Impasse politique à Ankara où l’AKP s’oriente vers des élections anticipées
Le président Erdogan veut une majorité pour créer un régime… présidentiel.
- Publié le 16-08-2015 à 19h06
- Mis à jour le 17-08-2015 à 07h05
Il n’y a pas actuellement de plateforme idéale pour la constitution d’un gouvernement de coalition" , a constaté le président du Parti de la Justice et du Développement (AKP), dix semaines après que le parti au pouvoir a perdu la majorité absolue au Parlement, ouvrant une crise politique qui semble loin de se terminer en Turquie.
Dans ce contexte, " l’éventualité d’un nouveau scrutin législatif augmente, on peut même dire que c’est la seule option" , a convenu Ahmet Davutoglu, ajoutant que cette élection bénéficierait à l’AKP "puisqu’il ne lui manque que 18 sièges de députés pour pouvoir former seul un gouvernement" .
La décision de rejouer le scrutin de juin n’est pas encore prise, le Premier ministre turc affirmant vouloir poursuivre ses pourparlers avec la petite formation ultranationaliste du MHP. Le parti avait tôt opposé une fin de non-recevoir aux propositions d’alliance de l’AKP, le mois dernier, mais n’a pas fermé la porte à une nouvelle rencontre. Il reste jusqu’au 23 août pour trouver une formule qui permettrait d’éviter de convoquer une nouvelle consultation électorale, mais l’espoir est cependant mince : le leader du MHP Devlet Bahçeli se dit, comme beaucoup, persuadé que l’AKP ne cherche qu’à "gagner du temps" et a déjà "pris la décision de tenir un scrutin anticipé" .
C’est aussi la conclusion à laquelle est arrivé le chef du CHP, Kemal Kiliçdaroglu, après l’échec des négociations menées avec Ahmet Davutoglu, jeudi : "On ne nous a jamais proposé de former une coalition gouvernementale, mais de soutenir un gouvernement qui serait chargé, à court terme, d’organiser des élections législatives" , a-t-il expliqué, jetant le doute sur la sincérité du Premier ministre en charge.
Pour M. Kiliçdaroglu, le but du CHP était de constituer "une coalition gouvernementale réformiste", "sans tabou" , mais "l’AKP n’en voulait pas" .
Le but de la manœuvre paraît bien d’éviter la consultation d’un gouvernement de technocrates, à parité entre les quatre partis représentés au Parlement, chargés de diriger le pays jusqu’aux élections, comme le veut la Constitution.
M. Bahçeli a en tout cas bien spécifié qu’il était totalement " opposé à apporter son soutien à un gouvernement minoritaire" (de l’AKP), tout comme à un gouvernement formé "dans le seul but de convoquer des élections" .
Autrement dit : le blocage est total et les objectifs de l’AKP paraissent bien obscurs. Dans une semaine, à l’expiration du délai constitutionnel de 45 jours pour former une coalition de gouvernement, que peut décider le parti de gouvernement ?
Vers un régime présidentiel musclé
C’est dans ce contexte que le président Erdogan, que l’on soupçonne de continuer à diriger en sous-main l’AKP et le gouvernement, a tenu des propos surprenants et inquiétants sur l’avenir politique du pays : "Qu’on le veuille ou non , a-t-il lancé vendredi, le système politique en Turquie a changé. Désormais, le pays a un Président effectif, et non plus symbolique. Avec l’élection au suffrage universel de son président, le 10 août 2014, nous sommes entrés dans une nouvelle ère. Ce qu’il faut faire maintenant, c’est faire avaliser cet état de fait dans la Constitution ."
Pour le professeur de droit Sami Karahan, de l’Université Marmara d’Istanbul, cette proclamation est ni plus ni moins qu’"un coup d’Etat" . Comme lui, de nombreux juristes et constitutionnalistes considèrent que le Président, qui réclamait déjà avant le scrutin du 7 juin qu’on lui donne 400 députés pour faire passer le pays au régime présidentiel fort, sera tenté, maintenant que son pari a échoué, de choisir la manière forte pour parvenir à ses fins. Car les sondages indiquent qu’en cas de nouvelle élection, qui pourrait se tenir dans les trois mois, l’AKP ne parviendra pas à obtenir la majorité nécessaire pour modifier la Constitution.