On voulait raconter l’univers d’un écrivain, on se retrouve devant un secret-défense. Furieux que Le Monde engage, cet été, une série d’articles dont il n’a pas l’initiative, Michel Houellebecq nous a répondu, le 26 juin : « Je refuse de vous parler et je demande aux gens que je connais d’adopter la même attitude. »
En copie de son mail, le Tout-Paris, des philosophes Bernard-Henri Lévy et Michel Onfray en passant par l’écrivain Frédéric Beigbeder. Consigne leur est donnée, si Le Monde persévérait dans son entreprise, de ne pas hésiter à « porter plainte au civil » : « La procédure judiciaire est finalement simple, et plutôt lucrative. » Et d’ajouter qu’il a décidé de se confier au Figaro Magazine (hebdomadaire que, dans son livre avec BHL, Ennemis publics, il n’hésitait pas pourtant à traiter aimablement de « torchon »),« demand[ant] aux gens qu’[il] connaît de faire le même choix ».
Ce n’est pas la première fois que Michel Houellebecq tente d’intimider la presse. En 2005, un journaliste passé par l’AFP puis par Le Point (et aujourd’hui à L’Obs), Denis Demonpion, demande à s’entretenir avec l’écrivain. Il veut écrire sa biographie. Tout est fait pour l’en dissuader. Raphaël Sorin, qui édite alors Houellebecq, propose au journaliste d’« insérer les remarques » de son auteur, « après lecture, en appels de notes », comme l’avaient fait, explique-t-il avec Houellebecq au futur biographe, Malraux ou Schopenhauer. Refus du journaliste. « Les entretiens sont pour moi un exercice très décevant, plaide Houellebecq par mail, en vain. J’ai l’impression que ce que je dis n’a aucun intérêt. » Puis Houellebecq écrit au reporter pour lui faire croire qu’il va publier son autobiographie avant la sortie de sa « bio ».
Ses désirs sont des ordres
Houellebecq non autorisé paraît en 2005 chez Maren Sell (une édition augmentée est en cours d’écriture). Denis Demonpion a mis la main sur l’acte d’état civil de l’écrivain, qui s’était rajeuni de deux ans, et a « retrouvé » sa mère, que son fils disait morte (elle s’est éteinte le 7 mai 2010). Evidemment, un homme de l’imaginaire a le droit de mentir : de Nietzsche à Céline, c’est presque une spécialité. Mais Houellebecq devient comme fou. Il bannit de sa vie ceux qui ont raconté leurs souvenirs, tel l’écrivain Dominique Noguez, pourtant l’un de ses alliés les plus dévoués. « Je regrette (…) de ne pas avoir (…) tenté sur l’auteur de la biographie un peu d’intimidation physique », confiera, en 2008, Houellebecq à BHL. Depuis, l’ouvrage est régulièrement cité par les universitaires et dans les actes de colloques consacrés à l’écrivain, auxquels il assiste carnet à la main, au premier rang.
« Je me souviens que, lorsque le livre était paru, Michel avait été finalement soulagé, comme si son vrai secret n’avait pas été percé », raconte aujourd’hui l’éditeur Raphaël Sorin. « Il y a à l’évidence plusieurs points sensibles dans sa vie, sourit Maren Sell, l’éditrice de Houellebecq non autorisé, mais j’ai constaté que cet homme crée autour de lui des climats de dépendance, positive ou négative. » Ses désirs sont des ordres. « Si je vous parle, je perds mon job… », explique-t-on chez Flammarion. Teresa Cremisi, son éditrice ad vitam aeternam, comme le puissant agent de l’écrivain, François Samuelson, prennent des airs désolés : « Il peut [vous] quitter à jamais pour une ombre au tableau… » « Pour ne pas mettre en danger la santé de Michel », son ancienne compagne Marie-Pierre Gauthier est contrainte de décommander le deuxième rendez-vous. Le réalisateur de l’épatant Enlèvement de Michel Houellebecq, Guillaume Nicloux, annule l’entretien prévu d’un texto : « Que ne ferait-on pas pour un ami… » Jusqu’à ces universitaires qui s’exécutent, « navrés ». Une vraie scène de… Soumission.
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