Le créateur de “The Wire” et de “Treme” signe une minisérie inspirée de faits réels, nouveau chapitre touchant de son édifiant récit politique et social. A voir dès lundi 17 août sur OCS City.
Publié le 14 août 2015 à 08h00
Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h48
David Simon n'est pas « l'homme le plus en colère de la télévision américaine », comme les médias américains aiment à le surnommer. C'est un auteur engagé, critique, parfois excessif, mais dont l'œuvre déborde d'humanisme, de tendresse, d'une sensibilité sans laquelle son propos politique et social ne nous toucherait peut-être pas autant. Cette émotion, qui portait Treme, ode à la Nouvelle-Orléans de l'après-Katrina, sourd à nouveau de Show me a hero, minisérie en six épisodes qui débute dimanche 16 août sur HBO outre-Atlantique, avant une diffusion le lendemain sur OCS City. Adaptation du livre éponyme de Lisa Belkin (inédit en français), elle suit le combat de Nick Wasicsko (Oscar Isaac), jeune maire de la ville de Yonkers, près de New York, à la fin des années 80. Contraint par la justice, il dut faire construire des logements sociaux dans une zone essentiellement peuplée par une classe moyenne blanche violemment opposée au projet. Son combat, désespéré, absurde, terrifiant mais nécessaire, finira mal, comme le prédit la citation de Francis Scott Fitzgerald qui inspire le titre du livre et de la minisérie – « Montrez-moi un héros, et je vous écrirais une tragédie. »
“Show me a hero montre l'aveuglement d'une minorité bruyante face aux laissés-pour-compte.”
Ancien journaliste, David Simon – ici secondé par William Zorzi, déjà auteur sur The Wire – se repose toujours sur une enquête minutieuse pour écrire ses scénarios. Les siennes pour The Corner et The Wire, ou celle d'un reporter de Rolling Stones, Evan Wright, pour Generation Kill. Œuvre biographique tirée d'événements réels, Show me a hero lui sert, en creux d'un récit choral fait de trajectoires intimes, à revenir aux origines de sa réflexion sur la ville aux Etats-Unis, l'échec de ses systèmes politique, judiciaire et éducatif. Elle raconte la multiplication des ghettos, dans un pays où la peur de l'autre et les notions de confort et de propriété pèsent sur tout espoir de justice sociale, d'équité, de partage, et montre l'aveuglement d'une minorité bruyante face aux besoins de laissés-pour-compte déjà enfermés dans un cercle de misère et de criminalité – celui-là même si puissamment mis en scène dans The Wire.
Show me a hero s'ouvre au début de l'année 1987. Ancien flic, désormais élu à la mairie de Yonkers (Etat de New York), Nick Wasicsko prend connaissance du dossier qui va bouleverser sa carrière et sa vie. Afin de faciliter la mixité sociale, la justice a ordonné à la ville de faire construire des logements sociaux ailleurs que dans ses quartiers pauvres. Le maire en place (incarné par Jim Belushi), républicain, laisse traîner le dossier. Ses électeurs de la classe moyenne blanche refusent de voir des Noirs, pauvres, dans leurs rues. Ils craignent une hausse des nuisances et de la criminalité, une chute de la valeur de leurs biens. Sentant une opportunité, Wasicsko accepte de représenter les démocrates à l'élection municipale et l'emporte sur la promesse d'empêcher la construction des « projects », comme on appelle les cités outre-Atlantique. Avant de réaliser, peu à peu, que rien n'est aussi simple…
Les quatre premiers épisodes, que nous avons pu voir, racontent sa prise de pouvoir (à 28 ans, il est alors le plus jeune maire de l'histoire des Etats-Unis) et la compréhension progressive du dossier et de ses enjeux. Elle suit aussi, en parallèle, la vie de quatre résidents de Yonkers concernés par l'affaire : deux Afro-Américaines, une infirmière à la santé fragile et une jeune femme enceinte de son compagnon emprisonné ; une Latino, qui malgré les heures supplémentaires ne parvient pas à offrir à ses enfants une vie confortable (Ilfenesh Hadera) ; et une Blanche, qui est l'une des plus ferventes opposantes au projet (Catherine Keener). Réalisés par Paul Haggis (Collision), ils alternent entre scène de conseils municipaux houleux, discussions politiques et instants d'intimité, avec Wasicsko comme avec ces anonymes.
Show me a hero est un drame humain aux enjeux politiques sérieux, et David Simon n'est pas du genre à simplifier les choses. Aussi certaines scènes réclament-elles la concentration du téléspectateur, son attention, pour que rien ne lui échappe du pugilat qui se déroule sous ses yeux. A en croire cette histoire, ce qui s'est passé à partir de 1987 à Yonkers est une sidérante compilation d'obstructions, de coups bas, de pressions, de postures dangereuses et égoïstes de la part de politiciens prêts à faire couler les finances de leur ville – la justice américaine lui inflige des amendes – pour satisfaire leurs électeurs, qui leur demandent de s'opposer, coûte que coûte, à la construction des logements sociaux. Show me a hero, comme toutes les séries de David Simon, s'adresse donc à un auditoire attentif. Elle est pourtant bien plus accessible que la plupart de ses œuvres.

@HBO/OCS
Ses enjeux, maintes fois explicités, finissent par devenir limpides. Il est question d'a priori sociaux, de conservatisme, de racisme, d'antisémitisme, de beaucoup d'autres haines ; et donc, au fond, de sentiments humains. C'est une des grandes forces de David Simon, journaliste, homme politisé, mais surtout auteur avisé, qui sait que tout passe par ses personnages. Il n'oublie donc pas de faire exister Wasicsko, de donner chair à ses hésitations, à ses désirs, à ses rêves. Il en fait un mélange subtil d'idéalisme, de candeur, de cynisme, de courage, d'opportunisme et de lucidité. Un homme qui prend conscience, en pensant à lui, à son avenir, à sa carrière, des problématiques du monde qui l'entoure. Juste, touchant, souvent drôle, ce portrait donne le la à Show me a hero. Il profite du jeu chaleureux, sans faute, du remarquable Oscar Isaac – sur le point de devenir une star grâce au prochain Star Wars –, qui compose un héros tour à tour déterminé et paumé.
Comme parfois chez Simon, la finesse de ce portrait et la fulgurance de ses dialogues n'empêchent pas une certaine lourdeur dans la mise en scène des inégalités sociales. Les habitants des projects sont quasiment tous des victimes belles et courageuses, quand les opposants aux logements sociaux sont eux presque tous fermés d'esprits, agressifs, bas du fronts, comme Henry J. Spallone, élu incarné par Alfred Molina – il y a heureusement Mary Dorman, l'opposante jouée par Catherine Keener, dont les sentiments évoluent d'un épisode à l'autre. On pourra toujours lui reprocher, une fois encore, de vouloir absolument utiliser la fiction pour faire une démonstration… mais on pourra difficilement contester cette dernière, et encore moins le critiquer de ne pas savoir y mettre les formes. La caméra de Paul Haggis, souple, bien servie par une belle photo, la B.O. chargée en titres de Bruce Springsteen, la reconstitution historique soignée, tout est fait pour que Show me a hero ne soit pas une série d'auteur hermétique. Elle trouve ainsi un bel équilibre entre propos politique et récit romanesque, et confirme, une fois encore, que David Simon est une des plus grandes plumes de l'histoire des séries.