La mission du week-end : fixer (enfin) le meuble de salle de bains acheté six mois plus tôt. Et dégoter une perceuse, quelque part dans les étages de la résidence. Timidité ? Pudeur ? Ou simple paresse ? Frapper chez le voisin qu’on croise tous les jours est devenu plus compliqué que de chatter avec un inconnu au bout du monde.
Plusieurs start-up ont donc développé des réseaux sociaux de proximité, sorte de mélange entre Facebook et Le Bon Coin, à l’échelle d’une copropriété ou d’un pâté de maisons. Des sites qui permettent d’échanger avec ses voisins des services, des bons plans, de poster des petites annonces, de s’informer sur les associations locales…
Ma-residence.fr, Monptivoisinage.com, Peuplade.fr ou encore l’application Freemo : la plupart de ses plates-formes s’inspirent du site américain Nextdoor.com, qui fédère 53 000 communautés de voisinage aux Etats-Unis. « Pour faire le premier pas, les gens ont besoin d’un prétexte, d’un briseur de glace, assure Grégoire Even, directeur de Peuplade.fr, une offre actuellement testée sur Paris, Marseille et Grenoble. Le réseau social remplit ce rôle. »
“On peut profiter des avantages de la proximité sans en avoir les inconvénients.” Charles Berdugo, fondateur de Ma-residence.fr
En vingt ans, Marie-Line n’avait pas pris le temps de connaître, au-delà de ses voisins les plus proches, les habitants de son lotissement malouin. Le site Mon P’ti Voisinage, découvert par hasard en surfant sur la Toile, lui a servi d’intermédiaire. « En partageant des informations, des liens se créent tout doucement », explique la quinquagénaire, qui a réussi, en un an, à attirer une petite communauté d’une vingtaine de foyers. Prêt d’outils de jardinage, diffusion d’informations sur les travaux de voirie, offre de covoiturages et même achat groupé de bois de chauffage et de fioul cet hiver, les habitants ont réussi, selon Marie-Line, à amorcer « une entraide de proximité somme toute classique, mais qui n’existait pas avant ».
Le numérique permettrait de gérer à la carte les relations de voisinage. Tout en préservant la sacro-sainte intimité. « C’est un outil qui n’oblige pas l’autre à ouvrir sa porte ou à décrocher son téléphone. On peut profiter des avantages de la proximité sans en avoir les inconvénients », s’enthousiasme Charles Berdugo, président et fondateur de Ma-residence.fr, le pionnier français sur ce créneau. Poster un message sur le réseau permet aussi de bénéficier d’une audience qui va au-delà des voisins avec lesquels vous avez sympathisé. « Celui qui va vous aider à trouver votre baby-sitter n’est pas nécessairement celui avec qui vous avez envie de boire un apéro », résume M. Berdugo.
Présent à Marseille, Evry, Longjumeau (Essonne) et dans une dizaine de villes moyennes, son site revendique 100 000 utilisateurs dans 26 000 immeubles. Les particuliers, inscrits gratuitement sous leurs vrais noms, y échangent des informations avant tout pratique.
“Ce n’est pas comme sur Facebook, on n’y poste que des informations qui ont un lien avec la vie de la résidence. On ne s’inonde pas de messages.” Thibault Lux, copropriétaire à Gennevilliers
Les sujets enfants (école, baby-sitting, activités périscolaires…) et dépannage (prêt d’outils, recherche d’artisans, conseils bricolage et informatique) ont la cote. Car c’est d’abord pour se simplifier le quotidien que l’on réseaute entre voisins. L’amitié suit ou non. « Ce n’est pas comme sur Facebook, on n’y poste que des informations qui ont un lien avec la vie de la résidence. On ne s’inonde pas de messages et on reste dans le relativement sérieux », témoigne Thibault Lux, 31 ans, copropriétaire à Gennevilliers (Hauts-de-Seine).
Membre du conseil syndical, le jeune homme a impulsé l’utilisation du site Ma-résidence.fr dans son immeuble tout neuf où personne ne se connaissait il y a un an. Aujourd’hui, la moitié des appartements comptent au moins un inscrit. Au fil des mois et des atomes crochus, certains messages n’apparaissent plus. « Pour la garde de mon chat, poursuit Thibault, je vais voir directement la personne qui m’a déjà rendu ce service par trois fois. »
Portés par la vague d’économie collaborative, ces micro-espaces auraient un vrai avenir. « Il y a seulement cinq ans, les usagers n’étaient pas mûrs pour ce type de réseau, explique Christine Balagué, responsable de la chaire réseaux sociaux à l’Institut Mines-Télécom. Aujourd’hui, les internautes sont habitués à interagir entre eux et à partager des services avec des inconnus qui habitent loin de chez eux. Si on leur propose des outils très ergonomiques et avec des contenus pertinents, par exemple pouvoir déclarer une fuite d’eau dans leur immeuble, géolocaliser les places de parking dans leur quartier ou grouper une livraison avec leurs voisins… ils y viendront. »
Une pratique courante aux Etats-Unis
Dans le secteur, certains, comme André May, président fondateur de la société Freemo, ont choisi de lancer leur réseau social uniquement sur portable. Son application actuellement expérimentée à Limoges sera étendue à la France entière à l’automne. Il espère ainsi attirer plus facilement une masse critique d’utilisateurs, condition indispensable pour que la proximité ne tourne pas à vide.
Dans sa grande copropriété parisienne de 250 logements, Véronique a réussi, en un an, à convaincre soixante-quatre habitants de l’utilité d’un réseau d’entraide et d’information. Mais la partie n’est pas gagnée pour autant. « Il faut du temps pour que le pli prenne. Les gens lisent les messages, mais il y a encore assez peu d’interaction entre habitants », reconnaît la quadragénaire. Il a fallu aussi recadrer ceux qui ont confondu le site avec un bureau des plaintes, pour protester contre telle ou telle nuisance sonore.
De l’autre côté de l’Atlantique, à raison de 5 millions de messages échangés chaque jour, Nextdoor fait un carton. Plus d’un quartier américain sur quatre utiliserait cette application. Mais le succès a ses revers. A trop être informés sur ce qui se passe dans la rue d’à -côté, notamment les cambriolages et délits divers, les habitants auraient développé une certaine paranoïa. La peur aussi peut fédérer les voisins.
Voir les contributions
RĂ©utiliser ce contenu