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CORÉE DU NORD

Ni danses, ni chants : quand la Corée du Nord se met au rock

Concert de Laibach, le 19 août, à Pyongyang. Photo prise par Simon Cockerell.
Concert de Laibach, le 19 août, à Pyongyang. Photo prise par Simon Cockerell.
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Deux concerts du groupe de rock slovène Laibach ont été organisés en Corée du Nord, la semaine dernière. Notre Observateur revient sur cet événement sans précédent dans le pays, qui s’est avéré peu festif.

Le groupe Laibach s’est produit dans un théâtre de Pyongyang les 19 et 20 août, devant un millier de spectateurs chaque soir. Baptisée "Liberation Day Tour", leur tournée coïncide avec les célébrations du 70e anniversaire de la fin de l’occupation japonaise et de la division de la Corée en deux pays. C’est la première fois qu’un groupe de rock international joue en Corée du Nord, où seuls des musiciens classiques occidentaux avaient été autorisés à se produire jusqu’à présent.

Concert de Laibach, le 19 août, à Pyongyang. Photo prise par par Simon Cockerell.

Fondé en 1980 dans la Yougoslavie communiste, ce groupe de rock industriel a une réputation sulfureuse. Régulièrement accusé de tenir des discours d’extrême-droite et nationalistes, Laibach emprunte l’imagerie totalitaire et fasciste dans ses clips – pour s’en moquer selon certains analystes – et sa musique est souvent imprégnée de rythmes militaires. Le nom du groupe correspond d’ailleurs à l’ancienne appellation de la capitale slovène Ljubljana sous l’occupation nazie.

Dans une interview accordée en 1983, les membres de Laibach affirmaient pourtant être "autant fascistes qu’Hitler a pu être peintre". En juillet dernier, l’un d’eux estimait d’ailleurs que leur tournée nord-coréenne permettrait de "lever les derniers doutes qui pouvaient subsister de leur côté".

Le groupe Laibach, en Corée du Nord. Photo de Joerund F. Pedersen, publiée sur le site Internet du groupe.

"Les gens étaient curieux, car ce concert était une première"

Simon Cockerell est un Anglais travaillant pour Koryo Tours. Fondée en 1983, cette agence de tourisme britannique – dont le siège se trouve en Chine – est spécialisée dans les voyages en Corée du Nord. À l’occasion de la tournée du groupe slovène, Koryo Tours a organisé un séjour de quatre nuits sur place, coûtant 1 550 euros, sans compter la place de concert.

Je suis allé au concert le 19 août, avec six touristes venant de Slovénie, d’Allemagne, d’Autriche et du Royaume-Uni. Je ne sais pas si le public a été sélectionné en amont, mais il n’y avait pas de guichet à l’entrée pour acheter de billets. Et les gens sont tous venus en groupe, ce qui assez habituel en Corée du Nord. Le public était varié : il y avait des étudiants, des travailleurs… et non pas uniquement des hauts gradés et des responsables du parti, comme on aurait pu s’y attendre. Une centaine d’étrangers vivant à Pyongyang sont également venus assister au concert.

Il n’y avait pas de fans du groupe – comme on peut en voir généralement aux concerts – mais les gens étaient curieux. Je pense que ça les intéressait d’assister à cet événement car c’était une première. La musique était très différente de ce que les Nord-Coréens sont habitués à entendre. Là-bas, il n’y a pas du tout de rock : la musique est généralement assez légère, très mélodieuse, avec des paroles patriotiques. On s’en rend compte en compte en écoutant des groupes comme le Moranbong Band et le Wangjaesan Band par exemple.

"Personne ne connaissait les chansons de Laibach"

Je pense que les gens ont apprécié le concert, même si personne n’a dansé, car tout le monde était assis sur un siège. Les gens n’ont pas chanté non plus, car personne ne connaissait les chansons de Laibach.

Le public au concert de Laibach. Photo de Jure Tepina, publiée sur la page Facebook du groupe.

Le groupe a joué "Whistleblowers", "Life is life" [une reprise "militarisée" du titre du groupe autrichien Opus, NDLR], "Final Countdown", la chanson des Beatles "Across the Universe"… Ils ont également réinterprété quatre chansons du film "La Mélodie du Bonheur" [une comédie musicale américaine, appréciée dans les deux Corées, NDLR]. Et ils ont joué "Arirang", une chanson folk coréenne très populaire au Nord et au Sud, qui parle de deux amoureux et fait penser à l’histoire de Roméo et Juliette.

Mais Laibach n’a pas chanté "Nous irons au Mont Paektu". [Avant d’aller à Pyongyang, le groupe avait sorti une reprise de cette chanson de propagande nord-coréenne qui évoque une montagne sacrée, où l’ancien dirigeant Kim Jong-il serait né d’après la légende, NDLR.]

Concert de Laibach, le 19 août, à Pyongyang. Photo prise par Simon Cockerell.

"Il ne faut pas forcément y voir un signe d’ouverture"

C’est le directeur artistique norvégien Morten Traavik qui a organisé ce concert. Il a déjà réussi à mettre en œuvre plusieurs projets culturels en Corée du Nord par le passé. Ce concert est donc l’aboutissement de ses efforts et de la volonté des partenaires locaux. Je ne suis pas sûr qu’il faille y voir un quelconque signe d’ouverture…

Cet homme filme le concert de Laibach, le 19 août, à Pyongyang. Photo prise par Simon Cockerell.

"Quand on évoque ce pays à l’étranger, on ne parle jamais de ses habitants"

En dehors du concert, notre séjour incluait la visite de la zone démilitarisée située à la frontière avec la Corée du Sud et des endroits marquants de Pyongyang [tels que l’Arc de Triomphe, des statues de Kim Il-sung et Kim Jong-il, le musée de la guerre, le métro de la ville ou encore le navire américain USS Pueblo capturé par la flotte nord-coréenne en 1968, NDLR].

Je me suis déjà rendu en Corée du Nord 145 fois. Quand on évoque ce pays à l’étranger, on parle uniquement de son dirigeant, des militaires ou encore des armes nucléaires, mais on oublie souvent ses 24 millions d’habitants. Et ce qui me plaît le plus ici, ce sont précisément les gens. Même s’ils ont reçu une éducation très différente de la notre, les interactions humaines sont possibles. Depuis le temps que je viens ici, je suis devenu ami avec quelques Nord-Coréens, avec lesquels j’ai déjà discuté de football, d’alcool, d’amour et de musique. Il est possible de parler avec les gens dans la rue et dans les parcs, même s’il existe des barrières linguistiques et culturelles, ainsi qu’une certaine suspicion vis-à-vis des étrangers.

Cet article a été écrit en collaboration avec Chloé Lauvergnier (@clauvergnier), journaliste à France 24.

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