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La sixième extinction massive a commencé

L'érosion du vivant s'accélère avec une rapidité jamais vue. Les scientifiques craignent désormais pour la survie de l'espèce humaine.

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Par Paul Molga

Publié le 31 août 2015 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Cette fois, c'est une certitude. L'humanité va affronter un problème plus grave que le dérèglement climatique : sa propre survie. Après plusieurs alertes lancées par les scientifiques depuis quelques années, une étude franco-américaine publiée cet été dans la revue « Proceedings of the National Academy of Sciences » (PNAS) révèle qu'au moins 7 % de l'ensemble de la faune terrestre connue se serait déjà éteinte sous l'action de l'homme depuis le début de la révolution industrielle. Jusqu'à présent, le registre de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui fait référence, admettait que « seulement » 1,3 % des espèces les plus menacées d'extinction avaient effectivement disparu. Au cours des dernières décennies, révèle l'étude, le rythme de disparition de la faune et de la flore a été, selon les espèces, « de 10 à 100 fois supérieur à la cadence de l'extinction naturelle » constatée par les scientifiques sur une période de 500 millions d'années, qui est d'une espèce sur un million chaque année.

Pour établir leur estimation, les chercheurs de l'Institut de systématique, évolution et biodiversité (MNHN, CNRS, UPMC, ephe), du Centre des sciences de la conservation (MNHN, CNRS, UPmc) et de l'université d'Hawaii ont utilisé une méthode purement statistique, contestée par certains écologues. Ils ont tiré au sort 200 espèces d'escargots et demandé à 35 experts de constater si elles étaient éteintes ou pas. Ils ont transposé ce résultat à d'autres compartiments de la biodiversité. Résultat : 130.000 espèces, et non 800 comme l'évalue l'UICN, auraient disparu de la surface du globe à cause de la pression démographique, du grignotage des espaces naturels et de la surconsommation des ressources.

« Si rien ne change, l'espèce humaine pourrait être entraînée dans ce tourbillon », résume la journaliste américaine Elizabeth Kolbert dans son best-seller « La Sixième Extinction », couronné par le prix Pulitzer de l'essai, qui paraît cette semaine en France. Sa prédiction est de plus en plus partagée par le milieu scientifique. Dans une étude internationale publiée l'an passé par la revue « Nature » (« Approaching a state shift in Earth's biosphere », « Un état de décalage dans la biosphère terrestre »), une équipe internationale de chercheurs pointait « l'imminence d'un effondrement irréversible des écosystèmes terrestres ».

Pour poser leur diagnostic, les auteurs ont analysé les travaux décrivant les bouleversements biologiques intervenus lors de 7 grandes crises planétaires : l'explosion cambrienne, il y a 540 millions d'années, les 5 extinctions massives et le passage de la dernière période glaciaire à notre époque, il y a 12.000 ans. « Toutes ces transitions ont coïncidé avec des contraintes qui ont modifié l'atmosphère, l'océan et le climat à l'échelle mondiale », résument les auteurs.

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Transition brutale

Le même phénomène se produit actuellement : selon les chercheurs, presque la moitié des climats rencontrés aujourd'hui sur la Terre pourraient avoir bientôt disparu, laissant place à des conditions jamais rencontrées par les organismes vivants sur 12 % à 39 % de la surface du globe. Surtout, cette transition radicale surviendrait avec une brutalité jamais vue. « Le dernier bouleversement planétaire a fait apparaître des changements biologiques extrêmes en seulement mille ans, souligne un des coauteurs de l'étude, Arne Mooers, professeur en biodiversité. A l'échelle géologique, c'est comme passer du stade de l'enfance à l'âge adulte en moins d'une année. Or ce qui se produit aujourd'hui va encore plus vite. »

Pis : l'inertie pourrait très rapidement emballer le système. « La planète n'a pas de mémoire de son état précédent, soulignent les auteurs de l'étude. Nous prenons un énorme risque à faire basculer brutalement le système climatique vers un nouvel état d'équilibre auquel les écosystèmes et nos sociétés seront incapables de s'adapter. » Les émissions massives de gaz à effet de serre ne sont pas les seules responsables. Déjà 43 % des écosystèmes terrestres sont utilisés pour subvenir aux besoins de 7 milliards d'habitants sur la Terre. Le seuil qui peut dépasser les capacités d'endurance et d'adaptation de l'espèce humaine est proche : « 7 % de plus et nous aurons atteint un point de non-retour », estiment les scientifiques.

Avertissement pris au sérieux

A ce jour, un animal ou une plante disparaissent de la planète toutes les vingt minutes et, selon les projections de l'UICN, cette cadence infernale pourrait être centuplée d'ici à la fin du siècle pour atteindre un rythme 10.000 fois supérieur au taux naturel. « A l'échelle géologique, c'est une disparition quasi instantanée, plus fulgurante que les 5 extinctions massives qu'a connues notre planète », alerte son directeur général, Achim Steiner. La plus meurtrière, survenue il y a 250 millions d'années entre l'ère primaire et l'ère secondaire, avait anéanti 95 % des espèces marines et 70 % de la vie terrestre.

Un avertissement d'autant pris au sérieux que les traces de « cataclysme écologique » se révèlent de plus en plus nombreuses dans les archives de la planète. La dernière, publiée au début de l'année dans la revue « Plos One » par le Centre de recherche sur la paléobiologie et les paléoenvironnements, a mis en évidence que l'ensemble des populations de ruminants européens avait disparu il y a 24,5 millions d'années, remplacé par des migrants asiatiques après un changement climatique qui avait fait apparaître la saisonnalité sur le continent.

La situation n'est peut-être pas irrémédiable, évaluent quelques experts de l'UICN au vu de l'impact des mesures de conservation appliquées à certaines espèces. L'avenir du vautour indien (Gyps indicus), classé en danger critique d'extinction en 2002, est désormais plus sûr après l'interdiction de commercialisation du médicament vétérinaire à l'origine de son empoisonnement.

En chiffres

Entre 10 et 50 millions. Nombre probable d'espèces vivantes sur la planète. Un peu plus de 40 sont découvertes et décrites chaque jour.

35. Multiplication de l'activité de la pêche au XXe siècle.

34. Nombre de « points chauds » de la biodiversité menacés. Chacun d'eux compte au moins 1.500 espèces endémiques. Ils représentent 2,3 % de la superficie de la planète.

16.306. Nombre d'espèces menacées dans le monde, principalement en Equateur (2.178), aux Etats-Unis (1.179), en Malaisie, Mexique, Chine, Brésil et Australie. En France, 641 espèces sont en danger d'extinction.

250.000 . Nombre de plantes à fleurs cultivées. Sans doute 10 % d'entre elles auront disparu en 2025. Seules 150 espèces ont une réelle importance économique, et 103 représentent 90 % des cultures alimentaires.

23.500.En milliards d'euros, la valeur des services rendus chaque année par la nature à l'économie mondiale, selon la commission Sukhdev.

Paul Molga

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