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En Inde, la caste "privilégiée" qui voulait être rétrogradée

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Des manifestants fuyant la police à Ahmedabad.

Pendant deux jours, des membres de la communauté des Patel ont organisé de violentes manifestations dans l’État indien du Gujarat. Les Patel, connus pour être une caste constituée de riches propriétaires terriens et d'entrepreneurs, exigent également des quotas, dans l’administration et les universités, jusque là réservés aux castes dites "arriérées ".

Les manifestations ont commencé mardi soir dans la ville d’Ahmedabad, où des membres de la caste des Patel se sont réunis par milliers. Le rassemblement a dégénéré entre policiers et manifestants dans des heurts qui se sont intensifiés quand le leader du mouvement, un jeune homme de 22 ans nommé Hardik Patel, a été arrêté.

Les émeutes se sont ensuite rapidement propagées à d’autres villes de l’État du Gujarat. Hardik Patel [patronyme courant dans cette caste, NDLR] a été libéré dans la soirée, mais les heurts se sont poursuivis jusqu’à la nuit de mercredi. Huit personnes ont été tuées dans les violences dont au moins un policier, des dizaines de postes et de voitures de police ont été incendiés. Le gouvernement fédéral a envoyé des troupes paramilitaires pour faire revenir l’ordre, et a aussi limité l’accès à Internet afin de freiner la propagation des appels à la violence sur les réseaux sociaux.

Si aujourd’hui la ville a retrouvé un semblant de calme, le couvre-feu reste en place, et l’accès à Internet est toujours bloqué dans certaines zones.

Heurts entre policiers et manifestants à Ahmedabad mercredi. Les policiers sont à gauche, et les manifestants à droite. Video par Chintan Patel. 

"J’ai subi des discriminations à cause de ces quotas"

Chintan Patel , étudiant, a pris part à la manifestation de mardi soir à Ahmedabad. Il a filmé des heurts entre policiers et manifestants (voir vidéo ci-dessus).

Quand les policiers ont commencé à taper sur les gens, je me suis enfui et je suis rentré chez moi. Mais j’ai vu à la télé que la police a frappé des personnes qui ne faisaient même pas partie de la manifestation, des femmes… Cela a rendu fous furieux certains manifestants, qui se sont vengés en attaquant les voitures et les postes de police. Je ne suis pas pour la violence, mais je dois avouer que je trouve leur réaction plutôt humaine. D’ailleurs, des policiers s’en sont aussi pris à des voitures de manifestants

Étant moi-même Patel, j’ai subi des discriminations à cause de ces quotas. Je suis certain que j’aurai pu aller dans une meilleure université si ce système de quotas n’existait pas, car les étudiants des castes soi-disant ‘privilégiées’ ont beaucoup plus de mal à intégrer les bonnes universités publiques que ceux des castes dites ‘arriérées’. Par exemple, j’ai un ami qui appartient à une des castes de la catégorie OBC ["Other Backward Castes". Elle désigne les castes qui sont considérées comme ayant historiquement subi des désavantages économiques, mais qui n’ont pas été socialement ostracisése, à la différence des "intouchables "qui subissent une double discrimination, NDLR]. Sa famille est plus riche que la mienne. Mais il a été admis dans notre université avec un résultat de 60 % aux examens, alors que pour ceux des castes qui n’ont pas de quotas, comme moi, la note minimale s’élevait à 80 %.

C’est contre cela que je suis allé manifester. Nous manifestions pour que les Patel aient accès aux quotas - ou que les quotas disparaissent.

Il faut savoir que les Patel ne sont pas tous riches – il y a aussi de nombreux agriculteurs et de travailleurs d’usine. Aujourd’hui, de nombreuses familles de castes ‘arriérées’ sont devenues plus riches, alors que des familles de castes ‘privilégiées’ se sont appauvries. Cela ferait donc plus sens d’instaurer un système basé sur la situation économique de chaque famille, et d’oublier les castes.

Aujourd’hui, le calme est revenu à Ahmedabad, mais je suis sur qu’il y aura d’autre manifestations, car comment peut-on rester silencieux face à cette injustice ?

Police hits back !!!

Posted by Vinay Singh on Tuesday, August 25, 2015
La police attaque des manifestants. 

"C’est ridicule – les Patel sont une caste de propriétaires terriens !"

Kushboo Sharma est une habitante d’Ahmedabad, où elle a fondé une entreprise de communication qui travaille avec des entreprises locales. Elle est issue d’une caste qui, comme les Patel, ne bénéficie pas des quotas.

J’habite à 5 minutes du lieu de rassemblement des Patel, et j’ai décidé de rester chez moi, car les débordements étaient prévisibles. Les émeutiers – qui n’étaient pas forcément que des Patel, c’est impossible de savoir – ont fait des choses vraiment insensées, par exemple ils ont mis le feu à des bus publics et ont forcé les commerces à fermer. Pendant deux jours, la ville a été totalement paralysée : on ne pouvait pas faire de courses, personne n’oser sortir travailler. Mon entreprise a perdu deux jours de production… et imaginez tous les travailleurs journaliers qui ont perdu deux jours de revenus !

Des dégats causés par les émeutes.

Et pour quoi, exactement, manifestaient ces Patel ? Une poignée de postes dans l’administration, et des quotas d’entrée dans les universités, où ils sont déjà très bien représentés… C’est vrai que le système a une faille : ce serait plus juste que les quotas soient attribués en fonction de la situation économique des familles plutôt que de la caste. Beaucoup de gens pensent que si ce n’est pas encore le cas, c’est principalement parce que les politiciens font campagne en s’appuyant sur le système de castes, et donc toucher à ce système serait risqué pour eux.

Mais honnêtement, que les Patel demandent de faire partie des classes "arriérées ", c’est juste ridicule : dans notre région, ce sont les propriétaires terriens, et certains manifestants sont même venus au rassemblement en Jaguar et en Audi ! Il semble qu’ils se sentent vulnérables car il y a récemment eu des ralentissements dans les secteurs qu’ils dominent, notamment celui des diamants. Mais ils restent dans l’ensemble une caste aisée, ce qui ne va pas changer de sitôt, donc les inclure dans les quotas n’aurait aucun sens.

L’État de Gujarat a été profondément marqué par des émeutes communautaires en 2002. Cependant, Sharma, qui a vécu ces émeutes, dit que ces récentes violences ne sont pas comparables.

C’était beaucoup plus violent en 2002, la ville était à feu et à sang. Je ne pense pas que les tensions entre castes puissent atteindre de telles proportions que celles qu’il y a eu entre musulmans et hindous. Et je suis rassurée par le fait que tous mes employés sont maintenant revenus au bureau. Ahmedabad est prête à tourner la page.

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