Chokrane - Et si Google devenait votre banquier...

La création d'un conglomérat nommé "Alphabet" par les dirigeants de Google a pour but de rassurer les investisseurs. Et quelle sera l'étape suivante ?

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Et si Google était votre prochain banquier ?

Temps de lecture : 8 min

Quel rapport peut-on trouver entre un thermostat intelligent, une lentille mesurant le taux de glycémie, une voiture autonome et un moteur de recherche sur Internet ? A priori, aucun...  Et pourtant, ces projets font partie d'un écosystème cohérent qui ne manque pas de génie... Explications.

Le génie des créateurs de Google

Alphabet, la société holding nouvellement créée, englobera huit sociétés : Google et ses activités traditionnelles et lucratives (la publicité en ligne), XLabs (la Google Car, la voiture sans chauffeur, les lunettes Google Glass), Calico (projet médical visant l'immortalité de l'être humain), Sidewalk Labs (l'urbanisme du futur), Nest Labs (les thermostats intelligents et les objets connectés), Fiber (le fournisseur d'accès à Internet via la fibre optique), Google Ventures et Google Capital, deux fonds d'investissement.

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Suprématie incontestée dans l'économie des savoirs

La force de Google, c'est l'accès aux données. Via le moteur de recherche que vous utilisez pour avoir des informations sur un sujet qui vous intéresse, Google connaît vos goûts. L'entreprise californienne est le leader incontesté de la recherche en ligne : 75 % de parts de marché en Amérique du Nord et 95 % en Europe. Via les navigateurs Chrome et Firefox (utilisés par deux tiers des internautes), il connaît votre navigation sur Internet et les pages que vous visitez sur un site, et même vos hésitations, les comparaisons que vous effectuez avant de choisir un produit. Lorsque vous utilisez un smartphone fonctionnant sous Android, le système d'exploitation le plus utilisé au monde par plus d'un milliard de personnes, la firme de Mountain View sait à quel endroit vous vous rendez grâce aux techniques de géolocalisation. Lorsque vous envoyez un mail ou lorsque vous en recevez un, via le service de messagerie Gmail, Google collecte aussi des informations. Via la plateforme de vidéos YouTube, le maître du Web est en passe de détrôner les chaînes traditionnelles de télévision qui voient leur audience diminuer. Google ne fait pas du big data, c'est LE big data intégrant toutes les dimensions de l'expérience client.

Non seulement l'écosystème Google est rentable via la publicité en ligne, mais il va également permettre aux innovations plus récentes de le devenir à leur tour. Parce que Google (via YouTube, Gmail, Chrome, Firefox, Android et bien d'autres services en ligne gratuits) collecte des données qui vont rendre les nouveaux projets réalisables. Par exemple, la Google Car a besoin de la cartographie (géolocalisation) de Google. Tous les autres projets s'appuient sur les données collectées et connectées. Il y a quelques jours, la firme de Mountain View vient de s'associer avec la société DexCom pour fabriquer un objet connecté miniature destiné à mesurer le taux de glycémie et à transmettre ces informations aux diabétiques. Les objets connectés, l'urbanisme et la médecine du futur s'articuleront autour de la collecte et du traitement des données. Enfin, les fonds d'investissement pourront, grâce à ces informations, évaluer avec davantage de précision les potentialités des nouveaux projets dans lesquels ils envisageront d'investir.

Les activités traditionnelles de Google servant à financer et à préparer les activités du futur forment également le squelette de l'infrastructure de base qui collecte les données indispensables au bon fonctionnement de celles-ci. Le business model initial (la publicité en ligne) arrive à maturité, même si ses perspectives de développement sont encore intéressantes, elles ont perdu de leur superbe. Et lorsqu'elles seront stagnantes ou déclinantes, les futurs relais de croissance seront prêts.

Google, un géant qui n'est pas sans faille

Pourtant, Google a connu quelques échecs qui édulcorent ses ambitions, car le marché publicitaire en ligne trouvera son développement sur les réseaux sociaux. Certes, le géant possède YouTube, mais pas les autres : Facebook, Snapchat, ainsi que d'autres plateformes lui ont ravi le leadership. Par ailleurs, Android, le système d'exploitation des smartphones, est dépendant des fabricants chinois (Huawei) et coréens (Samsung), devenus leaders sur ce marché. En termes de potentialité, il y a un risque car ces fabricants, ayant désormais les capacités technologiques de créer leur propre système d'exploitation, pourraient décider de ne plus mettre Android sur leurs smartphones. Ce pourrait être un coup dur pour la firme californienne.

L'avenir de Google, logiquement, c'est la banque

Ce qui fait la force de Google (le traitement de l'intangible) est aussi une faiblesse (absence d'actifs tangibles hardware). C'est pourquoi Google aurait intérêt à renforcer son leadership dans la gestion des actifs intangibles en se lançant dans une banque en ligne, dématérialisée et gratuite. Les téléphones mobiles deviennent des terminaux de paiement sans contact via Internet. Ils existent déjà. Même si nous utilisons encore les cartes de crédit, ces dernières sont en passe de devenir dépassées d'ici à quelques années.

Qui d'autre que Google est le mieux placé sur la planète pour devenir la première banque globale, accessible depuis tous les continents ? Les services bancaires via les mobiles constituent aujourd'hui un enjeu de développement stratégique dans les pays qui manquent d'infrastructures bancaires et téléphoniques. Et ce n'est pas un hasard si Google a développé le projet Loon (des ballons d'hélium donnant accès à Internet à des régions sans infrastructure). Plus de quatre milliards d'individus pour l'instant privés d'Internet pourront y avoir accès sans passer par l'installation d'infrastructures trop coûteuses pour des États pauvres.

Des banques traditionnelles en perte de vitesse

Face à Google, les banques traditionnelles se débattent dans un business model usé et une structure de coûts trop élevés. Elles ne cessent d'ajuster leurs effectifs mais ne pourront pas rattraper leur retard technologique par rapport à Google. Elles ont pour beaucoup perdu la confiance de leurs clients et sont d'ores et déjà affaiblies par de nouveaux modes de paiement (Paypal, Apple Pay), et bientôt par le financement participatif au moyen duquel des particuliers ou des entreprises empruntent directement à d'autres particuliers (crowdfunding) et par l'épargne en ligne (le chinois Alibaba propose des services d'épargne).

Il n'y a qu'à voir la capitalisation boursière de toutes les banques françaises réunies, soit environ 170 milliards d'euros, qui ne pèse pas grand-chose face aux 460 milliards de dollars de Google, sans compter les énormes différences d'effectifs, un demi-million de personnes dans les banques classiques françaises, 50 000 employés chez Google pour le monde entier.

Google pourrait proposer des comptes bancaires gratuits, accessibles depuis tous les recoins de la planète, sans passer par une application mais directement via le navigateur, le système d'exploitation ou le moteur de recherche. La firme de Mountain View a des infrastructures fiables et un capital confiance à ne pas négliger. Les capitaux engrangés pourraient aussi servir de fonds propres à la future banque.

Une forme d'aboutissement

Vous cherchez de l'information sur Internet, vous allez sur Google. Vous surfez, vous comparez divers sites avant de prendre votre décision, vous le faites via des navigateurs qui appartiennent à Google. Lorsque vous vous déplacez physiquement, grâce aux techniques de géolocalisation, la firme californienne sait où vous vous trouvez. Bientôt, lorsque vous paierez, vous utiliserez votre téléphone mobile. Quant au frein à l'adoption, on peut raisonnablement penser qu'ils seront minimes. Aujourd'hui, on naît avec un smartphone à la main et cela pourrait bien constituer une nouvelle donne, ce d'autant plus qu'une forte partie de la jeunesse est soit au chômage, soit possède un travail précaire.

Imaginez un monde où Google serait capable de collecter et de traiter des informations telles que vos goûts, vos habitudes, votre pouvoir d'achat, ce que vous avez sur votre compte en banque, vos revenus, la façon dont vous dépensez votre argent, si vous êtes économe ou dépensier, vos dépenses pour des soins médicaux, votre état de santé, vos déplacements, vos horaires habituels, la température qu'il fait chez vous, etc. Google pourra collecter des données (via les autres entités du consortium Alphabet) qui pourraient faire progresser la médecine et des pans entiers de la connaissance. Elles pourraient aussi être revendues à d'autres entreprises, à prix d'or.

Un combat d'arrière-garde

Ce pourrait être la naissance de la première banque globale au monde (contrairement aux banques actuelles qui sont présentes sur tous les continents et qui sont simplement transnationales, mais pas mondiales) accessible depuis un coin reclus d'Afrique via un mobile low cost ou bien depuis les laboratoires les plus à la pointe de la recherche scientifique. Avec toutes les données collectées, "Google Bank" pourrait financer les projets économiques d'avenir et devenir un instrument puissant de redémarrage de l'économie mondiale.

Quoi qu'il en soit, Google est la pierre angulaire d'un écosystème aux potentialités quasiment infinies, tout à fait cohérent, en cours de construction, qui n'a pas fini de changer radicalement nos vies. N'en déplaise aux détracteurs ou aux Comités Théodule qui voient en Google une sorte de Big Brother, il est désormais trop tard pour s'y opposer : il fallait réfléchir avant ! Quant à la France ou à l'Europe, qui se débattent dans des problématiques louables de protection ou de sécurisation de la donnée individuelle, le combat semble bien d'arrière-garde, car, comme en matière de sécurité physique, il n'existe pas de porte blindée inviolable.

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Commentaires (3)

  • Sputnik

    Google est déjà dans des échanges immatériels bancaires. Son écosystème paie pour utiliser des outils développés par Google. En ce sens c'est déjà de la transaction bancaire. Vous avez raison la prochaine étape sera de devenir une banque en ligne globale.

  • naturlish

    Je ne sais pas pourquoi ça me fait irrésistiblement penser au livre d'Aldols Huxley que pourtant j'ai lu il y a près de 60 ans.

  • benmm

    On sait bien que les créateurs de Google, notamment Serguei Brin, sont très intelligents. Mais cela ne leur donne pas tous les droits. Même si c'est pour le bien de l'humanité, il faut absolument réguler la collecte des données ! On ne peut tout de même pas les laisser faire et devenir Big Brother !

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