Jean-Vincent Placé, le gênant vert

Jean-Vincent Placé, le gênant vert
(FILES) - A picture taken on April 13, 2015 in Paris shows French Senator of EELV green party and Senate ecologist group leader Jean-Vincent Place poses in Paris on April 13, 2015. Place announced on August 28, 2015 he left the French Green Party EELV. AFP PHOTO / JOEL SAGET (JOEL SAGET/AFP)

Après François de Rugy, c'est au tour du sénateur Jean-Vincent Placé d'annoncer son départ d'Europe Ecologie-les Verts. Portrait de celui qui fut longtemps dans l'ombre de Cécile Duflot, avant de devenir incontournable.

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(D'après un article publié dans le Nouvel Observateur du 28 novembre 2013)

"Ce type est sans foi ni loi ! Il vendrait père et mère, son cynisme est total." La scène se passe fin 2013 au Sénat. Un éminent responsable des radicaux de gauche se lâche à l'oreille de son voisin, un ministre du gouvernement Ayrault. Qui vise-t-il ? Jean-Vincent Placé, qui, au même moment, prend la parole à la tribune. "Tu lui prêtes un euro, continue-t-il, non seulement il ne te le rend pas, mais il te pique ton portefeuille." "Tu exagères un peu", tempère son interlocuteur surpris, qui s'entend aussitôt répondre : "Non, non, je le connais bien, c'est nous qui l'avons formé !"

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On l'aime ou on le déteste, mais Jean-Vincent Placé ne laisse personne indifférent. On le juge cynique, opportuniste, habile ou efficace, mais chacun a son avis sur celui qui fut l'autre taulier - avec Cécile Duflot - de la maison écolo. Longtemps cantonné dans l'ombre de sa complice qui prenait mieux la lumière, l'ex-numéro deux des Verts est devenu un personnage à part entière. Une huile Verte qui signe son autobiographie ("Pourquoi pas moi !") et dont le départ d'EELV, annoncé en exclusivité à Jean-Pierre Elkabach, anime toutes les journées d'été des socialistes. Lui au centre du jeu : il adore.

Un homme de poids

Un temps, il fut le premier opposant écolo à la politique de Hollande, aujourd'hui il en est son premier défenseur. Chez les Verts, il comptait beaucoup d'ennemis. A commencer par Daniel Cohn-Bendit, ce qui n'empêchait pas l'ex leader de Mai 68 de négocier avec lui... Placé ou l'homme qui agace tout en restant incontournable. "JVP", comme il est parfois surnommé, est un homme de poids. A la fois géant et (ex) gênant vert.

Pour notre radical de gauche cité plus haut, on l'a compris, il appartient à la seconde catégorie. A 24 ans, Placé faisait ses classes comme assistant parlementaire de Michel Crépeau, député-maire de La Rochelle, et prenait un malin plaisir à tenir tête à Jean-Michel Baylet dans les réunions. "Le Chinois m'a encore énervé", se plaignait le président du PRG.

Aujourd'hui, le natif de Corée du Sud, adopté par une famille normande, crispe toujours. La méthode Placé ? Pour les uns, l'ex "Richelieu" des Verts a été un alchimiste hors pair capable de transformer le plomb en or : les 2% à la présidentielle en deux groupes parlementaires et deux ministres ! Pour les autres, au contraire, ses calculs politiciens et ses accents mollétistes font grand tort à l'image des écolos dans l'opinion.

"Celui que vous adorez détester"

Chez les Verts, tous peuvent en parler des heures. "Celui que vous adorez détester", a résumé Cécile Duflot devant ses militants, un jour où elle le remerciait pour ses grands services. Dans cette galaxie libertaire, l'ancien auditeur financier a toujours détonné. Autant Duflot est née avec l'ADN - fille d'un cheminot et d'une prof qui fabriquait des fours solaires pour l'Afrique -, autant Placé n'était pas prédestiné : il vient d'une famille bourgeoise et de droite. Les écolos citent René Dumont et Pierre Rabhi. Lui, Mitterrand et Napoléon.

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Avec Cécile Duflot, le 19 novembre 2011. (Fred Dufour/AFP)

Toujours bien mis dans ses costumes-cravates, l'amateur de bonnes bouffes arrosées s'était autochargé à EELV des relations avec les ambassadeurs et les chefs d'entreprise, et il lui est arrivé de partager la table des patrons de Veolia ou d'EDF. Invité aux dîners du Crif (Conseil représentatif des Institutions juives de France), il avait conduit en juin 2013 une délégation de parlementaires verts à un autre territoire inconnu : Israël. Sur place, devant un diplomate, il plaisantait :

Je suis un chiraquo-mitterrandiste."

L'ex-radsoc n'est jamais loin. Il insistait alors pour qu'un de ses copains des Verts fasse partie du voyage, histoire de joindre l'utile à l'agréable. Quatre jours là-bas, c'est "huit repas"...

Pire pour ses camarades écolos qu'il qualifie volontiers de "gauchistes", Placé cultive des relations à droite. Il dîne avec Borloo, loue l'ancien premier flic sarkozyste Frédéric Péchenard... Un temps, Brice Hortefeux a même testé en blaguant devant lui l'idée d'en faire un ministre d'ouverture de Sarkozy ! Mais quand l'UMP Alain Marleix a cru bon de l'appeler "notre Coréen national", Placé a été blessé. La famille, pour ce jeune papa, c'est sacré. Et difficile de trouver plus français que lui.

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Place aux jeunes

Sa place à part, l'écologiste aux lunettes carrées l'a due aussi à un long travail chez les Verts. Son secret ? Il s'est longtemps occupé de ce que personne ne faisait dans cette petite boutique. Il a travaillé le parti de l'intérieur, fait le tour des secrétaires régionaux influents dans une formation décentralisée. Il était l'homme des promesses d'investiture mais aussi des coups de fil aux battus quand le téléphone ne sonne plus.

Dès son arrivée, il avait choisi un poste d'influence, la direction du Cédis, le centre de formation des élus. Avec Duflot, ils se sont lancés à l'assaut du parti et ont poussé les soixante-huitards vers la retraite. Exit les Voynet, Mamère ou Cohn-Bendit... Place aux jeunes : elle a aujourd'hui 40 ans, lui, 47.

Pendant très longtemps, ces deux-là ont constitué un duo qui a résisté à tout. La participation gouvernementale a eu raison de ce solide tandem : la ministre du Logement a claqué la porte au nez de Valls en mars 2014, suivie par la majorité de son mouvement, quand lui rêvait d'entrer au gouvernement. Depuis, quelque chose s'était cassé entre eux...

Ecologie réformatrice

Autre signe distinctif, Placé parle le socialiste comme aucun autre Vert. Au PS, on le connaît très bien. A son propos, Michel Sapin a dit un jour :

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Chez les Verts, un tiers joue le jeu de la participation gouvernementale, un deuxième tiers, non, et le troisième s'abstient. Placé, c'est le quatrième tiers, celui qui joue son jeu."

Placé a beau l'avoir cultivée, il s'énerve de cette étiquette d'apparatchik sans convictions vertes qui lui colle toujours à la peau. "Mes idées écolos et de gauche sont les mêmes depuis vingt ans." La preuve : n'a-t-il pas créé l'agence francilienne de la biodiversité ? Et n'a-t-il pas soulevé le sujet, ô combien écolo, de l'"obsolescence programmée" des appareils ménagers ?

Lui entend bien durer.... même si ce ne sera plus au sein d'EELV. Il veut fédérer, dit-il, tous les "écolos réformistes" avec son ami François de Rugy qui lui a grillé la politesse en annonçant avant lui son départ. Certains lui prêtent même des ambitions présidentielles un jour, une hypothèse qu'il se garde de démentir...

Avec François de Rugy, le 4 avril 2015. (Bertrand Guay/AFP)

Savoir-faire et pragmatisme

L'homme, convivial et du genre à prendre la politique du bon côté, a du savoir-faire. Il choisit ses cibles et en épargne d'autres. Dans le passé, Cohn-Bendit ou Montebourg en ont fait les frais. Aujourd'hui, c'est son ancien parti, comparé à "un canard sans tête qui a perdu tout son sang" ou encore "un astre mort"...

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A l'Elysée, il est traité avec égards. Hollande connaît très bien l'animal avec qui il échange régulièrement. Placé avait même convaincu le président de la République de s'inviter par surprise à une "couscous party" avec quelques parlementaires dans un restaurant parisien en 2014.

Hollande avait trouvé le sénateur Vert sur sa route dès le soir de son élection. C'était le 6 mai 2012 à la Bastille, où les ténors du PS fêtaient la victoire. Revenu de Tulle, le vainqueur des urnes avait débarqué près de la tribune montée pour l'occasion, s'était frayé un passage dans la cohue des VIP et des socialistes et, au pied de l'escalier, était tombé nez à nez avec Placé. Hollande lui avait souri :

Toi, tu es toujours très bien placé !"

Quelques minutes plus tard, l'écolo était immortalisé sur la photo de famille, la tête entre le président de la République et Valérie Trierweiler. Aujourd'hui, il espère bien revenir sur la photo de famille gouvernementale, au milieu des socialistes, pour la dernière ligne droite du quinquennat. 

Maël Thierry

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(Jean-François Monier / AFP)

# SES DATES

♦ 12 mars 1968 : Naissance à Séoul (Corée du Sud).
♦ 1975 : Arrivée en France, adopté par une famille normande.
♦ 1995-1999 : Assistant parlementaire du député-maire PRG de La Rochelle, Michel Crépeau.
♦ 2001 : Entre chez les Verts.
♦ 2004-2010 : Président du groupe des Verts à la région Ile-de-France.
♦ 25 septembre 2011 : Elu sénateur de l'Essonne.
♦ 16 novembre 2013 : La motion qu'il soutient avec Cécile Duflot en vue du congrès de Caen arrive en tête avec 38,3%.
♦ Mars 2014 : EELV refuse de participer au gouvernement de Manuel Valls. Contre son avis.
♦ 28 août 2015 :
 Il quitte EELV.

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