valeur ajoutée n'est-il pas au cœur du débat quand des bas salaires sont justifiés par la compétitivité-prix des entreprises pour favoriser un généreux modèle économique basé sur les exportations ? Ah, adieu, le doux rêve de l'Europe sociale et de la coopération économique : profitons donc de la joyeuse guerre économique ! Même la Commission Européenne présidée par le très gauchisant et protectionniste Manuel Barroso a averti l'Allemagne du danger de la continuité de ce modèle sur la reprise économique européenne qui fragiliserait trop les importations des industries du Sud de l'Europe comme l'Espagne, la Grèce et la France.

Néanmoins, la question resta en suspens en attente du vote des militants du SPD quant à la participation du parti à une Grande Coalition avec le CDU de Merkel. Condition sine qua none de l'accord : introduire un salaire minimum. Approuvé en grande pompe le 14 décembre, reste à voir comment Sigmar Gabriel, président du SPD choisi au poste de Ministre de l'Economie appliquera la mesure face à la foudre des milieux patronaux et l'écoeurement d'une partie minoritaire des militants du SPD. Cette avancée historique prévue pour 2015 et 2017 ne serait-elle pas après tout un moindre mal pour les salariés allemands, même si ceux-ci ne connaîtront plus d'augmentations de salaires avant 2018, gravant encore une fois de plus dans le marbre la sempiternelle politique de modération salariale. L'enjeu pour la prochaine année, théâtre d'élections européennes, n'est-elle donc pas de remettre au cœur du débat la possibilité d'un « SMIC européen » qui pousserait l'Europe sociale vers le haut ? N'est-ce pas là le meilleur moyen pour lutter contre la horde menaçante de futurs eurodéputés populistes et europhobes d'extrême droite ?

Ainsi, le « miracle allemand », tel qu'il nous est partialement présenté ne symbolise t-il pas le dessein, le stade néolibéral ultime rêvé du patronat, incarné ici par cette terrifiante, macabre et sinistre phrase de l'ancienne présidente du MEDEF Laurence Parisot : « La vie, la santé, l'amour, sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? » .

Sources:

- Jacques Généreux, Introduction à l'économie, Points.

- Guillaume Duval, Made in Germany, Le Seuil.

- Courrier International du 28 NOV. 2013, « Un salaire minimum, oui, mais pas à n'importe quel prix », tiré de Die Zeit.

- Libération du 23 NOV.2013, « Sans le sou à Berlin ».

- L'Humanité du 4 déc. 2013, « Un Smic allemand, oui, mais low-cost, et pas avant..2017 »

- Le Monde : « Berlin vaut bien un SMIC » ; « Non, Madame Merkel, le salaire minimum n'est pas l'ennemi de l'emploi » ; « L'Allemagne, plus d'emplois mais plus de pauvreté ».

- Rue 89 : «  L'Allemagne, fermez, circulez ! » ; «  SMIC en Allemagne : une bonne nouvelle si vite ? » ; «  Les Grecs plus riches que les Allemands » ; « Allemagne : la fin de la dévaluation salariale compétitive » ; « Le succès allemand n'a rien à voir avec leurs efforts » ; Bercy Blog : «  Salaires : les différentiels du coût du travail entre France et Allemagne »

- OFCE : « Quels smic pour l'Allemagne ».

- Alternatives Economiques : « Bientôt un SMIC dans les abattoirs allemands ».

- Autres articles tirés de Mediapart, El Pais, et Ouest France.

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