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Les six vies de Michel Houellebecq

Retrouvez les six volets de notre série qui retrace l’univers de l’écrivain et les moments-clés de son parcours.

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Publié le 21 août 2015 à 12h06, modifié le 31 août 2015 à 10h20

Temps de Lecture 12 min.

Michel Houellebecq chez lui à Paris, en décembre 2014.

On voulait raconter l’univers d’un écrivain, on se retrouve devant un secret-défense. Furieux que Le Monde engage, cet été, une série d’articles dont il n’a pas l’initiative, Michel Houellebecq nous a répondu, le 26 juin : « Je refuse de vous parler et je demande aux gens que je connais d’adopter la même attitude. »

En copie de son mail, le Tout-Paris, des philosophes Bernard-Henri Lévy et Michel Onfray en passant par l’écrivain Frédéric Beigbeder. Consigne leur est donnée, si Le Monde persévérait dans son entreprise, de ne pas hésiter à « porter plainte au civil » : « La procédure judiciaire est finalement simple, et plutôt lucrative. » Et d’ajouter qu’il a décidé de se confier au Figaro Magazine (hebdomadaire que, dans son livre avec BHL, Ennemis publics, il n’hésitait pas pourtant à traiter aimablement de « torchon »),« demand[ant] aux gens qu’[il] connaît de faire le même choix ».

Ce n’est pas la première fois que Michel Houellebecq tente d’intimider la presse. En 2005, un journaliste passé par l’AFP puis par Le Point (et aujourd’hui à L’Obs), Denis Demonpion, demande à s’entretenir avec l’écrivain. Il veut écrire sa biographie. Tout est fait pour l’en dissuader. Raphaël Sorin, qui édite alors Houellebecq, propose au journaliste d’« insérer les remarques » de son auteur, « après lecture, en appels de notes », comme l’avaient fait, explique-t-il avec Houellebecq au futur biographe, Malraux ou Schopenhauer. Refus du journaliste. « Les entretiens sont pour moi un exercice très décevant, plaide Houellebecq par mail, en vain. J’ai l’impression que ce que je dis n’a aucun intérêt. » Puis Houellebecq écrit au reporter pour lui faire croire qu’il va publier son autobiographie avant la sortie de sa « bio ».

Ses désirs sont des ordres

Houellebecq non autorisé paraît en 2005 chez Maren Sell (une édition augmentée est en cours d’écriture). Denis Demonpion a mis la main sur l’acte d’état civil de l’écrivain, qui s’était rajeuni de deux ans, et a « retrouvé » sa mère, que son fils disait morte (elle s’est éteinte le 7 mai 2010). Evidemment, un homme de l’imaginaire a le droit de mentir : de Nietzsche à Céline, c’est presque une spécialité. Mais Houellebecq devient comme fou. Il bannit de sa vie ceux qui ont raconté leurs souvenirs, tel l’écrivain Dominique Noguez, pourtant l’un de ses alliés les plus dévoués. « Je regrette (…) de ne pas avoir (…) tenté sur l’auteur de la biographie un peu d’intimidation physique », confiera, en 2008, Houellebecq à BHL. Depuis, l’ouvrage est régulièrement cité par les universitaires et dans les actes de colloques consacrés à l’écrivain, auxquels il assiste carnet à la main, au premier rang.

« Je me souviens que, lorsque le livre était paru, Michel avait été finalement soulagé, comme si son vrai secret n’avait pas été percé », raconte aujourd’hui l’éditeur Raphaël Sorin. « Il y a à l’évidence plusieurs points sensibles dans sa vie, sourit Maren Sell, l’éditrice de Houellebecq non autorisé, mais j’ai constaté que cet homme crée autour de lui des climats de dépendance, positive ou négative. » Ses désirs sont des ordres. « Si je vous parle, je perds mon job… », explique-t-on chez Flammarion. Teresa Cremisi, son éditrice ad vitam aeternam, comme le puissant agent de l’écrivain, François Samuelson, prennent des airs désolés : « Il peut [vous] quitter à jamais pour une ombre au tableau… » « Pour ne pas mettre en danger la santé de Michel », son ancienne compagne Marie-Pierre Gauthier est contrainte de décommander le deuxième rendez-vous. Le réalisateur de l’épatant Enlèvement de Michel Houellebecq, Guillaume Nicloux, annule l’entretien prévu d’un texto : « Que ne ferait-on pas pour un ami… » Jusqu’à ces universitaires qui s’exécutent, « navrés ». Une vraie scène de… Soumission.

 

Ci-dessous, retrouvez les liens vers les six volets de notre série écrite par Ariane Chemin

 

La tour et le territoire 1/6

Si l’on s’envolait de quelques étages pour raconter Houellebecq ? Pour gagner les hauteurs du Chinatown parisien, d’où il contrôle le ballet du Tout-Paris.

Extrait :

Une tour haute comme un gratte-ciel, dans le XIIIe arrondissement de Paris. De ce sémaphore seventies, l’écrivain a fait son refuge. (...) Du haut de sa tour, l’écrivain pourrait dominer Paris. Profiter d’un « panorama exceptionnel», comme disent les agences immobilières, petites annonces et autres notices qu’il aime tant décortiquer. Mais l’appartement regarde davantage vers le périphérique que vers la capitale. « Il m’a expliqué qu’il ne voulait apercevoir aucun monument parisien », raconte le journaliste Sylvain Bourmeau, qui fut longtemps son confident. En Irlande, il s’était installé dans un lotissement sans âme, plein d’étranges sens giratoires, près de l’aéroport de Shannon. De son autre logement, un ancien bed and breakfast (« The White House »), on apercevait à peine la mer. En Espagne, où il a poursuivi ses douze années d’exil, « son bureau était installé au sous-sol » de l’appartement, confie Marie-Pierre Gauthier, sa seconde épouse, dont il est séparé.

Dans le monde, hors du monde : Houellebecq raffole des contradictions. Houellebecq est un déménageur qui aime les paysages de la banalité, « le seul à les raconter et en voir le romantisme, comme Tarkovski au cinéma ou Caspar Friedrich dans ses peintures », dit Arielle Dombasle, son amie. A son retour en France, il y a trois ans, il a écumé les Citadines de la capitale. Les appart-hôtels sont des logements pour sédentaires-nomades un peu perdus, les palaces de la post-modernité, au fond, pour artistes qui hésitent entre marge et intégration. Ceux de la place d’Italie et de la rue Esquirol toute proche lui avaient particulièrement plu. « Le bord du périph, c’est pratique : je prends ma bagnole et je file », explique le romancier à ses amis. Lire l’intégralité de l’article

Un gourou à « 20 ans » 2/6

Retour sur une période méconnue de la vie de Michel Houellebecq : celle de « 20 ans », le magazine « pour filles extra-averties ».

Extrait :

« A 20 ans, le magazine pour jeune filles, on raffole des pseudos : l’esprit potache des années 1980, comme sur les radios libres. Isabelle Chazot signe « Isabel Catolic » et Liberati, « Paul Pote ». Mais pas d’alias pour la nouvelle recrue. C’est sous son nom, Houellebecq, ce patronyme venu d’une famille de paysans et de pêcheurs du Nord-Cotentin mais son vrai nom d’écrivain, qu’il se résout, en décembre 1995, à donner au magazine un texte sur la fête, repris plus tard par ses soins dans son recueil Interventions 2 (Flammarion, 2009) : « Le but de la fête est de nous faire oublier que nous sommes solitaires, misérables et promis à la mort. Autrement dit, de nous transformer en animaux. C’est pourquoi le primitif a un sens de la fête très développé. » Ah, quels ravages ont dû faire les « boums » adolescentes et les slows amoureux sur un jeune Houellebecq, observateur douloureux de couples enlacés comme Tisserand, le héros d’Extension…

20 ans est devenu branché, comme Les Inrocks, et cela lui convient. « J’ai été depuis le début soutenu par des médias tendance : 20 ans, Technikart, toute une mouvance Canal+, glisse Houellebecq en janvier 1999 dans un entretien à la NRF. Ces gens ne sont nullement stupides. » Le mensuel ne rate aucune occasion d’ouvrir ses colonnes à l’écrivain totem. « Quand on est un gros rat, même un gros rat en décapotable, on ne ramasse rien, répond-il ainsi à Isabelle Chazot qui l’interroge sur les exclus de la drague. Les gens ne cherchent même pas le plaisir sexuel, mais plutôt la gratification narcissique ; la reconnaissance de leur valeur érotique par le désir d’autrui. » » Lire l’intégralité de l’article

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Six vies de Michel Houellebecq : un homme d’ordre et de loi

Le procès verbal 3/6

« L’islam, la religion la plus con… » En 2001, ces mots du romancier font scandale. Un an plus tard, il est au cœur d’un procès. Le spectacle est autant dans le prétoire que dans la salle des témoins.

Extrait :

« En cette fin d’été, on se presse sous les boiseries et les hautes croisées de la « dix-septième » comme pour une première de théâtre. Houellebecq joue à guichets complets. Les caméras de CNN et d’Al-Jazira restent à la porte, les écrivains Régine Desforges et Gabriel Matzneff s’asseoient sur les bancs encaustiqués. Michel Houellebecq ne se retourne pas sur les supporteurs de Bruno Mégret qui portent sur leurs tee-shirts une Marianne baillonnée.

« Ouiche… » « J’aurais un peu tendance à dire »… « Si vous voulez… » Le romancier répond laconiquement aux questions du président du tribunal, le souriant Nicolas Bonnal, un peu intimidé : c’est l’une de ses premières audiences à la 17e, après la figure du commandeur Montfort, qui avait régné dix ans sur ce salon des lettres où la courtoisie et le verbe sont rois. Comme Louis de Funès, comme Fabrice Luchini, Houellebecq transforme de sa seule voix la banalité du quotidien en épopée burlesque.

- « Vous êtes écrivain ?

– Dans le meilleur des cas, oui… », répond-il en posant le doigt sur ses lèvres. Les questions glissent sur lui telle l’eau sur la vitre : c’est comme si on demandait son avis sur l’islam à un clone de ses romans. « Je ne suis pas un intellectuel à la Sartre », dit-il. « Me demander un avis sur un sujet, quand on me connaît, c’est absurde, parce que je change d’avis assez fréquemment », ajoute-t-il. » Lire l’intégralité de l’article

Le corps à l’ouvrage 4/6

Coiffure, dents, métamorphoses… On parle beaucoup du visage de l’écrivain. Mais son corps en dit au fond davantage. Et chaque roman se lit aussi comme un bulletin de santé.

Extrait :

« Muscles et esprit gymnaste sont arrivés d’une autre manière, plus directe, plus personnelle, plus brutale. A l’automne 2014, pour la première fois, Michel Houellebecq offre son corps aux spectateurs. Cours de free fight avec ses ravisseurs dans L’Enlèvement de Michel Houellebecq, de Guillaume Nicloux, d’abord, puis danse solitaire en cycliste au sommet des montagnes chez Gustave Kervern et Benoît Delépine (Near Death Experience) : une vraie leçon d’anatomie. Il est le seul acteur ou presque et se tient de dos, les bras en croix. Pas de parka floue, pas de jean flottant ou de velours à pinces : il offre au spectateur ses cuisses et son dos moulés dans un cuissard de cycliste et un maillot Lycra. Un corps frêle, mais tonique et musclé, des mollets fuselés, presque les canons apolloniens seuls tolérés par les magazines.

D’ordinaire, c’est le visage de Michel Houellebecq qui fait la « une » des journaux. La partie commentée de son corps, à chaque apparition de la star. Réseaux sociaux, romans et journaux intimes de ses contemporains (de Philippe Muray à Stéphane Zagdanski), chacun y va de sa description et de son commentaire. A qui ressemble-t-il ? Paul Léautaud, ce clochard des lettres atrabilaire, ou Antonin Artaud, l’auteur duThéâtre et son double, qui de son propre corps avait fait un spectacle et le prolongement de son œuvre ? Françoise Sagan, comme dit la blogosphère ? Céline, à cause de la coupe et de la ligne de ses pantalons ? La chercheuse Agathe Novak-Lechevalier lui avait fait un jour remarquer que, sur la couverture de Poésie, aux éditions J’ai lu, il cultivait une ressemblance avec Baudelaire. « J’ai aussi une ressemblance avec Hugo période Guernesey, lui a répondu Houellebecq. Sauf qu’il a l’air plus dingue que moi. » » Lire l’intégralité de l’article

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Six vies de Michel Houellebecq : un livre, et au lit !

Trois jours et deux nuits au monastère 5/6

Suivant pas à pas Huysmans, l’auteur de « Soumission » a passé quelques jours à l’abbaye de Ligugé, en décembre 2013. Il n’y a pas trouvé Dieu, mais les moines ne l’ont pas oublié.

Extrait :

« Quand Michel Houellebecq se présente à la porterie de l’abbaye, ce soir d’hiver 2013, le Père Vincent, qui l’accueille, le prend d’abord pour un SDF. Il s’apprête d’ailleurs à diriger l’écrivain vers le dortoir de quatre lits réservé aux vagabonds, dans la tradition et l’esprit de saint Martin, qui avait déchiré son manteau en deux pour le donner aux pauvres. Les moines racontent la scène en riant. Heureusement le Père Joël arrive en courant, haute taille, grand sourire sous sa calvitie « de Pierre Moscovici » – c’est le détail cocasse que Houellebecq retient de lui dans Soumission. (...)

Durant son séjour, Houellebecq s’acquitte consciencieusement de sa vie bénédictine. Il déjeune avec les moines, à la table qui, au milieu de la salle voûtée, est réservée aux hôtes masculins de passage. L’abbaye a gardé de l’époque de Huysmans le goût de la bonne chère. Un vrai trois-étoiles Ligugé : légumes bio du potager, vins fins à chaque repas. Tierces, sextes, nones, vêpres, complies, l’écrivain se rend à plusieurs offices, mais les vitraux ne l’inspirent pas. L’église moderne (que les moines ont préféré à l’ancienne, où se rendait Huysmans, sur la place du village) ressemble, écrit-il dans Soumission, au « centre commercial Super-Passy de la rue de l’Annonciation ». » Lire l’intégralité de l’article

 

7 janvier, la collision tragique 6/6

Alors que Michel Houellebecq commence en fanfare la promotion de Soumission, les frères Kouachi font irruption dans la rédaction de Charlie Hebdo. Au moment même où elle était en train de rire et de se disputer au sujet du romancier…

Extrait :

En septembre 2014, il avait remporté un succès inattendu avec un petit essai, Houellebecq économiste, où il expliquait que, si Balzac avait été le romancier de la bourgeoisie et du capitalisme triomphants, l’auteur d’Extension du domaine de la lutte était celui de la finance et d’un modèle économique en plein déclin.

Il admirait Houellebecq comme une groupie et depuis si longtemps ! « Je le revois encore il y a quelques années, raconte le romancier toulousain Christian Authier, devant la Maison de la radio, qui me récitait des passages entiers et les plus beaux aphorismes des romans de Houellebecq. » C’était presque comme s’il avait écrit cet essai pour forcer une amitié. Son éditrice chez Flammarion, Noëlle Meimaroglou (aujourd’hui directrice littéraire chez Fayard), finit par arracher à Teresa Cremisi un rendez-vous avec l’auteur des Particules, à l’été 2014. Houellebecq économiste était achevé, mais qu’importe ! « Ce fut la rencontre de son année, raconte Dominique Seux. Je ne l’ai pas vu une fois entre septembre et sa mort sans qu’il me parle de Houellebecq. » Maris était l’homme des coups de foudre amicaux, Houellebecq est celui des amitiés séquentielles. Quelques dîners avant Noël avaient suffi pour échafauder quelques projets, un débat ensemble en mars : après le 7 janvier, en tout cas.

Michel Houellebecq, sur le plateau du journal télévisé de France 2, le 6 janvier.

Sur le nouveau calendrier de 2015, toute la critique littéraire a entouré cette date de rouge. Personne ne sait encore que ce sera un jour noir pour Charlie, pour la liberté de pensée, pour la France et l’esprit des Lumières, mais nul n’ignore que c’est le jour de parution du « nouveau-livre-évènement-de-Michel-Houellebecq », Soumission. Lire l’intégralité de l’article

 

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