RENTRÉE - On pourrait croire que c'est un aveux de faiblesse, c'est en fait un tour de force. Parce qu'elle ne cesse de douter, parce qu'elle se trompe parfois, Marie-Sandrine Lamoureux nous fait avancer. Un prof, ça sert à quoi? Après vingt ans d'enseignement, il lui est toujours impossible de répondre à cette question. "Et heureusement", précise-t-elle.
Après un passage remarqué sur Canal+ en janvier dernier pour parler de laïcité sur le plateau du Grand Journal, elle a écrit pendant trois mois un livre témoignage après le choc des attentats de janvier. Son point de départ, les questions que ces attentats ont soulevées parmi ses élèves et les réactions qu'elle a entendu ici et là sur le rôle de l'école à ce moment charnière de notre histoire. Je ne capitule pas est sorti ce jeudi 27 août aux éditions Don Quichotte. Au fil des quelque 300 pages, il est question de ce à quoi l'école ressemble, d'un espace libre, ouvert et qui tente d'évoluer grâce à tous ceux qui travaillent en son sein.
"Vous pensez qu'on apprend à vos enfants l'orthographe et la grammaire, vous vous trompez sur ce qu'il se passe vraiment en cours de français", annonce d'emblée Marie-Sandrine Lamoureux interrogée par Le HuffPost. N'imaginez pas une prof qui s’assoit à moitié sur la table et parle à ses élèves de la vie plutôt que de l'accord du participe passé. Nous ne sommes pas dans Le cercle des poètes disparus un film dans lequel, selon Marie-Sandrine Lamoureux, on vante les mérites d'un prof qui ne peut empêcher un de ses élèves de se suicider, ce qui est tout sauf un modèle de réussite. À l'écouter et à la lire, cette enseignante partage pourtant avec ce professeur de Havard fictif, le même talent pour captiver.
"Non, ce n'était pas plus facile avant"
En occultant volontairement, les lieux et les dates précises de ce qu'elle raconte, l'enseignante partage des tranches de sa vie de prof. Dans sa classe, on débat de Dom Juan, de Rousseau, de la langue française mais aussi de science-fiction, un genre qu'elle apprécie tout particulièrement ou de rap. Comme dans un livre sur les adolescents pour les nuls, Marie-Sandrine Lamoureux tente de combler le fossé que les a priori et les préjugés ont creusé entre ces adolescents de collèges et lycées ZEP et nous. "Non, ce n'était pas plus facile avant, non, les adolescents ne sont pas plus difficiles aujourd'hui, s'indigne-t-elle. Ils pensent toujours en noir ou blanc quand nous, adultes, nous pensons en gris".

Marie-Sandrine Lamoureux
Le problème est ailleurs. "Dans l'école, il faudrait tout changer, affirme l'enseignante. "Un élève parle en moyenne 40 secondes par jour. Comment cela est-ce possible?" Marie-Sandrine Lamoureux a dû mettre au point des techniques très élaborées pour pouvoir transmettre son savoir. Des élèves que la lecture rebute? On commence par lire L'Équipe pour parler football. On met en place un marché noir de livres, de revues, de BD et de DVD au sein de la classe. Oubliées les fiches de lecture, Marie-Sandrine Lamoureux espère que les élèves se forgeront une bibliothèque et une vidéothèque personnelle. "Ça ne peut évidemment pas fonctionner pour tous, mais un gamin de gagné et qui fréquentera plus tard une bibliothèque, un musée ou une librairie, c'est toujours ça de pris", espère-t-elle.
Dans Je ne capitule pas, Marie-Sandrine donne de l'espoir. "Il y a des jours où la motivation est moins forte mais ces gamins-là, ils sont précieux et, un jour, ils vont aller voter. C'est de notre responsabilité", lance-t-elle encore. Marie-Sandrine Lamoureux n'est pas dupe, l'école ne peut pas tout, ce n'est d'ailleurs pas son rôle. "Face à l'injustice et à la misère sociale, l'école de la République ne pourra pas tout faire. Non qu'elle soit impuissante, mais elle doit occuper une juste place", écrit-elle dénonçant le procès injuste que l'on impose à l'école."Quand on nous dit que l'école a échoué, c'est un discours insupportable. L'école est le bouc-émissaire parfait".
Le prof est un passeur
Le but de Marie-Sandrine est simple et immense. Permettre à ses élèves, Jamila, Romain, Jade et Nawel de penser par eux-mêmes. "Je ne te dis pas 'comment' penser. Mais je suis 'passeur d'art', je mets à ta disposition des gens qui ont pensé, qui pensent", dit-elle à ses élèves. Même si cela passe parfois par la diffusion d'un sketch d'Elie Kakou sur les profs.
Dans les jours qui ont suivi Charlie Hebdo, il y a eu beaucoup de mots échangés dans la salle des profs, dans les couloirs et dans la salle de classe. Il a fallu faire face aux questions sans réponse, à la sidération des élèves et à leur incompréhension. "Il me semble que comme prof, comme citoyen, comme humain tout simplement , on doit quelque chose à [tous les proches des victimes] et que ma place auprès des élèves, si elle était déjà claire avant ces événement atroces, prend encore plus de sens", annonce Marie-Sandrine Lamoureux au début de son livre.
C'est un manifeste pour nous convaincre de ne pas baisser les bras comme le protagoniste de Rhinocéros, la pièce de Ionesco anti-nazie qui s'écrit à la toute fin "Je ne capitule pas!". Le problème ne se résume pas au voile que portent certaines jeunes filles ou à une foi religieuse plus fervente qu'auparavant. La solution est dans les livres et le dialogue pour apprendre le vivre ensemble, la laïcité et l'humanisme.