Contre la radicalisation islamique, Baalbeck fait de la résistance… culturelle !
La cité gréco-romaine de Baalbeck s’est métamorphosée en un mois. Désertée par les touristes depuis le début du conflit syrien en mars 2011, les rues pavées de la ville antique, située à l’est du Liban, à quelques kilomètres de la frontière syrienne, se sont remplies depuis le coup d’envoi de son illustre festival.
- Publié le 30-08-2015 à 19h11
- Mis à jour le 30-08-2015 à 19h12
La cité gréco-romaine de Baalbeck s’est métamorphosée en un mois. Désertée par les touristes depuis le début du conflit syrien en mars 2011, les rues pavées de la ville antique, située à l’est du Liban, à quelques kilomètres de la frontière syrienne, se sont remplies depuis le coup d’envoi de son illustre festival. Lancé en 1956, il est le plus ancien rendez-vous estival de cette envergure au Moyen-Orient. En près de soixante ans, il a accueilli les plus grandes stars de la scène culturelle libanaise et internationale, de la diva Fairouz à Ella Fitzgerald en passant par le chorégraphe Maurice Béjart. Annulé ou délocalisé depuis 2013 à cause des fragiles conditions de sécurité liées au conflit en Syrie voisine, le festival de Baalbeck s’est cette année maintenu sur son site archéologique, classé au patrimoine mondial de l’Unesco. « C’est un exploit, avance Michel Touma, rédacteur en chef de l’Orient le Jour, compte-tenu de la précarité des conditions politiques et sécuritaires, on peut parler d’une très forte résistance culturelle ». L’an dernier, l’enlèvement début août d’une quarantaine de soldats de l’armée libanaise par des djihadistes venus de Syrie à Ersal, située à une quarantaine de kilomètres au nord de l’ancienne Héliopolis des Romains, avait contraint le comité organisateur à reporter l’ouverture des festivités. L’année précédente, ce sont des roquettes, tombées dans le centre-ville et à proximité des temples de Bacchus et de Jupiter, qui avaient convaincu les programmateurs de délocaliser la manifestation à Beyrouth. « Baalbeck est une zone de non droit, explique Michel Touma. Sous contrôle du Hezbollah, l’Etat n’y a pas beaucoup d’autorité et les risques d’exactions y sont élevés ». La région, dominée par le parti chiite engagé dans le conflit syrien aux côtés des forces de Bachar al-Assad, subit en effet les conséquences de la guerre en première ligne. « C’est une zone instable, confirme Damien Bigot, directeur des Institut français de Zahlé et Baalbeck, seule organisation culturelle internationale implantée dans la vallée de la Békaa. La guerre se joue des deux côtés de la frontière. Les habitants de la région sont témoins des combats, ils les entendent, assistent au défilé des combattants du Hezbollah et au retour de ses martyres au pays ».
Début juillet, l’offensive de l’armée syrienne et du parti chiite libanais du Hezbollah sur Zabadani avait fait planer la menace d’une nouvelle annulation du festival. Située à une centaine de kilomètres de Baalbeck, elle est un des derniers bastions de la rébellion sunnite le long de la frontière avec le Liban. Après plus d’un mois d’intenses affrontements, les forces armées de Bachar al-Assad et du Hezbollah libanais y sont toujours en prise avec les groupes islamistes d’Ahrar al-Cham et du Front al-Nosra, branche syrienne d’Al-Qaïda. « Ce front est de l’autre côté de la frontière mais il a des conséquences directes sur la vallée de la Békaa, souligne le rédacteur en chef du quotidien libanais. Il peut être à l’origine de graves déstabilisations sécuritaires et accroît les risques d’enlèvements. Organiser un festival international dans un tel contexte était un pari audacieux ». Mais avec les quelques 4 000 militaires et policiers déployés par le gouvernement libanais pour l’occasion, les six soirées de concert n’ont pas été perturbées. Au contraire, à la veille de la clôture des festivités, le comité organisateur se réjouit d’avoir attiré plus de 8 000 spectateurs et un parterre de célébrités. Le 31 juillet, jour de l’ouverture de la manifestation culturelle, le trompettiste Ibrahim Maalouf, le compositeur-interprète Marcel Khalifé et l’organiste Naji Hakim se sont succédés au pied d’un des vestiges les mieux préservés du monde gréco-romain, le temple de Bacchus. « C’est exceptionnel, lance Damien Bigot. Cela montre que Baalbeck a besoin de culture comme d’une bouffée d’oxygène ». Afin de garantir le bon déroulement des événements, tous les habitants de la cité ont mis la main à la pâte : du placement du public à la gestion des stands, en passant par les performances sur scène. « La troupe de dabké de la ville a prit part au spectacle, continue le directeur des Instituts culturels français de la Békaa. La symbolique est très importante : les organisateurs sont parvenus à canaliser et souder les énergies du dense réseau associatif de la ville ». Hamad Hassan, le maire de Baalbeck, s’en félicite. « Ce festival est une réussite : il permet de soutenir notre économie locale, en berne depuis le début de la crise, et de découvrir la ville sous un autre angle. Le message d’apaisement des habitants de Baalbeck est bien plus fort que celui de la guerre ».
Trois questions à Nayla de Freige, présidente du festival de Baalbeck
Malgré les répercussions du conflit syrien sur le sol libanais, Nayla de Freige, présidente du festival international de Baalbeck depuis quatre ans, a fait tout son possible pour maintenir les festivités de la plus ancienne manifestation culturelle de la région dans le cadre de la cité antique de la vallée de la Békaa.
Après près d’un mois de festivités, le festival de Baalbeck touche à sa fin. Quel bilan dressez-vous de cette édition 2015 ?
Nous sommes ravis, nous sommes restés à Baalbeck pour l’ensemble du Festival, comme nous le souhaitions ! Cela semblait utopique, les gens nous regardait de travers, nous demandait « mais vous êtes sûrs ? ». Envers et contre tous, nous, nous l’avons fait et nous en sommes très heureux. Baalbeck est une ville abandonnée par les touristes, nous avons rencontré de nombreuses difficultés à organiser notre festival ces deux dernières années. L’an dernier, nous sommes parvenus à maintenir trois grandes soirées avant que la bataille d’Ersal, au Liban, à quelques kilomètres de la frontière syrienne, nous contraigne à arrêter certains spectacles et à en déplacer d’autres.
Qualifieriez-vous votre volonté de maintenir le festival à Baalbeck comme un acte de résistance ?
On a beaucoup utilisé ce terme de « résistance », je ne l’aime plus. Je dirais davantage que c’est une force, une dynamique. En tant que comité organisateur d’un festival international, nous ne nous sommes pas laissés impressionnés par les ondes négatives et avons choisi, au contraire, d’aller vers le positif. Nous avons voulu rappeler que nous existons, que nous sommes là pour ramener la paix et la joie dans le cœur des habitants de la région, qui a connu de nombreux moments difficiles.
Quels ont été vos défis pour cette édition 2015 ?
Notre défi principal était de nous maintenir à Baalbeck. Il y a des moments où nous avons sérieusement douté. Au Liban, il suffit d’un petit événement, comme l’histoire du ramassage des déchets, pour créer de la tension. Nous sommes un pays sans président de la République depuis plus d’un an, ce n’est pas Baalbeck qui est un problème, c’est tout le pays qui est sur une corde raide. Mais les Libanais ont la volonté de continuer. Je pense que les 15 ans de guerre civile que nous avons vécu nous ont vacciné.