Les punkettes d’Iran défient le gouvernement sur Instagram

Les punkettes d’Iran défient le gouvernement sur Instagram

(De Téhéran) Les accords sur le nucléaire en juillet n’ont rien changé en Iran. S’ils devraient aider l’économie du pays à décoller, la condition des droits de l’homme reste la même. Atoosa et Zana (les prénoms ont été...

Par Kévin Miller
· Publié le · Mis à jour le
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Sous cette photo poste mi-juillet sur le compte Punkgirlsir, la jeune femme a partag la citation :  Sois ce que tu veux tre et pas ce que les gens dcident pour toi car tu ne vis qu?une fois
Sous cette photo postée mi-juillet sur le compte Punkgirlsir, la jeune femme a partagé la citation : « Sois ce que tu veux être et pas ce que les gens décident pour toi car tu ne vis qu »une fois »

(De Téhéran) Les accords sur le nucléaire en juillet n’ont rien changé en Iran. S’ils devraient aider l’économie du pays à décoller, la condition des droits de l’homme reste la même. Atoosa et Zana (les prénoms ont été modifiés pour assurer la sécurité des intervenants) en sont les premières convaincues. Ces deux jeunes punkettes de 18 ans au look coloré font partie d’une célèbre page Instagram appelée « Filles punks d’Iran ». La première est née dans le sud-ouest iranien, à Shiraz, et la seconde en Suède. Les deux ont flirté ensemble il y a quelques années. Et même si leur relation est terminée, ces deux Iraniennes risquent la peine de mort.

Le cheveu rouge vif, à demi caché par un léger voile, Atoosa est toute excitée : elle vient de brillamment réussir son examen de fin d’année, ce qui lui donne ainsi accès à l’université :

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« Mes parents voulaient que je fasse des mathématiques. Mais je leur ai dit que ce serait l’art, la peinture, la photo ou rien. »

 

Facebook et Twitter censurés, pas Instagram

Son père et sa mère viennent de divorcer, un exercice pas si rare en Iran. Généralement, seul le mari est en droit de faire la demande de divorce. Sauf en cas de violences conjugales. Accrochée à son smartphone, elle checke les dernières actualités de sa page Instagram.

« Ici, Facebook et Twitter sont censurés. On n’y a accès que si on installe un VPN sur son ordinateur ou sur son smartphone. Si Instagram est autorisé, c’est uniquement parce qu’on ne peut pas y enclencher des conversations, ni créer des événements et des rassemblements comme on peut le faire sur Facebook et Twitter. »

Nombre d’Iraniens surfent donc sur Internet avec un VPN. Un logiciel qui permet de se connecter au réseau virtuel d’un autre pays et de contourner ainsi la censure du gouvernement.

« Malheureusement, même avec un VPN, ce n’est pas facile d’utiliser Facebook et Twitter, parce que la connexion est tellement lente partout.. »

Zana, clope à la main, souffle :

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« Quand j’essaye de faire un Skype avec une amie, la vitesse d’Internet est si basse que l’image est totalement saccadée. Parfois, je me demande si ce que je vois à l’écran est sa main ou autre chose. »

Zana n’a pas de souvenir de sa vie en Suède. Ses parents sont rentrés au pays quand elle était toute petite, après la mort de son grand-père. La teinture blond platine, l’oreille percée, elle étale volontiers sa connaissance cinématographique française.

« J’ai beaucoup aimé “Amélie Poulain”. Vous les Français, dans vos films, vous fumez tout le temps pendant les repas », rigole t-elle. « On se fait tellement chier ici qu’on mate des heures et des heures de films étrangers. »

En Iran, télécharger un thriller peut prendre plus d’une journée. Mais il est possible d’acheter en sous-main des DivX à d’intrépides ’’dealers’’ de films.

 

Dans une ultime provocation, Atoosa porte ses boucles d'oreille prfres. Les laisser visibles ou les recouvrir de son voile, telle est la question
Dans une ultime provocation, Atoosa porte ses boucles d’oreille préférées. Les laisser visibles ou les recouvrir de son voile, telle est la question - Sebastian Castelier

Coupes de cheveux « sataniques »

Atoosa est moins fan du cinéma français. Elle a d’ailleurs peu apprécié « La Vie d’Adèle », lui trouvant trop de stéréotypes sur l’homosexualité entre femmes. La jeune Iranienne de 18 ans vit plutôt bien sa condition de lesbienne. Ses parents beaucoup moins :

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« Un jour, ils m’ont envoyé voir un sexologue. Lors de la première séance, le mec m’a balancé : “OK tu es gay, mais je peux rien y faire, je sais pas quoi te dire. Je peux pas changer ça.” »

En Iran, et spécifiquement à Téhéran, les mentalités évoluent doucement. Depuis un an, le gouvernement d’Hassan Rohani a voté quelques réformes progressistes. Mais le pays continue de sanctionner l’homosexualité d’une balle dans la tête. Les hommes se font exécuter dès la première interpellation. Les filles, elles, ont le droit à trois récidives. Zana rigole et renchérit en ajoutant un détail d’importance :

« il faut être prises en flagrant délit d’acte sexuel par trois témoins différents. Tu imagines, trois personnes en train de te mater... »

Dans ses pires cauchemars, Atoosa se voit marcher dans la rue, se faire assaillir par des dizaines de passants qui la portent vers un bûcher pour la brûler vive. Mais la réalité est toute autre. Si le risque de la peine de mort, de la prison et des coups de fouet plane toujours au-dessus des deux jeunes filles, aucune n’a pour l’instant été arrêtée. La native de Shiraz s’avoue chanceuse :

« Un jour, j’étais à un rassemblement LGBT, tout le monde s’est fait embarquer, sauf moi. »

Les rafles de la Tadarokat, la police des mœurs, sont fréquentes dans les principaux boulevards, parcs et espaces publics, mais restent assez minoritaires à Téhéran. Atoosa se souvient :

« C’est comme avec les chiens, si tu passes devant eux sans les calculer, ils ne vont pas tout de suite aboyer. Un jour, je marchais devant un van entier de Tadarokat. Ils m’ont tous observé avec de gros yeux, et avant qu’ils ne disent quoi que ce soit j’avais déjà fui. »

Récemment, le gouvernement a interdit certaines coupes de cheveux, jugées sataniques. Se les colorer en rouge ou en blond, porter un voile qui laisserait les entrevoir, se balader avec une veste pas assez longue, est passible d’une arrestation. Certaines amies de Zana ont été moins chanceuses ; elle raconte :

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« Pour eux, un bout de peau qui dépasse c’est contraire à l’islam. Même pour des chaussettes tu peux te faire arrêter. Ils t’emmènent au poste, prennent ton identité, te photographient comme une criminelle avec une carte dans les mains puis te relâchent. »

 

Comme une part de la jeunesse iranienne, les deux amies participent activement à la scène underground de leur pays. En Iran, on a l’habitude de dire que tout est interdit, mais que, a posteriori, tout est possible.

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« On va à des soirées gay, avec de l’alcool et de l’herbe. Pour te dire, la dernière fois, je me revois observer ce mec danser serré avec un autre type. La loi n’évoluera pas ici, mais les mentalités si. Quand j’entends Ahmadinejad dire qu’il n’y a pas d’homosexuels en Iran, je bondis. Je suis quoi moi ? ! »

Avant son examen final, Atoosa a été prise en flagrant délit par sa mère. Elle avait organisé une soirée chez elle, mais sa mère était rentrée plus tôt que prévu. « Quand elle a vu ça, elle est restée stoïque, puis elle a lancé médusée : “si vous avez besoin de quelque chose, je serai dans ma chambre” », rigole t-elle.

Récemment, elle s’est faite tatouer une grosse araignée sur le mollet gauche. En Iran, impossible de trouver le moindre tatoueur à la surface :

« Ils ne peuvent pas avoir de magasin, parce que le tatouage n’est pas permis, mais on peut en trouver de très bons en underground. »

Zana se justifie :

« On enfreint constamment la loi, parce que tout nous est interdit ».

 

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Soirées arrosées

Calqué sur la charia, le code pénal iranien est pointilleux sur les mœurs. Malgré l’interdiction formelle de la consommation et de la vente, l’alcool fait partie intégrante de la vie d’un certain nombre d’Iraniens. Jeunes et moins jeunes confectionnent ou achètent leur rincette en sous-main. Selon une étude [PDF] menée par l’OMS en 2010, une Iranienne de plus de 15 ans consomme en moyenne 17,8 litres d’alcool pur par an. C’est presque 10 litres de plus qu’une Française du même âge. Atoosa raconte :

« A un mois de mes examens, j’oscillais entre soirées et périodes de décuve. »

Concernant les drogues, les deux copines assurent ne pas y toucher, mais savent qu’il est facile également de se procurer de la cocaïne. L’une d’elles se risquent ainsi à expliquer :

« La drogue ici, c’est politique. Les gens qui la produisent et en importent font partie du gouvernement. C’est simple, tu interdis quelque chose, mais tu le produis en parallèle. C’est comme ça que tu fais augmenter sa valeur ».

En dépit de leur obligation de cacher leur chevelure et de ne pas laisser totalement leur cou à découvert, Zana et Atoosa restent très coquettes. A Téhéran, dans les quartiers nord, réputés pour être riches et décomplexés, les femmes usent de ruses pour qu’un homme puisse admirer sur elle un beau collier ou une nouvelle coloration de cheveux. Mais bien souvent, les femmes un poil trop décomplexées doivent composer avec le regard pressant des hommes. Atoosa s’y est (un peu) habituée :

« J’ai appris à ne plus y faire attention. Le plus frustrant, c’est que je ne peux pas pas porter les habits que je veux. Je ne peux pas les associer comme je l’entends. J’ai la rage car j’ai des habits que j’adore et je ne peux pas les porter. Je suis condamnée à m’habiller comme ça, ample, noir. Je ne peux pas simplement mettre la main dans ma penderie le matin et sortir. »

 

En route pour un caf de la capitale iranienne, Atoosa arbore firement un T-shirt orn d'extensions mtalliques. Pour viter les contrles de la Tadarokat, un geste de la main et sa sur-veste d'un noir uniforme vient recouvrir ce vtement jug provocant
En route pour un café de la capitale iranienne, Atoosa arbore fièrement un T-shirt orné d’extensions métalliques. Pour éviter les contrôles de la Tadarokat, un geste de la main et sa sur-veste d’un noir uniforme vient recouvrir ce vêtement jugé provocant - Sebastian Castelier

Le smartphone d’Atoosa vient de vibrer. Une notification Instagram l’informe qu’un commentaire quelque peu homophobe vient d’être posté sur son profil. Elle s’exclame :

« Comme quoi, tout est possible ici. »

On aimerait bien la croire.

Kévin Miller
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