Des abeilles pour soigner les hommes

Les ruches et le jardinage peuvent être des outils thérapeutiques en psychiatrie. A Forest, une expérience pilote a débuté en juillet. Reportage

Temps de lecture: 4 min

Atteints de psychose, de dépression ou d’alcoolisme, les cerveaux malades se soignent aussi au contact de la nature et de ses dangers. Depuis début juillet, des patients en psychiatrie et revalidation neurologique peuvent expérimenter une confrontation avec quelque 20.000 abeilles. De quoi apprendre à gérer ses peurs. De quoi aussi se sentir valorisé par un apprentissage extraordinaire alors que l’estime de soi de ces personnalités tourmentées est souvent en chute libre. Cette thérapeutique se déroule à l’hôpital Iris du site Molière Longchamp à Forest.

Une demi-douzaine de patients au visage protégé par une moustiquaire forment un arc de cercle autour des ruches sises dans une courette enclavée. Quelques minutes auparavant, l’un de ceux-ci, rongé d’angoisses, ne cessait de répéter « j’ai peur, j’ai peur ». Mais désormais, c’est le petit groupe entier qui joue des coudes pour être au plus près du cadre tenu par l’apiculteur et apercevoir les naissances. « Là, sortant d’une alvéole, on voit deux petites antennes noires qui soulèvent l’opercule : c’est une abeille en train de naître », explique Bruno Harmant, apiculteur chez Made in abeilles. Les patients s’extasient. Les barrières de la peur tombent pour s’approcher au plus près.

Parmi eux, il y a Angela. Elle est résidente de l’unité de psychiatrie pour dépression chronique. Elle redoutait l’agressivité des abeilles. Mais ses a priori ont peu à peu fait la place à la raison et à l’émerveillement. « Désormais, j’en ai moins peur car je les comprends mieux grâce aux explications passionnées de l’apiculteur. Cette activité m’a été bénéfique car je suis parvenue à me concentrer pendant une heure, ce qui n’est pas facile avec les médicaments que l’on prend. Quand je vais revoir mes proches, c’est la première chose dont je vais leur parler. Approcher les abeilles de tout près, c’est impressionnant. Ça permet aussi de sortir du contexte psychiatrique… et ça fait du bien. »

L’expérience pilote ravit également le psychiatre Dr Daniel De Smedt : « Pour les patients, c’est une façon de vivre quelque chose d’extraordinaire alors même qu’ils viennent d’être frappés par la maladie et qu’ils se sentent diminués. C’est pour eux une occasion d’apprendre, de transmettre ce savoir autour d’eux et de se valoriser. » Et d’ajouter : « Les durées d’hospitalisation sont de plus en plus courtes. Il est crucial d’établir un lien perceptible entre nos patients et la cité. Les abeilles en est un. Le potager en est un autre. »

Un potager où l’on se sent libre

A quelques couloirs de là, le salon des patients de psychiatrie s’ouvre sur un jardin. Ils y cultivent, en bacs et en bio, des herbes aromatiques et des légumes à consommer crus. « Pour une question de sécurité, la cuisson est interdite », indique-t-on.

Travailler la terre avec les mains fait appel aux sens et apporte une relaxation bienfaisante. Par ailleurs, « une notion majeure mise en exergue par le potager, c’est le temps qui passe. De longues semaines d’attente sont nécessaires pour qu’une tomate puisse être croquée. C’est une belle métaphore, car quand on a des problèmes existentiels, psychologiques, il faut aussi une longue période pour se reconstruire, continue le Dr De Smedt. De plus, des études ont montré que dans la prévention de l’Alzheimer et le traitement de troubles cognitifs, le jardinage est plus efficace que les mots croisés. Parce qu’il mobilise à la fois la motricité fine et oblige à penser l’ordre dans lequel on fait les choses. »

En place depuis 2 ans, le potager facilite aussi le contact entre les soignants et les patients. Moussa Dikho est infirmier en psychiatrie. « Le contact avec la terre et la nature nous permet d’établir une relation avec certains patients difficiles. Le jardin est un espace ouvert où ils se sentent libres et se livrent plus facilement. Depuis qu’il a commencé le jardinage, un de nos patients paranoïaques s’est ouvert considérablement et son comportement au quotidien a changé. Un autre, alcoolique sévère, y a trouvé la solution à la souffrance qu’il rencontrait avec ses enfants le week-end : avant, il ne savait que faire comme activités avec eux, désormais il les initie au jardinage. Cela ne va pas résoudre brutalement son addiction, mais c’est une étape de valorisation de soi primordiale pour qu’il puisse s’en sortir. C’est un bel outil thérapeutique. »

 

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