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Crime

« Les réfugiés feront tomber le mur » : La barrière anti-migrants de la Hongrie

Pour bloquer les migrants, le gouvernement a érigé une clôture le long de la frontière de 175 kilomètres qui sépare la Hongrie de la Serbie. Reportage.
Photo by Hugo Aymar

Mounir sort son téléphone pour consulter la carte et pour envoyer sa position WhatsApp à l'ami qui suit de loin son voyage clandestin à travers l'Europe. Il fait partie d'un groupe de 60 Syriens et Irakiens qui se repose, en bordure d'une forêt dense, dans la banlieue du village serbe de Kanjiza, à quelques kilomètres seulement de la frontière hongroise.

Soudain, l'un des chefs du groupe fait le tour du peloton, ordonnant à chacun d'éteindre sa cigarette et son téléphone portable, afin d'éviter d'être repérés par la police aux frontières et les bandits. Les hommes, les femmes et les enfants se lèvent avant de disparaître dans la nuit. Pendant un instant, les bâtons qu'ils ont à la main brillent dans le clair de lune.

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Mounir et ses compagnons voyageurs sont pris dans ce que les Nations-Unies considèrent comme la plus grande crise migratoire depuis la Seconde Guerre mondiale. D'après l'ONU, il y a aujourd'hui plus de 60 millions de réfugiés dans le monde.

La plupart des réfugiés fuient les conflits en Syrie et en Afghanistan. À eux s'ajoutent d'importants contingents de réfugiés venus d'Iran, du Pakistan et du Bangladesh. La traversée des Balkans depuis la Turquie reste la route la moins coûteuse pour rejoindre l'Europe.

Pour les migrants qui arrivent en Europe, la Hongrie est souvent le premier pays de l'Union Européenne (UE) qui fait partie de la zone Shengen. La Hongrie est le pays qui a le plus de migrants par habitant après la Suède, avec environ 110000 demandes d'asile depuis le début de l'année.

À lire : Ce n'est pas parce que la Jungle de Calais a son église, son école et sa « discothèque », que l'on peut y vivre.

Un groupe de Syriens franchit illégalement la frontière entre la Hongrie et la Serbie, en pleine nuit. Photo par Hugo Aymar

Moins de 1% des migrants qui traversent la Hongrie souhaitent s'y installer, et le pays est avant tout un lieu de passage pour les migrants désireux d'atteindre l'Autriche, l'Allemagne ou le reste de l'Europe. Pour endiguer l'afflux de migrants, le gouvernement de droite du premier ministre Viktor Orban a érigé une clôture le long de la frontière de 175 kilomètres qui sépare la Hongrie de la Serbie.

On parle à Mounir de cette solution anti-immigration du gouvernement hongrois. « Sérieux ? Sympa. Il leur a coûté combien, ce grillage ? » nous répond Mounir, en rigolant. « T'inquiète, on trouvera un moyen de le traverser. »

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« Qu'ils finissent leur frontière et on trouvera un moyen. Il y a un proverbe dans mon pays: 'Seule l'épreuve du feu produit l'acier le plus résistant.' L'Union Européenne s'est jetée dans le feu, elle a produit l'acier, et il est résistant. »

Plus tôt dans la journée, aux portes de Subotica, dernière ville serbe avant la frontière hongroise, Hassan, un imprimeur de Bagdad, et son ami Abbas sont assis à l'ombre d'un arbre. Il fait 45 degrés et les deux hommes transpirent dans la chaleur écrasante.

Ils ont établi un campement dans la nature, devant une usine de briques abandonnée. L'endroit est devenu une aire de repos improvisée, où les bénévoles distribuent de l'eau et de la nourriture et fournissent une aide médicale de base aux migrants. Soudain, un groupe de 10 Pakistanais apparaît. Ils nous demandent dans quelle direction se trouve la Hongrie, avant de disparaître à l'horizon.

L'ancienne usine de brique où les migrants font une halte avant de franchir la frontière. Photo par Hugo Aymar

Hassan a fui l'Irak après avoir reçu des menaces de la part d'une milice qui réclamait une rançon contre la libération de son frère kidnappé. Aujourd'hui, il tente de gagner la Belgique, où il espère obtenir l'asile pour faire un jour venir sa famille et construire une nouvelle vie.

« Je n'ai jamais quitté mon pays, même pendant la guerre, avec les voitures piégées, » nous dit Hassan. « J'avais un bon boulot et j'étais bien payé, mais aujourd'hui, je n'en peux plus, je suis face au danger. Parfois, quand je me balade dans la rue avec ma famille, mes enfants voient des cadavres dans la rue. Je ne veux pas qu'ils grandissent avec ça. »

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Non loin de l'usine de briques abandonnée. Photo par Hugo Aymar

Le premier ministre serbe Aleksandar Vucic a récemment dit être choqué par la clôture anti-migrants de la Hongrie. Certains craignent aujourd'hui que les réfugiés se retrouvent coincés à la frontière serbe.

Malgré les moyens déployés par la Hongrie, la frontière reste franchissable. La semaine dernière, 18 migrants ont été retrouvés dans le village hongrois d'Assothalom. Ils avaient passé la frontière après avoir réussi à couper le grillage à l'aide d'un coupe-fil. Communauté de 4 000 habitants, Assothalom n'a qu'un seul policier, et les autorités ont recours à des patrouilles de civils non armés pour surveiller la frontière.

À lire : La Hongrie construit un mur anti-migrants le long de sa frontière avec la Serbie

Au volant de sa Lada, Barnabas Heredi conduit un groupe de migrants interceptés sur une petite route de campagne vers un poste de police. Des villageois âgés font passer des bouteilles d'eau aux migrants épuisés, par-dessus leur portail.

Heredi explique à VICE News qu'il a commencé à travailler il y a un an, pensant que ce serait un boulot tranquille. « Je comprends pourquoi ces migrants ont dû partir [de chez eux], mais je ne les plains pas vraiment. On s'occupe bien d'eux ici et pourtant on a beaucoup de familles qui sont pauvres en Hongrie. Pourquoi les aider eux, plutôt que les Hongrois? »

Ce jour-là, plus de 200 migrants ont été appréhendés en moins d'une heure dans les champs d'Assothalom. Bientôt, ils seront transférés vers un centre de migrants où leurs demandes d'asile seront enregistrées.

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Ali, un photographe de mariage du nord de l'Afghanistan, essaye de rejoindre la Finlande. Il a marché toute la nuit pour passer de Serbie en Hongrie. « Nous devrions être un [seul] pays, sans frontière. Les réfugiés feront tomber le mur, » nous dit-il.

Photo par Hugo Aymar

À Budapest, VICE News a rencontré Zoltan Kovacs, un porte-parole du gouvernement hongrois. « Si c'est nécessaire, nous construirons une barrière à d'autres endroits de la frontière. Il faut qu'on arrête, il faut qu'on empêche cela aux frontières de l'Europe. C'est tout. »

La Hongrie partage sa frontière Est avec la Roumanie. Le gouvernement envisage-t-il de construire des barrières entre les États européens ? « On n'écarte aucune option. Il faut stopper ce flux migratoire illégal. Il n'y a plus de place en Autriche et en Allemagne. Il n'y a plus de place en Suède. Ils ont commencé à renvoyer les gens là où ils sont entrés [en Europe], c'est-à-dire en Hongrie. Et c'est un problème. »

Dans les villages frontaliers, certains élus voient les choses différemment. VICE News a parlé à Robert Molnar, le maire de Kubekhaza, la ville où ils ont commencé à poser la barrière. « Ça n'a rien à voir avec l'immigration, c'est de la politique intérieure. La barrière est tout simplement un geste obscène de l'extrême droite qui est en train de nuire à la réputation de la Hongrie au sein de la communauté internationale. Ça montre au monde qu'on se fiche de leurs problèmes. »

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Des migrants arrêtés après avoir franchi la frontière. Ils seront emmenés dans un centre pour être fichés et déposer leur demande d'asile. Photo par Hugo Aymar

La barrière va-t-elle aider à ralentir l'immigration vers la Hongrie ? « Il est possible que les migrants suivent la barrière jusqu'à Kubekhaza et en fassent le tour. »

Nous avons visité avec Molnar le chantier de construction de la clôture. À quelques mètres de là, on aperçoit une tour d'observation serbe et le clocher d'une église roumaine qui s'élève au-dessus des arbres. Un monument triangulaire blanc est érigé à l'intersection des trois frontières — symbole de paix et de coopération entre les trois pays.

Soudain, la barrière s'arrête. Des kilomètres de terrain vague s'étendent à perte de vue. Pour passer d'un pays à l'autre, il suffit de contourner le grillage. Trois rangées de fils barbelés s'agitent dans le vent.

Dans les bois, Mounir et son groupe ont passé la frontière hongroise. Soudain, un bébé se met à pleurer. Le groupe se fige. Les pleurs résonnent dans la nuit. Au loin, des chiens se mettent à aboyer. Soudain, une lampe électrique de la police perce la nuit et tout le monde se disperse.

« On a atteint le point de non-retour, mon ami. Je ne connais pas la destination, c'est peut-être tout droit, peut-être pas, on verra bien. On ne reculera pas, on ne capitulera pas. »

Suivre Andrew Connelly sur Twitter: @connellyandrew