IMMIGRATION - Comme de nombreux Parisiens, il a le nez rivé sur son téléphone portable. Assis sur les quais du XIIIe arrondissement, en dessous de la Cité de la mode et du Design, dont il arrive à capter gratuitement le précieux wifi quelques heures par jour, Mahmoud n'a plus que ce téléphone pour rester en contact avec sa famille. Mahmoud n'est pas Parisien, il est Soudanais et fait partie de ceux qu'on appelle les migrants.
Le camp d'Austerlitz, non loin de la gare du même nom, est un des camps de migrants de la capitale que la préfecture entend démanteler, même si aucune date n'a été arrêtée. Et c'est la dernière étape d'un long voyage, espère Mahmoud. Car non, le jeune homme de 25 ans, qui paraît quelques années de plus, ne veut pas aller à Calais pour rejoindre l'Angleterre. Trop loin, trop dangereux, trop cher, pour celui qui a déjà des milliers de kilomètres à son compteur et plus un sou dans ses poches. "Il y a des gens qui en sont morts", souligne-t-il. Dans un mélange d'anglais et d'arabe, il raconte au HuffPost ce parcours que tant d'autres ont emprunté avant lui et que tant d'autres emprunteront encore.
La clandestinité pour fuir la dictature
Ce périple, devenu tristement banal, commence au Soudan. Il ne fait pas bon vivre, c'est peu de le dire, sous le règne d'Omar el-Béchir et de ses soldats. Pour Mahmoud, la seule alternative pour échapper à cette dictature, c'est la fuite clandestine vers l'Europe. Quitter sa ville d'Omdourmane, c'est aussi abandonner ses études de technicien médical. Et c'est surtout laisser sa femme derrière lui. "Un voyage comme ça, c'est trop dangereux pour les femmes, surtout en Libye", s'explique-t-il. De la Libye justement, point de passage périlleux pour de nombreux migrants, et de sa traversée en Méditerranée, Mahmoud nous dira simplement, "j'ai eu peur". Ses yeux noirs, qui regardent dans le vide, trahissent ce qu'il n'ose pas dire: il ne veut pas s'étendre.
Son récit reprend là où il a enfin pu remettre les pieds sur la terre ferme, à Catane en Sicile. Cela fait déjà deux mois qu'il est parti de chez lui mais la route est encore longue. De l'île italienne, il arrive à passer sur la botte et à la remonter en passant par Rome avant d'arriver à Vintimille. La frontière entre l'Italie et la France a été pour lui un obstacle difficile à franchir. La police de l'Hexagone veille au grain et nombreux sont les clandestins qui se font prendre, à pied ou dans les trains, pour être renvoyés côté italien.
Fond de carte: Open Street Map
Vintimille-Paris, transfert express
Après un mois d'attente, la chance lui sourit enfin. Non seulement il arrive à passer cette frontière emblématique pour aller à Nice, mais en plus il réussit à rejoindre Paris en TGV dans la foulée. "J'ai fait Vintimille-Paris en une journée, alors que certains mettent trois à sept jours pour y arriver", fait-il remarquer d'une voix enjouée. "En une seule journée", insiste-t-il en rigolant et le pouce levé, pas peu fier de son petit exploit.
De Gare de Lyon, un certain nombre de migrants s’engouffrent dans le métro vers la Gare du Nord pour rejoindre Calais. Mahmoud, lui, a décidé que son épopée, qui lui a coûté environ 3000 euros, s'arrêterait à Paris. "Je veux demander l'asile en France", dit-il avec une certaine assurance. Il a d'ailleurs rendez-vous le lendemain de notre rencontre pour déposer sa demande avec l'aide d'un associatif. Tout ce qu'il souhaite, c'est "apprendre le français, travailler et pouvoir faire venir ma femme".
Photo: AFP
En attendant, les journées se suivent et se répètent dans le camp d'Austerlitz. Dans cet ensemble de tentes Quechua vertes et bleues, au pied d'un escalier en béton qui mène au Wanderlust, lieu branché de la capitale, la vie s'organise. "Sans jamais de bagarres", assure Mahmoud en pointant du doigt le campement à quelques mètres de là. Il y a ceux qui font à manger, ceux qui lavent leur linge dans des seaux le long du quai, ceux qui passent le temps, qui file doucement, en discutant.
Plusieurs associations, mais aussi des riverains du XIIIe, distribuent de la nourriture ainsi que des vêtements. De quoi permettre aux habitants du camp d'être proprement vêtus, à l'image de Mahmoud, jeans noir et Converse aux pieds. Il y a aussi cet homme, un Français - associatif ou simple voisin, Mahmoud ne sait pas trop - qui vient régulièrement récupérer les portables des migrants. Il les emmène à charger avant de leur rendre la batterie pleine. Leur portable est précieux, il est leur seul lien avec la vie d'avant.
Quant à la musique qui s'échappe du Wanderlust jusque tard dans la nuit et aux rats qui s'invitent au milieu des tentes, Mahmoud minimise ces nuisances. Tout comme le fait de ne pas pouvoir se laver et de devoir partager des toilettes de chantier avec plusieurs dizaines d'autres personnes. Mahmoud fait avec, il n'a pas vraiment le choix, de toute façon, ce n'est que temporaire, n'est-ce pas? Dans son timide sourire, qui ne quitte jamais son visage un peu rond, l'optimisme essaye de prendre le pas sur la fatalité.
D'ailleurs cet optimisme, il ne s'en départit jamais. Quand on l'interroge sur ce qu'il fera si sa demande d'asile est rejetée, il nous regarde comme si cette option n'était pas envisageable. "I need to stay in France", répète-t-il à plusieurs reprises avec détermination. Peu importe où, il souhaite juste "pouvoir vivre normalement". Qui n'y aspire pas?