
Sur Twitter, les sympathisants du Front national partagent des préoccupations communes : immigration, insécurité, Union européenne, « UMPS »… En apparence, Anne Lalanne n’est qu’un profil parmi d’autres. Elle « retweete » les messages de Florian Philippot ou de Louis Aliot. Dénonce le supposé « racisme de classe » de Jean-Christophe Cambadélis à l’encontre du « peuple patriote ». Raille les membres de la Commission européenne, comparés dans une photo à l’empire galactique de Dark Vador. Se plaint du travail des journalistes…
Avec 206 abonnements, 232 abonnés, et un peu moins de 800 messages rédigés depuis son inscription sur le réseau social, en avril 2013, Anne Lalanne présente toutes les apparences d’une supportrice lambda de Marine Le Pen. A ce détail près que c’est la présidente du Front national elle-même qui administre le compte depuis plus de deux ans, en toute discrétion.
L’ancienne candidate à la présidentielle a semé des petits cailloux sur son chemin. Anne n’est autre que son deuxième prénom, Lalanne étant le nom de jeune fille de sa mère, Pierrette. Le nom d’utilisateur du compte, @enimar68, représente quant à lui la conjonction du prénom de la présidente du FN, écrit à l’envers, et des deux derniers chiffres de son année de naissance, 1968. Enfin, les premiers comptes auxquels Anne Lalanne s’est abonnée sont ceux de son compagnon, Louis Aliot, de son ami Frédéric Chatillon, ancien chef de file du GUD et pourvoyeur du FN en matériel électoral, et de son éditeur, Philippe Grancher, chez qui elle a publié deux livres. Contactée, la chef de file frontiste nie se cacher derrière Anne Lalanne. Plusieurs sources proches de la présidence confirment pourtant que c’est bien Mme Le Pen qui est l’utilisatrice de ce profil.
Un autre éclairage
Loin d’être anecdotique, l’activité d’Anne Lalanne/Marine Le Pen offre un éclairage différent de celui donné par le compte @MLP_officiel à ses presque 680 000 abonnés. Ce dernier, qui retranscrit en direct les interventions médiatiques et les discours de la présidente du FN, est géré par des collaborateurs de « la bulle », un bureau du siège du parti, à Nanterre, consacré aux activités numériques. Là, c’est bien la députée européenne, et personne d’autre, qui est à la manœuvre. « Elle regarde beaucoup Twitter, notamment en voiture », confie un proche.
Parmi ses cibles de choix, outre François Hollande et Nicolas Sarkozy, se trouve Bruno Gollnisch, son adversaire malheureux dans la course à la présidence du FN en 2011. Quand ce dernier se dit « étonné », le 17 avril, au lendemain des entretiens polémiques de Jean-Marie Le Pen sur RMC et à Rivarol, que « l’entourage familial de Le Pen ait ignoré jusqu’ici ses opinions » sur la seconde guerre mondiale, « Anne Lalanne » lui répond : « Non, c’est précisément pour cela que MLP [Marine Le Pen] s’est présentée contre Gollnisch à la tête du Front… Et l’a battu. »
Le 6 février 2014, déjà, elle avait renvoyé l’ancien dauphin de Jean-Marie Le Pen à son ADN d’extrême droite traditionnelle. Ce jour-là, le député européen écrivait un message d’hommage aux émeutiers du 6 février 1934 : « 1934-2014, mêmes corruptions dans l’Etat ; mêmes héroïques protestations. Je pense à vous ce soir ô morts de février ! » Réaction d’« Anne Lalanne » : « Protégez-moi de mes amis… Mes ennemis, je m’en charge ! »
Ce compte, suivi par de nombreux cadres et élus frontistes, permet aussi de passer certains messages en interne. Quand Julien Rochedy, l’ancien directeur du Front national de la jeunesse, annonce en juin qu’il n’a pas repris sa carte du parti car il est en désaccord avec la ligne du mouvement, « Anne Lalanne » « retweete » le message d’un de ses conseillers : « Julien Rochedy n’en finit plus d’attaquer le FN depuis que Marine Le Pen a refusé de l’intégrer à son cabinet. Ceci explique peut-être cela. »
Le « torchon » « Minute »
La présidente du FN, qui dénonce régulièrement le rôle des médias, accusés d’être aux mains du « système », critique par ailleurs la presse sur ce compte, y compris celle pouvant lui être a priori favorable. Ainsi n’a-t-elle pas hésité à s’en prendre, en juin 2014, aux « affabulations » supposées du « torchon » Minute — avec lequel elle entretient depuis longtemps des rapports conflictuels — sur le plan qu’aurait échafaudé à l’époque Florian Philippot pour évincer Jean-Marie Le Pen du FN. Ou encore de s’attaquer au directeur général de Valeurs actuelles, Yves de Kerdrel, accusé de soutenir « servilement » Nicolas Sarkozy.
Enfin, certains tweets envoyés il y a quelques mois par « Anne Lalanne » prennent une résonance particulière aujourd’hui, alors que Jean-Marie Le Pen a été exclu du FN. Le 1er février, Xavier Bertrand tance ainsi Marine Le Pen dans une interview, au lendemain d’une déclaration de Jean-Marie Le Pen estimant que la « patte des services secrets français » pouvait être vue derrière l’attentat à Charlie Hebdo. « Elle est incapable de mettre de l’ordre dans sa propre famille », reproche alors le député UMP. Réaction mi-outrée mi-amusée d’Anne Lalanne/Marine Le Pen : « A l’UMP en revanche ils sont prêts à tuer père et mère ! »
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