Boko Haram : une question de paradoxes


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Le terme « Boko » n’est pas originellement haoussa. Contrairement à ce que l’opinion commune veut l’entendre, « Boko » vient de l’anglais « book » (livre). C’est l’appropriation par la langue haoussa du mot anglais pour désigner l’école laïque et par extension la culture du colon anglais. « Boko » est donc devenu la « culture » des Blancs. « Haram » signifie ce qui est illicite selon la religion islamique. La thèse de Boko Haram est donc vite trouvée : « L’éducation occidentale est un péché ».

Mouvement salafiste, Boko Haram surgit en 2002 dans l’Etat de Borno au Nord-Est du Nigéria, dans un contexte social marqué par le désoeuvrement de la jeunesse et un fort ressenti d’injustice. Issue de l’islam sunnite, la secte va nettement se démarquer en puisant dans une lecture rigoriste et fondamentaliste du Coran, les ressources nécessaires pour s’émanciper des réalités socio-économiques décevantes. C’est ainsi que l’idée d’appliquer la Charia – Loi islamique – sur tous les territoires majoritairement musulmans du pays apparaît comme la panacée. Des accointances internes avec le politique, des arrangements et financements intérieurs et extérieurs ont progressivement fait de ce mouvement fondamentaliste une machine incontrôlable.
L’avènement d’Aboubakar Shekau, à la mort controversée du fondateur Mohamed Yusuf en 2009, ancien étudiant en théologie, va augurer des lendemains plus incisifs. Le mouvement se profilera autrement, passant de la phase d’endoctrinement à la terreur. Ce modus operandi va davantage s’imposer. D’abord actif au Nigéria, son terrain d’émergence, ses propensions vont toucher le Cameroun, le Tchad et le Niger. Boko Haram est une secte islamiste ayant pour visée tardive d’instaurer un califat. Ses leaders le croient-ils vraiment ? Pas si sûr.

Comme le souligne le philosophe allemand Jürgen Habermas, un des aspects du terrorisme c’est qu’il pousse à l’absence de buts réalistes. Mon analyse ne consiste pas simplement à dénoncer le barbarisme de ce mouvement, mais à mettre surtout en lumière ce magma de contradictions.Visiblement, Boko Haram affiche un complexe d’infériorité qui se traduit par le paradoxe d’une allégeance à l’Etat Islamique. A titre de rappel, ce dernier a vu le jour longtemps après le premier. Jusqu’à ce jour, il n’y a pas à proprement parler une acceptation officielle de Boko Haram par cette mouvance qui s’est installée au Proche-Orient (EI). Dans son article publié à Breitbart News le 19 janvier 2015, Mary Chastain faisait écho d’une absence de certitude de rapports étroits entre les deux mouvements. Pire, l’idée selon laquelle les courants salafistes arabes seraient profondément racistes et ne traiteraient pas d’égal à égal avec un mouvement noir ne semble pas absurde. Et si l’Etat islamique ne veut pas d’adeptes noirs dans ses rangs au motif que ces derniers sont maudits autant dans la Bible que dans le Coran ? Pour l’instant, aucune action terroriste de Boko Haram n’a été à proprement parler revendiquée par l’Etat islamique. Certes, ce dernier partage théoriquement, avec la secte africaine, une vision rigoriste de l’islam. Cependant, force est de constater que Boko Haram procède par imitation en revendiquant bruyamment le projet de créer un califat pour toute l’Afrique de l’Ouest par exemple.

Outre cette subordination hâtive dont la secte fait montre, tout le monde s’accorde à employer le terme « Kamikaze » pour désigner les bombes humaines de Boko Haram. L’usage du vocable japonais « Kamikaze » conforte l’idée que la secte ait convaincu des individus au point que ces derniers aient à leur tour offert leur vie pour une cause assumée. A la vérité, l’usage du terme « Kamikaze » est très discutable sinon absurde dans ce contexte si complexe. Ces jeunes filles et garçons qui explosent dans de nombreuses localités du Nigéria, à Ndjamena, à Fotokol ou à Maroua et ailleurs au Cameroun sont les premières victimes de cette organisation. Ce sont des bombes humaines, des torches humaines dont se sert Boko Haram pour semer la terreur à tout va. Or, dans son acception originelle, le Kamikaze est un « homme libre », « vent divin » en japonais, qui choisit la mort comme tactique militaire jusqu’au-boutiste pour réduire à néant l’ennemi. Finalement, on dirait que dans le contexte de l’insurrection islamiste de Boko Haram, l’ennemi est indistinct.

Revenons aux procédés de recrutement : l’endoctrinement, l’argent et la coercition. Le premier est basé sur un enseignement prétendument rigoriste de l’islam dans un environnement clos. Chaque disciple en arrive à être un martyr potentiel. Des mariages forcés y sont pratiqués avec des filles arrachées à leurs propres familles et des veuves de martyrs affectées à de nouveaux époux. L’argent est aussi l’appât idéal pour de nombreux jeunes désoeuvrés et sans instruction qui croient avoir trouvé une voie « salutaire ». Outre l’enseignement et l’argent, la secte use de la coercition pour investir définitivement les individus et les vider de leur humanité.

Des témoignages insoutenables font état d’une catégorie de jeunes à qui ont imposerait le devoir de tuer leurs propres parents, d’en boire le sang et d’embarquer manu militari avec les geôliers du mouvement. Ils sont donc physiquement et psychologiquement transformés au point d’agir comme des bêtes sauvages en furie. Dans cet univers austère, se dessine un autre paradoxe : l’enseignement islamique salafiste qui se veut originel cohabite avec la magie noire et l’usage de gris-gris. La consommation de la drogue dure y est non seulement fréquente mais obligatoire. Tout le contraire de ce que prescrivent le Coran (5:90) et la Sunna (paroles et gestes).

A l’inverse des valeurs humanistes de l’islam, Boko Haram endoctrine, brutalise et tue au nom d’une guerre contre l’Occident. Cependant, pour y arriver, la secte s’acharne sur les populations autochtones, donc africaines. L’école, le symbole de cette occidentalisation tant redoutée et haïe en fait les frais. Les églises considérées comme vitrines de la religion des Blancs vont subir de plein fouet et de façon continue cette oppression. Mais la cible c’est aussi sinon davantage les pratiquants de la foi islamique. Les musulmans sont massacrés alors même qu’ils sont des fois en pleine séance de prière dans les mosquées. Les murs sont maculés de sang. Les villages entiers, où vivent en majorité des populations analphabètes, passent aussi au crible de ces attaques tous azimuts.

Au juste, où est l’Occident tant haï par l’idéologie de ces Salafistes dans toute cette manoeuvre ? Boko Haram ne s’est pas simplement contenté de se ruer contre les symboles de la culture européenne. Il s’est inscrit dans la logique de détruire l’autochtone, modifier durablement son anthropologie en y inscrivant la peur permanente, semer la terreur en banalisant la mort. C’est ainsi que l’exaltation de la pulsion de mort est devenue un habitus de Boko Haram.
Le parcours est hérissé de nombreux autres paradoxes comme l’armement utilisé. L’anti-occidentalisme militant de Boko Haram est mise à rude épreuve. Idéologiquement, l’usage des armes de guerre par le mouvement terroriste parle de lui-même. Comment peut-on à la fois s’inscrire en faux contre l’Occident et faire si habilement usage de son arsenal technologique ? Certes, des usines de fabrication de bombes ont été démantelées à Dikwa. Mais l’essentiel de l’armement n’est-il pas occidental ? Les statistiques de l’arsenal militaire de Boko Haram révèlent que deux armes sur cinq seraient de fabrication française !

Les ennemis jurés de la culture européenne se servent de l’outil occidental pour éradiquer les populations noires. Aussi, les otages occidentaux ne font que l’objet de chantage mais jamais de mort. Tant mieux. Quelle personne sensée leur voudrait une fin si tragique. La famille Moulin-Fournier, dont l’image des enfants sereins a ému le monde, le Père Georges Vandenbeusch, ses confrères italiens Giampaolo Marta et Gianantonio Allegri, la religieuse canadienne Gilberte Bussier ont été enlevés au Cameroun. On peut citer aussi les dix otages chinois dont un a brutalement trouvé la mort à Waza ainsi qu’un allemand, Nitsch Eberhard Robert, enlevé en territoire nigérian. Boko Haram a besoin d’argent et oublierait momentanément – comme par hasard – sa cible première qu’est la culture occidentale. On peut considérer le kidnapping de l’épouse du Vice-Premier ministre camerounais Amadou Ali ainsi que le chef traditionnel de la localité de Kolofata et sa famille, comme participant de cette logique de cupidité de la secte militaro-religieuse. Au final, c’est le contribuable camerounais qui a monnayé indistinctement ces libérations à coup de millions. Le Cameroun a-t-il été soutenu dans sa démarche ? Un omerta pèse sur cette question aux allures de secret de polichinelle.

Les pays de la sous-région s’organisent avec le Nigéria à la tête du commandement militaire qui sera basé à Ndjamena. Seulement, comment interpréter le refus américain de fournir de l’armement à Abuja alors que le besoin est si crucial ? C’est pourtant depuis les Etats-Unis que le slogan « Bring back our girls » s’était véritablement externalisé et suscité une émotion vive dans le monde. Au final ce n’était pas plus qu’un épouvantail qui a produit du vent. Le mouvement s’est essoufflé et la hargne a fini par s’éteindre. Le président Muhammadu Buhari, démocratiquement élu dans un pays respectant l’alternance, n’obtiendra pas la matérialisation de l’aide du pays de l’Oncle Sam. Les arguments de Washington restent inflexibles : les droits de l’homme et la corruption, deux maux auxquels est sérieusement confronté le Nigéria. Le souvenir des bavures militaires dans ce géant d’Afrique de l’Ouest reste vivace. D’ailleurs des arrestations outrées à l’égard de nombreuses personnes avaient fait leur lit dans les Etats du Nord du Nigéria, dans la ville de Maiduguri notamment. Pour l’instant, tous les efforts du Nigéria en la matière n’ont pu convaincre ; même pas la nomination de nouveaux responsables au sein du commandement militaire. Vu d’Afrique pourtant, la situation des droits de l’homme aux Etats-Unis est loin d’être exemplaire. La banalisation du racisme anti-noir au sein de la police qui exécute de jeunes afro-descendants pour des motifs souvent ridicules, soulève de nombreuses indignations et montre devant la face du monde les contradictions intimes de cette société de « rêve ». La prolifération des armes sur son territoire est quasiment devenu un ersatz de religion.

Ainsi, l’Amérique paraît impuissante face au drame qui se produit fréquemment sur son propre territoire contre ses propres citoyens. En sera-t-elle capable au Nigéria ou ailleurs ? Certes, les Etats-Unis opèrent par de frappes aériennes ciblées mais le terrorisme gagne du terrain en Syrie et en Irak. La Turquie en fait les frais ; elle qui s’est longtemps murée dans la réserve. Qu’à cela ne tienne, aujourd’hui, en refusant de l’aide au Nigéria, les Etats Unis fournissent des armes aux pays du Golfe dont on mesure amplement le niveau peu édifiant de respect des droits de l’homme. Sans doute, il faut chercher les raisons de ce refus de soutenir militairement Abuja dans les méandres géostratégiques. Indiscutablement, le sentiment d’abandon qui affecte le Nigéria fait apparaître un autre aspect du terrorisme global dont parle Jürgen Habermas : « la capacité à tirer son profit de la vulnérabilité des systèmes complexes ». Autrement dit, il existe un ventre mou résumant l’ensemble des facteurs qui laisse encore prospérer Boko Haram. Les contradictions dans lesquelles baigne le mouvement font de lui une nébuleuse encore plus dangereuse qu’imprévisible. Il n’appartient ni aux seuls pays directement concernés, ni aux seuls Africains, de combattre ce fléau. Il y a un principe d’une rare universalité : ce qui est imprévisible est capable de nuire à tous, sans distinction aucune. Boko Haram n’est-il pas l’illustration limpide du nihilisme dont personne ne peut en mesurer les conséquences ultimes ? Le monde a ceci de particulier : il fonctionne sous le mode de fragmentations de frontières. Sortons de nos fausses murailles pour le constater et agir.

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