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Le business florissant de la "digital detox"

Le business de la digital détox
Dans nos sociétés hyper connectées, la déconnexion digitale fait vendre. Photo Getty Images

Avec l'avènement du clic, du zapping et du buzz est arrivée une certaine forme de saturation digitale. Si l’hyper information est devenue une quasi-norme sociale, certains recherchent à tout prix un moyen de décrocher. Depuis quelques années, des entreprises surfent sur la tendance et proposent des heures de déconnexion. Décryptage.

Se promener en forêt sans avoir accès au téléphone ni à Internet, rien de plus naturel ? Pas pour tout le monde visiblement, puisque plusieurs entreprises proposent de réapprendre à vivre hors connexion, via des séjours payants, agrémentés d'activités " bien-être " comme de la méditation et du yoga. Ce sont des séjours dits de " digital detox ", expression qui fait son entrée dans le sérieux English Oxford Dictionnary en 2011. Dès 2009 aux États-Unis, pas loin du berceau des géants de l'informatique, ReStart, un centre pour " la technologie durable ", propose, à prix fort, aux accros du Web une retraite sans tech dans la nature.

En France, s'il n'existe pas de centre spécialisé, des spas et des hôtels ont rapidement proposé des séjours spéciaux pour déconnecter. L'hôtel Vichy Célestins offre un break digital de trois jours et trois nuits à partir de 326 euros la journée. Le Château La Gravière, à côté de Bordeaux, propose, lui, une " pause numérique " de trois jours et deux nuits, dont le prix varie entre 304 et 326 euros. Les clients ? " Des gens qui viennent pour modifier leur niveau d'attachement " aux nouvelles technologiques, nous explique Pierre Massot, le gérant de la maison d'hôtes au cœur du Médoc. Un séjour bien-être, sans portable ni Internet, avec des entretiens individuels pour prendre de bonnes résolutions. Marie-Christine Delahaye, créatrice de Relax Océane, autre entreprise qui propose, parmi d'autres services, des séjours de détox numérique dans le Morbihan, parie sur l'avenir du business de la déconnexion. " Je voudrais faire évoluer Relax Océane vers un programme entièrement "digital detox"." Une tendance de niche donc, mais qui s'étend petit à petit en France.

Charlatanisme ou réponse à une quête de sens ?

Le psychanalyste Serge Tisseron, spécialiste du numérique, est plutôt sceptique quant à l'efficacité de ces cures. " Les programmes intensifs de détox numérique permettront sans doute aux uns et aux autres de penser à d'autres choses pendant une semaine ou deux. Mais que se passera-t-il à leur retour ? Toutes les habitudes associées à leur environnement habituel surgiront à nouveau et la tentation sera grande de renouer avec elles ", écrit-il sur son blog en 2014. " C'est pourquoi ces programmes ne sont rien d'autre qu'une gigantesque arnaque. Cela ne veut pas dire que ceux qui s'y lancent n'y trouvent pas un apaisement et une satisfaction. Mais cela tient à leur caractère de retraite loin de l'agitation du monde et pas du tout au "projet de détox numérique". Au moment où la communauté scientifique internationale insiste sur le fait que les usages intensifs des technologies numériques ne relèvent pas d'une forme moderne d'intoxication ou d'addiction, les vendeurs de "détox numérique" pratiquent en réalité l'intox à la détox. "

À cet égard, Pierre Massot, le directeur du Château La Gravière, confirme qu'il est abusif de parler d'addiction, tout en reconnaissant que les gens qui viennent sont en souffrance. Sans être malades, ses clients " ont perdu leur liberté de s'abstenir ", explique-t-il, comme si leur téléphone avait pris le pas sur eux-mêmes.

La déconnexion volontaire vise à "faire le point"

Depuis quelques années, les livres et les documentaires sur des expérience de déconnexion ont fleuri. J'ai débranché, de Thierry Crouzet (1), Pause, de Susan Maushart (2), Digital Detox, documentaire sorti l'hiver dernier, pour lequel le journaliste Pierre-Olivier Labbé a passé trois mois sans accès aux technologies de communication (TIC). Réalisées sans forcément passer par la case du " séjour spécial dans la nature ", ces expériences témoignent d'une tendance de fond, d'un réel besoin de déconnexion. "L'individu contemporain est pluriel, éclaté, polyvalent, voire kaléidoscopique", note le sociologue Francis Jauréguiberry dans un article consacré à "La déconnexion aux technologies de communication " (3). Ainsi, en même temps que " les TIC arrivent sans doute à point nommé " puisqu'" elles permettent de passer immédiatement d'une "tribu" à une autre, rendent plus certains et rentables les déplacements, multiplient les possibilités de rencontres et sont devenues indispensables pour coordonner les occupations au fil de l'eau ", elles livrent un excès d'informations qu'il est devenu difficile à digérer. " Pour pouvoir "don­ner forme" aux informations, poursuit le sociologue, une prise de distance est nécessaire. Pour ces­ser d'être étourdi par leur défilement, troublé par leurs couleurs changeantes et ébloui par l'éclat de leur nouveauté, il faut savoir prendre du recul, être capable d'arrêter leur déferlement. "

Sauf que loin d'être alimenté par une envie de faire une simple pause, la déconnexion relève pour certain d'un besoin quasi existentiel. " La déconnexion volontaire (…) vise aussi, ne serait-ce que quelques heures, à se mettre à l'écart du monde, à prendre de la distance afin de "faire le point" et de "se retrouver". Moment ou période de dialogue de soi à soi, de réflexivité, de confrontation avec le sens de sa vie, la déconnexion est alors vécue comme pratique de son intériorité". Ainsi, si les séjours de " pause numérique " semblent relever d'un certain opportunisme marketing, peut-être offrent-ils à certains l'impression de se reconnecter à eux-mêmes.

Draguer en ligne, tout en étant déconnecté

Désirant profiter de cette tendance, d'autres secteurs que le tourisme se sont mis à vendre de la déconnexion. " Sur le Net, le commerce de logiciels qui, à l'instar de Freedom et d'Anti-Social, bloquent votre accès au Web selon vos modalités fleurissent de plus en plus ", note l'agence de communication Dagobert en 2013. Certaines marques misent sur cette stratégie : Kit-Kat a complété son slogan historique - " Have a break, have a kit kat " - par une zone sans Wi-Fi autour des barres chocolatées. Coca-Cola, Diesel, Burger King, Windows se sont aussi emparés du mouvement dans leur publicité.

Au-delà de la publicité, certaines entreprises fondent leur identité sur ce principe, comme NetDatingAssistant, qui propose de draguer en ligne à votre place. " On ne connaissait pas l'expression avant de lancer la société, mais cela correspond à notre philosophie ", explique Vincent Fabre, cofondateur de NetDatingAssistant, qui communique sur la " digital detox " de la drague. L'idée ? Alors que la plupart de ses clients passent leurs journées derrière un écran, ils ne devraient pas consacrer en plus leurs soirées à la séduction virtuelle. Une sorte de " petites déconnexions non spectaculaires ", pendant lesquelles on atténue tant bien que mal l'impact des technologies sur le quotidien et qui représentent " en réalité la quasi totalité " des " pauses digitales ", selon le sociologue spécialiste des TIC. Un moyen d'expérimenter la connexion maîtrisée.

(1) J'ai débranché. Comment revivre sans Internet après une overdose, de Thierry Crouzet, Éd. Fayard, 224 p., 18,30 €.

(2) Pause. Comment trois ados hyperconnectés et leur mère (qui dormait avec son smartphone) ont survécu à six mois sans le moindre média électronique, de Susan Maushart, Éd. NIL, 363 p., 20 €.

(3)"La déconnexion aux technologies de communication", de Francis Jauréguiberry, Réseaux, 2014/4, n° 186, p. 15-49.

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