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Expo

Andy Warhol, Factory darling

A Metz, le centre Pompidou consacre une exposition au pape du pop art, à son bureau-atelier-squat et à son entourage glamour et agité.
par Clément Ghys
publié le 13 août 2015 à 17h06

Andy Warhol est comme Marilyn Monroe, dont il a fait le portrait, ou Zlatan Ibrahimović, qu'il n'a jamais rencontré : tout le monde sait qui c'est. Et tout le monde a un avis à son sujet. Warhol (1928-1987) est tellement connu qu'il est partout, même quand il est absent. Son poids sur l'art, sur son temps, a été tel que l'homme à la perruque blonde est presque dissocié de l'imagerie warholienne. Mais, en 2015, qu'est-ce que cette imagerie-là ? Un corpus fait de célébrités sérigraphiées sur un fond de couleurs, des boîtes de lessive ou de soupe à la tomate, quelques aphorismes dont le fameux «A l'avenir tout le monde sera célèbre pendant quinze minutes», répété jusqu'à la lie et qui a servi de sous-titre à l'éclosion de la télé-réalité des années 2000. L'imagerie warholienne sans Andy, c'est une sorte de boîte à outils qui peut modifier, en quelques manips de base sur Photoshop, n'importe quelle image. Aussi, c'est comme un papier peint, ou ces posters que l'on achète à Ikea pour 19,90 euros. L'hyper-développement de Warhol, sa présence systématique dans n'importe quelle anthologie Taschen, l'a délégitimé. Si on veut parler de sérialité de l'art, d'un tableau comme révélateur de la culture pop, il est de meilleur ton de citer Jasper Johns ou Robert Rauschenberg. Mais il y a un autre Warhol, le créateur, et dont seule une capacité à parler aux morts permettrait de savoir ce qu'il penserait de ce regard actuel sur son œuvre.

47e rue

Ce Warhol-là est présenté au centre Pompidou-Metz dans la riche, pédagogique et très documentée exposition «Warhol Underground». Un artiste n'est rien sans son temps, et c'est la bonne idée de l'institution lorraine que de montrer que le totem actuel a été modelé à partir d'un homme bien réel. En l'occurrence, celui qui passait ses journées à partir de 1964 dans un local de la 47e rue à New York, un entrepôt-atelier-squat : la Factory.

Pour beaucoup qui n’ont pas pénétré l’entrée de cet immeuble (c’est-à-dire tout le monde), le lieu aux murs recouverts de papier aluminium a une dimension mythologique. C’est un temple et une usine, où on vénérait l’époque et où se fabriquait en même temps le discours le plus acéré à son encontre. Mais tous les gens qui y passaient étaient merveilleusement dans le coup, souvent très beaux, délurés comme c’est pas permis. Et c’est ainsi que les Ondine, Viva, Brigid Polk, Gerard Malanga, Paul America, Eric Emerson ou Billy Name ont été les premiers fantassins d’une internationale underground. Ils étaient inconnus, Warhol en a fait ses «superstars». Le bestiaire que l’artiste constituait autour de lui a dépassé son voyeurisme cruel. Le glamour n’a jamais été le même après Candy Darling - et tant pis pour les abrutis qui ne sont pas d’accord parce qu’elle n’était pas née femme -, et toute fille moderne se couvre les paupières d’un maquillage charbonneux dans un hommage inconscient à Edie Sedgwick ou Nico.

Show du Velvet

Ces figures sont présentes au centre Pompidou-Metz. On voit Sedgwick, héritière et «it girl» junkie, sur des images en noir et blanc, on entend l’accent allemand de Nico résonner entre les cimaises, qu’il s’agisse d’extraits d’interviews, de films ou bien de son aventure avec le Velvet Underground. Mais toute la bande de géniaux partouzeurs, de camés à l’os et autres comportements antimoraux (auxquels très peu survivront) est présente au fond. C’est sans doute la principale caractéristique, et peut-être l’écueil de l’exposition : comme par besoin de réhabiliter Warhol, sont surtout mis en avant ses mariages avec une culture, alors contre-culturelle, ensuite habilitée au point de devenir académique et suprêmement légitime. Ainsi de l’influence des expérimentations sonores du musicien John Cage, qui marqua Warhol, ou des collaborations avec le chorégraphe Merce Cunningham, ou la bande avant-gardiste du Judson Dance Theater… Tous les autres, les «freaks» ne sont que très peu célébrés comme ce qu’ils étaient pourtant : des inventeurs d’un mode de vie.

Mais le mot «Underground» du titre de l'exposition évoque instantanément le Velvet Underground. Voilà la plus grande œuvre d'Andy Warhol, avoir accompagné un groupe de rock, rencontré au Café Bizarre en novembre 1965, et l'avoir amené vers l'Olympe de la pop. On voit les pochettes du vinyle, avec son invitation à «éplucher doucement» une banane et «à voir». A voir quoi ? Ce que la contre-culture peut faire de mieux, tous genres confondus : musicaux (on pourrait consacrer 14 thèses de troisième cycle pour simplement effleurer le génie expérimental de l'album), vestimentaires (les lunettes noires avec la tenue sombre, la vraie silhouette «héroïne chic», c'est elle), comportementales (l'incomparable et ravageuse méchanceté de Lou Reed), médiatiques, l'ancien publicitaire qu'était Warhol s'y connaissant en plans promo. Et c'est avec un sens réussi de l'immersion que l'exposition nous plonge au sein de l'Exploding Plastic Inevitable, le show du Velvet présenté pour la première fois en France, dispositif scénique total où le groupe jouait et servait d'écran à des projections colorées. On est assis sur des poufs et on regarde dans tous les sens, en panoptique, l'esprit de 1966, attirés par ces corps qui s'agitent et bougent. En dansant, on reconnaît quelques mouvements très rock 50's et d'autres qui préfigurent la façon actuelle d'onduler en boîte. Mais ces corps, on ne peut pas les toucher alors que les Silver Clouds oui.

Dans une salle a été recréé l’installation datant de 1966, des ballons argentés gonflés à l’air et à l’hélium qui avaient été disposés dans une galerie d’art et accompagnaient les mouvements de danseurs de Merce Cunningham. On a le droit de jeter les ballons en l’air, de faire du foot avec. Les enfants adorent.

Mais la plus grande immersion warholienne se fait dans son cinéma, ses célèbres Sleep (un homme qui dort), Empire (un plan fixe d'un gratte-ciel), Sleep, Kiss, Haircut ou Eat. Ou encore les magnifiques Screen Tests. Le cinéma warholien est comme l'affiche de Chelsea Girls, qu'il réalisa avec Paul Morrissey : un splendide corps rempli de trous, d'ouvertures. Mais, et c'est sûrement le trait d'union entre notre Warhol actuel et celui d'alors, se dessine la certitude d'être face à un cousin new-yorkais de Cocteau. Un mondain qui saisissait sur la pellicule la fugacité de l'existence, qui montrait des êtres dont il était évident qu'ils allaient se transformer en fantômes, qui disait : «La mort peut vraiment faire de vous une star.» Aussi immersive, bien réalisée et efficace que soit «Warhol Underground», on ne peut que constater que toutes ces chairs en mouvement, en fusion, ne sont plus là. C'est triste, tout simple, superficiel et logique et c'est sans doute le plus warholien des constats.

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