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Liban

Qui sont ces jeunes accusés d'avoir fait déraper les manifestations à Beyrouth ?

Des jeunes manifestants face aux forces de l'ordre. Photo de Karim Badra.
Des jeunes manifestants face aux forces de l'ordre. Photo de Karim Badra.
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De nouvelles manifestations ont eu lieu ce week-end à Beyrouth à l’appel du mouvement "Vous puez", "Tala3t Rihatkoum" en arabe, pour protester contre l'incapacité du gouvernement libanais à gérer les déchets. Dimanche, en début de soirée, des violences ont éclaté, alors que des jeunes présents dans la foule ont attaqué les forces de l’ordre. Selon la Croix-Rouge libanaise, 43 manifestants ont été hospitalisés pour suffocation ou fractures. Deux cents autres ont été pris en charge sur place.

Source.

Nadine Mazloum, journaliste pour LBCI, première chaîne privée de télévision libanaise, a participé aux manifestations. Sur Facebook, dimanche soir, elle a listé ce qu’elle avait remarqué au cours de la manifestation et notamment au moment où certains groupes de jeunes ont eu recours à la violence.

Source.

"Ils utilisaient des barrières comme bélier pour passer les barbelés [la police avait fermé la rue qui permet d'accéder au Parlement, NDLR] et ils lançaient des morceaux de bétons arrachés sur trottoir. Samedi, la police anti-émeute était présente en plus grand nombre et avait attaqué les familles, femmes et enfants de manière disproportionnée. Dimanche, elle a été plus 'patiente', moins nombreuse et plus complaisante."

"Même nous, les organisateurs, on a été pris de court"

Joey Ayoub est membre du mouvement "Vous puez" et l'un des organisateurs des manifestations. Il confirme que les violences ont été déclenchées par des groupes de jeunes présents dans les cortèges de manifestants.

Vers 19 h, un groupe de jeunes a commencé à attaquer la police avec des pierres et des bouteilles d’eau. La police a répliqué avec des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et des canons à eau, en visant à l'aveugle. On a paniqué. Il y avait des enfants, des personnes âgées parmi nous. On était près de 20 000 personnes. Les réseaux internet et téléphoniques ne fonctionnaient pas bien. Et les canons à eau avaient détérioré notre système de communication par hauts parleurs. Une partie de la rue était bloquée. On a tenté de transmettre les instructions pour que tout le monde se dirige calmement de l’autre côté de la rue, vers la place des Martyrs. Mais nous aussi, les organisateurs, on a été pris de court.

La police utilise des canons à eau contre les manifestants. Source.

Lundi, dans la presse libanaise et sur les réseaux sociaux, beaucoup s’interrogeaient sur l'identité et l'origine de ces jeunes.

La journaliste Dima Sadek, présentatrice sur LBCI, affirmait sur sa page Facebook avoir reconnu parmi les instigateurs de la violence deux jeunes de Khandak El Ghamik, un quartier pauvre de Beyrouth, où se sont installés il y a 30 ans des familles chiites libanaises qui fuyaient l’occupation israélienne du Sud Liban. "Nous sommes tous de Khandak El Ghamik ", leur auraient-ils affirmé. Son post a été partagé des milliers de fois.

Source.

 

À la question que le journal "L'Orient-Le Jour" posait sans retenue "Qui a lâché ses chiens parmi les manifestants ?", beaucoup ont répondu en montrant du doigt le Mouvement Amal, mouvement politique chiite qui a participé à la guerre civile du Liban, allié du Hezbollah et actuellement dirigé par Nabih Berri, Président de la chambre des députés du Liban depuis 1992.

Source.

Une accusation démenti par des sources proches de Nabih Berri.

"Ils portaient des symboles religieux et des tatouages identitaires chiites"

Raby Zenno, ancien membre des Forces libanaises, parti politique et ancienne milice chrétienne pendant la guerre, manifestait dimanche contre toute la classe politique.

Cela ne laisse aucun doute. Ces jeunes sont des chiites, issus des quartiers pauvres de la ville. Ils sont faciles à reconnaître. Ils portent des symboles religieux et des tatouages identitaires. Certains d'entre-eux portaient l'épée d’Ali (Zulfikar) en pendentif autour du cou par exemple. La plupart ne sont pas éduqués. Ils étaient d'ailleurs très vulgaires dans leurs revendications : "De Jnah et Ghobeiry (quartiers chiites) on enc**** l’État.

Post facebook accusant ces jeunes d'appartenir au mouvement Amal. Source. 

Ce sont des voyous. Ils étaient agressifs même envers les manifestants. Certains avaient l'air complètement drogués et on ne pouvait rien leur dire. Lorsqu'ils ont lancé des feux d'artifice sur les forces de l'ordre, des femmes ont tenté d'intervenir mais ils les ont violemment poussées.

اعتصام اليوم هو لتنظيف البلد من هذا الجهل المفرط. نعم لاعتصام سلمي و حضاري. الرجاء من المتظاهرين الشرفاء توخي الحذر واكمال مسيرتكم. اناشد قوة الأمن باعتقال هؤلاء المشاغبين المدسوسين Please share @ #طلعت_ريحتكم

Posted by Mona El Khoury on Sunday, August 23, 2015
Des femmes tentent de raisonner les jeunes présents à la manifestation.Source.

Je ne pense pas qu’ils sont venus spontanément. Mon avis, c’est que Nabih Berri leur a dit de venir pour saper notre mouvement. D'ailleurs, certains d'entre-eux chantaient des slogans à sa gloire. Le mouvement "Vous puez" grandit et l’inquiète parce qu'il menace son pouvoir.

De jeunes manifestants près des barbelés. Source Karim Badra.

"C'était des casseurs, pas des chiites."

Joey Ayoub, reste quant à lui plus prudent et met en garde contre les discours sectaires.

On ne peut pas accuser un groupe politique en particulier. Nous sommes des manifestants laïcs, pacifiques et opposés à tout sectarisme. Et parmi nous, il y a des sunnites, des chiites, des chrétiens, des druzes, etc... On ne veut pas rentrer dans ce jeu de stigmatisation. Ce que l'on veut, c'est sortir de ce système confessionel que les élites politiques et médiatiques alimentent. Pour nous, c'était des casseurs, pas des chiites.

شيعة.. شيعة.. شيعة..

Posted by Albert Zakhia on Sunday, August 23, 2015
Jeunes chantant le slogan "chiisme, chiisme". Source.

"Voyous", "hooligans" (zo3ran) ou encore "infiltrés" (mundassin), le langage employé pour désigner ces jeunes par nombre de commentateurs a fait débat sur les réseaux sociaux. Le choix de ces termes a été perçu par certains comme le signe d’un "racisme de classe", qui contribuerait à dévier l'attention des vrais "voyous"au Liban : la classe politique.

"À 8 ou 9 ans, ces jeunes n'ont déjà plus d'avenir au sein de la société libanaise"

Raef Charaf, illustrateur et professeur à l’université libanaise, a participé aux manifestations.

Ils étaient bien 300. J'ai entendu certains chanter qu'ils venaient du quartier de Hay el-Selloum [quartier chiite du sud de Beyrouth]. C'est vrai qu'ils avaient l'air agressifs. Ils se frayaient un chemin dans la foule sans ménagement. Mais ils n'ont pas été agressifs envers les manifestants. Ce qu'ils cherchaient, c'était de se confronter à la police. J'ai interpellé l'un d'eux : 'Qui êtes-vous tous ? Vous avez l'air d'être un groupe organisé.' 'On est des citoyens libanais, tu crois quoi ?' m'a t-il répondu. Il avait l'air sincère.

Le mouvement Amal a pu avoir recours à ce genre de techniques dans le passé, comme nombre de partis libanais d'ailleurs, mais il est difficile de savoir. Qu'ils soient du mouvement Amal ou non, je pense qu'ils ont des motivations sincères.

Photo de jeunes manifestants face à la police. Source Karim Badra.

Pour moi, il s’agissait de jeunes très remontés contre la police et l'État. Ils avaient envie de se battre, ça se sentait, d'exprimer leur colère. Ces jeunes sont issus de quartiers très pauvres. Le quartier de Khandak el Ghamik, par exemple, est séparé par une autoroute du centre riche de Beyrouth. Ils peuvent voir de loin toutes les richesses du pays qui y sont concentrées sans jamais y avoir accès. À 8 ou 9 ans, ils n'ont déjà plus d'avenir au sein de la société libanaise. Ils sont socialement et économiquement marginalisés.

Leur présence aux manifestations est positive selon moi. Elle signifie qu'ils s'intègrent à une société qui d'ordinaire les exclut. Ils ne doivent pas être exclus du mouvement.

Un nouveau rassemblement a eu lieu lundi soir, où des jeunes de Khandak el Ghamik se seraient montrés à nouveau violents, rapporte le manifestant Karim Badra dans un post Facebook. Après avoir discuté avec eux, il explique : "Moi, j'ai de l'électricité chez moi, de l'eau fraiche également. J'ai un travail et je voyage de temps à autre. Des gens comme moi n’ont aucun droit de les juger. Ma colère est bien moindre que la leur, c'est pourquoi cette révolution est leur combat plus que le mien."

Mur érigé à la place des barbelés. C'était le lieu du rassemblement lundi soir. Source.

Des jeunes écrivent sur le mur nouvellement érigé qui les sépare du cabinet du Premier ministre. Source. Khalil Azar.

Joey Ayoub n'a pas pu rester longtemps à la manifestation lundi soir. Mardi matin, il a été hospitalisé d'urgence, en raison d'une très grande fatigue. "Je ne m'étais pas tout à fait remis des coups que j'avais reçus de la police et de la très grande quantité de gaz lacrymogène que j'avais inhalé lors de la manifestation de samedi."

Un article écrit en collaboration avec Dorothée Myriam KELLOU, journaliste à France 24.

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