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Morbihan

Clichés bucoliques à La Gacilly

Courts séjours en Francedossier
En lisière de la forêt de Brocéliande, le village breton offre, en sus de ses paysages naturels et de ses venelles fleuries, un festival de photo en plein air engagé dans l’environnement.
par Gilles Renault, Envoyé spécial à La Gacilly (Morbihan)
publié le 21 août 2015 à 18h16

Puisque, selon l'adage de l'insubmersible navigateur Olivier de Kersauson, «en Bretagne, il ne pleut que sur les cons», c'est sans appréhension aucune que l'on peut s'aventurer en toute saison à La Gacilly. La précision revêt une importance d'autant plus grande que le village se pratique au grand air. Certes, en cas de saucée - purement théorique, on l'aura compris -, il sera toujours possible de s'abriter chez tel ou tel artisan d'art arborant l'enseigne Entre terre et verre, le Monde des girouettes ou le Chaudron magique ou, mieux encore, feuilleter une bonne sélection d'ouvrages à la librairie. Mais le fait est qu'on aime avant tout y flâner.

Bourgade de 2 000 âmes lovée dans la vallée de l'Aff, La Gacilly ne possède ni calvaire monumental ni forteresse médiévale ; et, pour autant qu'on concède un regard intrigué à son église - une bâtisse blanche à quatre colonnes de style néogrec du XIXe siècle, en lieu et place des sempiternelles constructions granitiques qui constellent la région -, la pierre peine à justifier le détour. Mais, par-delà un statut «pittoresque» néanmoins justifié (cf. ses rues et venelles pavées en pente douce, murets plantés de graminées, ou jardinets à l'ordonnancement fantasque que ceignent des hectares de prairies, chemins creux et forêts), la commune du Morbihan, autoproclamée «village de la nature, de l'art et de la beauté», se rehausse d'un projet unique : son festival photo.

Naguère sous-titré «Peuples et nature», l'événement annuel a ceci de spécifique qu'il est localisé dans l'espace public, offrant gracieusement au visiteur (qui peut néanmoins le soutenir, à travers des dons ou achats de catalogue) l'expérience mémorable à une si grande échelle d'un parcours vertueusement ambitieux : les tirages, parfois immenses, sont si soignés qu'ils résistent aux facéties climatiques ; quelque 300 noms, français et internationaux, figurent déjà au générique des précédentes éditions ; et le mot d'ordre ne fléchit pas, qui entend porter un regard artistique sur rien de moins que «le monde et ses enjeux environnementaux». Car, comme le dit Jacques Rocher, fondateur du festival et maire depuis 2008 de La Gacilly, «on ne peut pas rester indifférent à cette incroyable capacité qu'a l'homme de détruire la planète, dans une vision des choses hyper court-termiste contrastant avec une puissance de moyens sans cesse grandissante». La preuve en quatre haltes piétonnes.

1 Le labyrinthe végétal

Marcher quelques mètres tout droit, puis prendre le virage à gauche, à nouveau tout droit, puis encore à gauche et aussitôt à droite… Bon, pas la peine non plus de se faire un film : nul ne peut s’égarer dans le «labyrinthe végétal», charmant parcours balisé où l’on baguenaude au milieu des espèces locales, en bordure de la rivière. Emblématique de La Gacilly, le lieu a un lien d’autant plus fort avec le festival qu’il a été créé spécifiquement pour, petit musée à ciel ouvert favorisant la scénographie dont bénéficie chaque année un artiste.

Tranchant avec la verdure du périmètre boisé, on se repaît ainsi, cette fois, des grands espaces immaculés de Vincent Munier, photographe français qui, des Vosges au Japon, via la Norvège et le Tibet, a scruté les moindres apparitions d’une faune mimétique habituée à se fondre dans le décor. Lièvres, bœufs musqués, ours polaires, loups… l’odyssée subjugue, accentuée par les variations lumineuses de la frondaison, qui elle-même se fait complice de l’astuce animalesque ou, au contraire, aide à discerner dans le blizzard ici une paire d’yeux, là des traces de pas.

2 Le chemin des Libellules

Jacques Rocher est formel : la pression s’estompe dès qu’on s’arrête à La Gacilly. Plus proche de la fantasmagorique forêt de Brocéliande que du littoral, le village possède ses totems : dolmen, menhir et cupules sous un if attestant d’une implantation antédiluvienne. Laquelle, sans verser dans le mysticisme béat, légitime une certaine inclination au tellurisme… Et l’envie familiale, dans le sillage du défunt Yves Rocher - père de Jacques, qui fonda les laboratoires du même nom, véritable poumon économique du coin -, de poser une empreinte (carbone) résistant à l’épreuve du temps.

Soucieux d'une «dimension culturelle source de richesse et de créativité en lien avec le monde végétal», le village coquet brandit ses labels Quatre Fleurs et Station verte (une consécration décrochée par de rares communes françaises). Les hôtes persévérants, ou chanceux, peuvent nourrir l'espoir d'apercevoir un jour un chevreuil, une alouette lulu, un pic-vert ou un blaireau et, à défaut, le chemin des Libellules soigne son balisage pédagogique : traversant la rivière par l'élégante passerelle qui enjambe l'Aff, on quitte ainsi le labyrinthe végétal pour s'initier, sur l'autre rive, à cette zone humide où volette la libellule vraie - qu'un panneau apprend à ne pas confondre avec sa cousine, la demoiselle, ou agrion.

Bucolique à souhait, le sentier contraste cet été avec les images de l'Américain George Steinmetz qui le bordurent : une dénonciation ad nauseam de l'agriculture intensive dont témoignent tous ces cochons ou poules sacrifiés sur l'autel de la surconsommation planétaire. A opposer aux Hadza tanzaniens du photographe Matthieu Paley, qui en sont encore à lécher les rayons de miel et à faire bouillir la cigogne. Pour combien de temps encore ?

3 Le garage en bonne voie

Exemple inspiré de reconversion artistique, un garage désaffecté sur lequel on tombe au détour d’une sente contredit l’humeur agreste. Espace vide aux murs si blancs que la réverbération du soleil oblige à plisser les yeux, ce nouvel espace d’exposition a vu le jour en 2013. «Vu le jour» étant la formulation idoine dans la mesure où, son toit ayant été ôté, l’endroit composé de deux ateliers mitoyens et d’un escalier métallique se visite à ciel ouvert. En hauteur, un mur peint représentant trois personnages bourgeoisement accoutrés distrait l’attention qui, vite, se reporte sur une autre sélection d’images dédiées, cette fois, à la Bretagne laborieuse d’hier (1890-1960) et d’aujourd’hui (des portraits signés Stéphane Lavoué).

4 Le jardin botanique

Il faut prolonger la pérégrination de plusieurs hectomètres pour, à la sortie du village, tomber sur le jardin botanique dont, depuis la route, on ne devine pas l’étendue, ni l’extrême variété. Sur plus de deux hectares, au beau milieu des trois usines Yves Rocher implantées sur la localité, ce sanctuaire de la biodiversité se targue d’héberger une vingtaine d’espèces menacées. Le jardin breton fait partie d’un réseau international qui correspond avec d’autres, à Kyoto, Denver, Kiev… A chaque nouvelle saison, les équipes locales commandent plus de 1 500 sachets pour enrichir les collections et en expédient presque autant. Les douanes n’y voient que du feu (on plaisante) et, pour les experts, on signalera que la collection d’armoises vaut, paraît-il, le détour.

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