Un "socialiste" à la Maison-Blanche? Non, il ne s'agit pas d'une uchronie sortie de l'esprit de Philip K. Dick, et ce n'est pas encore fait. Le démocrate Bernie Sanders, 73 ans, connu pour ses sorties anti-guerre et pro-sécurité sociale, n'ira peut-être pas au bout de l'élection présidentielle américaine en novembre 2016. Mais il connaît son "moment". Et dans les meetings, dans les sondages, dans les médias classiques, sur les réseaux sociaux, c'est la Berniemania.

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Rien de comparable, certes, avec l'Obamania en 2008. Mais, après tout, Barack Obama n'a doublé Hillary Clinton qu'en février 2008, au début des primaires démocrates, avant de l'emporter quelques mois plus tard face au candidat républicain John McCain. Pour l'heure, la favorite démocrate conserve une marge confortable dans les enquêtes d'opinion. D'après les calculs de RealClearPolitics, qui rassemblent ces nombreux sondages, elle devance encore Bernie Sanders de plus 20 points.

Il double Clinton dans le New Hampshire

Même si son entourage ne semble pas paniquer, cette avance fond à vue d'oeil: elle était de plus de 50 points avant l'été. Si cela continue à ce rythme, le site RealClearPolitics va devoir revoir sa copie: pour l'heure, les "duels" finaux dont il rassemble les sondages opposent toujours les républicains à la même candidate démocrate: Hillary Clinton.

Dans les Etats-clés, le sénateur du Vermont monte, au point de doubler Hillary Clinton dans le New Hampshire depuis la mi-août. Oui, il s'agit bien d'un candidat qui se revendique "socialiste", qui "applaudit le peuple de Grèce qui a dit non à plus d'austérité", qui dénonce les riches et les salaires trop bas, qui considère la sécurité sociale comme un droit de base. Et les électeurs d'un Etat du nord-est des Etats-Unis le préfèreraient à l'ex-secrétaire d'Etat de 67 ans, s'ils votaient maintenant.

S'ils votaient tout court. Voilà bien le problème pour les démocrates: ils ne votent plus. C'est du moins l'analyse de Bernie Sanders. "Mes amis, les Républicains n'ont pas gagné les élections de mi-mandat en 2014. Nous les avons perdues. Nous avons perdu parce que la participation a atteint le niveau des abysses. (...) Les démocrates ne garderont pas la Maison-Blanche à moins de générer de l'excitation, de créer un élan pour amener les électeurs aux urnes", a-t-il mis en garde, lors d'un meeting dans le Minnesota.

Quel serait l'antidote à cette abstention qui, de fait, handicape plus les démocrates que les républicains? Certainement pas les candidats issus de "l'establishment", selon Bernie Sanders qui a pris soin de ne pas citer Hillary Clinton. "La 'politique comme d'habitude' ne suscitera pas l'enthousiasme nécessaire", a-t-il ajouté, avant d'enchaîner sur un réquisitoire contre la "classe des milliardaires" chaleureusement accueilli par ses partisans, jusque là bien silencieux d'après le New York Times.

L'anti-Trump des démocrates?

Curieusement, Bernie Sanders ressemble à Donald Trump, l'autre phénomène du moment aux Etats-Unis. Les deux hommes échevelés tapent de concert sur les candidats estampillés "establishment" comme Hillary Clinton ou Jeb Bush. Un remake que les Américains auront peut-être à trancher mais qui ne suscite guère leur appétit. "Les électeurs cherchent vraiment quelque chose de différent, il y a beaucoup de frustrations à droite et à gauche", explique Wendy Schiller, professeure de sciences politiques à l'université Brown, à l'AFP.

La ressemblance s'arrête toutefois là. Bernie Sanders "refuse" tout parallèle, a-t-il dit sur MSNBC ce lundi. "Nous ne sommes pas engagé dans la démagogie. Nous ne proférons pas d'attaques racistes, outrageuses, contre les Mexicains. Nous essayons de parler de la dure réalité à laquelle font face les Américains", a-t-il répondu.

Et quand l'homme d'affaires clame fièrement qu'il est "riche, très riche" et reprend des slogans de l'ère Reagan, l'ex-charpentier Bernie Sanders refuse de résumer la politique à une simple histoire de gros billets. Détracteur des Super PAC, il estime que l'arrêt Citizens United (2010) qui assouplit le financement des campagnes électorales a "miné la démocratie américaine". "Je ne crois pas que les milliardaires devraient être capable d'acheter les politiciens", affirmait-il en mai dans l'émission Face the Nation.

Une pluie de petits dons... et un Super PAC malgré lui

Manque de chance, un avocat de Los Angeles a décidé de créer un Super PAC pour le soutenir, raconte le Washington Post. Son nom: "Les milliardaires pour Bernie". Reste à voir si ces derniers se précipitent pour soutenir le démocrate, alors que la contribution moyenne actuelle à sa campagne s'élève à 31,30 dollars. "Ce serait difficile d'acheter un politicien pour 31,30 dollars. C'est exactement le message de Bernie Sanders" qui a jusqu'à présent levé 15 millions de dollars grâce à ces petits dons, souligne le New York Times.

Une paille par rapport aux 67 millions de dollars d'Hillary Clinton (47 pour sa campagne directe, 20 via les Super PAC), d'après les comptes du New York Times. Ou encore par rapport aux 120 millions de dollars de Jeb Bush (dont 108 millions via les Super PAC). Quant à Donald Trump, c'est simple, le milliardaire est "son propre Super PAC" et "dispose de 300 millions de dollars en cash", d'après le Wall Street Journal.

Bernie Sanders ne pèse rien par rapport à lui mais, comme lui, il réveille son camp. Or "la presse veut sa bataille démocrate", souligne un commentateur de Fox News. Quitte à passer rapidement l'éponge sur des écrits qui auraient pu faire polémique, comme un curieux récit publié en 1972 où le démocrate décrit comment "une femme fantasme sur le fait d'être violée par trois hommes à la fois"... Mais pour l'heure, il ne faut pas "ruiner l'histoire racontée par la presse", ajoute-t-il.

Surtout pas avant le premier débat démocrate prévu pour le 13 octobre sur CNN. Et puis, si le vice-président Joe Biden ne confirme toujours pas sa candidature avant cette date, avec qui Hillary Clinton débattrait-elle sans "the Bern"? Il y a bien Martin O'Malley, Jim Webb et Lincoln Chafee... Mais avec 2 à 6% des intentions de vote à eux trois, au niveau national, ils ne semblent pas de taille à lutter.

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