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Francoise Diehlmann

Germaniste, traduis, blogue sur l'Allemagne, également sur la France, l'Europe, le monde, membre du Bureau exécutif de l'Union des Fédéralistes Européens - France (UEF-France) et secrétaire générale de l'UEF-IdF, Ecolo cohn-bendiste, je combats les nationalismes et régimes totalitaires, je milite pour la reconnaissance de l'Etat palestinien et la victoire de l'Ukraine, la défense des droits humains

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Billet de blog 6 septembre 2015

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Crise des réfugiés : Allemagne généreuse, France pétocharde, bazar en Europe

Ils ont vécu les atrocités du régime syrien et de Daech. C'est par millions que les Syriens quittent leur pays dans les pires conditions. Ils ne sont pas les seuls à fuir les guerres. Beaucoup ont péri en Méditerranée, des femmes, des enfants. La photo du petit Aylan mort sur une plage turque frappe nos regards, nos consciences, comme si on ne pouvait pas s'en détacher. Elle émeut la planète.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ils ont vécu les atrocités du régime syrien et de Daech. C'est par millions que les Syriens quittent leur pays dans les pires conditions. Ils ne sont pas les seuls à fuir les guerres. Beaucoup ont péri en Méditerranée, des femmes, des enfants. La photo du petit Aylan mort sur une plage turque frappe nos regards, nos consciences, comme si on ne pouvait pas s'en détacher. Elle émeut la planète.

La photo que brandissent les réfugiés dans leur exode est celle d'Angela Merkel, ils l'appellent même affectueusement « Mama Merkel ». Celle qui a une position si dure envers la Grèce, apparaît comme la protectrice de ces millions de gens dans la détresse qui fuient les guerres.

Allemagne : Yes we can (Wir schaffen das!)

On entend dire beaucoup en France que la générosité de l’Allemagne vis à vis des migrants est due principalement à son problème démographique.

Certes, l’Allemagne avec ses 81 millions d'habitants aura un problème démographique dans plusieurs décennies. Cette question est très secondaire aujourd'hui, mais elle est mise en avant par les soi-disant bien-pensants en France, pour justifier la raison pour laquelle la France doit se confiner dans sa frilosité, même si elle commence à bouger.

Or, cet élan d'hospitalité en Allemagne, comme l'a dit si bien Dany Cohn-Bendit ce lundi 2 septembre dans sa chronique sur Europe 1, est surtout lié à son histoire. 

Dany Cohn-Bendit a raison d'insister sur le fait que suite à son passé nazi, l’Allemagne a décidé d’être un modèle d’humanisme, « le plus jamais ça » fonctionne, mobilise, donc elle considère qu’elle doit accueillir. Mais il y a aussi autre chose : le passé du mur, de l'ex-RDA. Bien sûr c'est à l'Est de l'Allemagne que sévissent les petits nazillons, ce sont les conséquences de cette politique de fermeture de l'ex-RDA. Mais la RDA avait aussi beaucoup de gens qui luttaient contre le régime. Soit ils fuyaient la RDA, soit ils étaient en prison ou bien ils protégeaient des opposants au régime.

Ce qui était frappant à cette époque, c’est qu’il y avait des centaines de milliers d’Allemands de l’Est qui étaient sur les routes en août 1989. Ils tentaient de rejoindre les ambassades d’Allemagne fédérale dans les pays voisins : Tchécoslovaquie, Pologne, Hongrie. On les appelait les « réfugiés », ou « Flüchtlinge » comme on appelle ceux qui fuient aujourd’hui.

La chancelière allemande et surtout le Président allemand, tous les deux originaires de l'Est de l'Allemagne, qui visitent des foyers de réfugiés, appellent à la solidarité et à ce que l'aide remplace la haine (Hilfe statt Hass), étaient partie prenante de cette histoire de l'Est de l'Allemagne, de tout ce mouvement vers la liberté.

Quand Angela Merkel parle de dignité, elle met en lumière l'article 1 de la loi Fondamentale, cette dignité que le nazisme a détruit, piétiné. L’article 1 stipule : « La dignité de l'être humain est intangible. Tous les pouvoirs publics ont l'obligation de la respecter et de la protéger. En conséquence, le peuple allemand reconnaît à l'être humain des droits inviolables et inaliénables comme fondement de toute communauté humaine, de la paix et de la justice dans le monde (..) ». Pour éviter de nouveau le pire, l’article 1 est protégé par une clause d’éternité qui interdit toute modification de la Loi fondamentale touchant aux principes de l’article 1 (dignité de l’être humain, caractère obligatoire des droits fondamentaux pour la puissance publique).

Angela Merkel déclare également : "Les droits civils universels ont été jusqu'à présent étroitement liés à l'Europe et à son histoire, en tant que principe fondateur de l'Union européenne. Si l'Europe échoue sur la crise des réfugiés, ce lien avec les droits civils sera cassé". J'aurais aimé entendre de tels propos de la part du Président socialiste de la République Française, car c'est son rôle, ce qui est devenu hélas pratiquement inimaginable. Ces propos viennent d'une chancelière appartenant au camp conservateur.

Donc réduire la décision d'Angela Merkel de suspendre le protocole de Dublin aujourd'hui à une simple explication démographique comme on l’entend en France, c'est tout simplement de l’hypocrisie, pour justifier notre repli. 

L’Allemagne de la République de Weimar a accueilli aussi tous ceux qui après la Première Guerre mondiale ont fui en tant que Juifs les pogroms de Russie et de l’URSS. C’est dans les années 90, alors que l’URSS vivait de nouveau à la fin des années quatre vingt une nouvelle vague d’antisémitisme, l’Allemagne réunifiée prit la décision au début des années 90, alors qu’elle allait mal économiquement, de donner un permis de séjour permanent aux Juifs de l’ex-URSS qui le souhaitaient. 214 000 se sont installés en Allemagne. On ne doit pas oublier non plus les nombreux exilés allemands, notamment Juifs, qui ont fui le nazisme et qui ont été accueillis. 

Toute cette histoire de l'Allemagne fait que réunifiée sur des bases de paix en 1990, l'Allemagne et les Allemands en tant que citoyens, incluant tous ceux qui n'ont pas vécu le nazisme, veulent se montrer exemplaires. C'est la raison pour laquelle les politiques et les citoyens parlent d'une seule voix. Il y a dans des Länder et des villes, par exemple dans la capitale Berlin, des communiqués communs de tous les partis sur les réfugiés (de la CDU à die Linke en passant par le SPD et les Grünen). Il y a des initiatives citoyennes inimaginables. Après bien sûr, tout n’est pas parfait, c'est la raison pour laquelle les Grünen demandent une véritable loi moderne sur l'immigration qu’Angela Merkel ne voit pas d’un très bon oeil, qui serait pourtant profitable aux Allemands et aux migrants et qui dépasserait le simple droit d'asile.

Les mots forts de la chancelière contre la haine, mettant en avant les valeurs humanistes, en scandant le « yes we can » allemand (wir schaffen das !) rendant ainsi sa politique volontariste, les initiatives des entreprises, des clubs sportifs, des partis politiques, des initiatives citoyennes, à travers le pays, tout ceci est relayé par l’ensemble des médias, qui jouent leur rôle d’information, permettant d’entraîner tout un pays.

Le quotidien populaire Bildzeitung qui tire à près de 3 millions d'exemplaires, et qui il y a quelques semaines encore, était loin de se prononcer en faveur de l'accueil de réfugiés, a totalement changé d'opinion récemment, il joue son rôle de relai dans l'opinion pour l'accueil des réfugiés. Ce dimanche, son correspondant à Munich twittait avec le hashtag #refugeeswelcome. Ce fort accompagnement médiatique fait de l'accueil des réfugiés un vrai phénomène populaire Outre-Rhin, on en a vu l'exemple à la gare de Münich à la télévision. L'Allemagne n'est pas dans le domaine pur de l'émotion, mais dans une vraie prise de conscience. Dès leur arrivée à la gare de Münich avec un accueil chaleureux des Munichois, des trains spéciaux sont mis à disposition pour les répartir dans les autres villes. Rien que la ville de Dortmund en accueillera 1400. La foule se masse à la gare de Francfort et dans les autres gares pour saluer les réfugiés avec des haies d'honneur, des ballons etc. la solidarité est en marche.


Frilosité française

Et nous en France qu'est ce qu'on fait? Il a fallu que la photo du petit Aylan retrouvé mort sur une plage turque fasse le tour de la planète, plongeant le monde dans l’émotion, pour que le Président de la République décide de bouger, certes dans le bon sens, lors d’une déclaration commune avec Angela Merkel, mais refusant de parler de quotas, parce que quelques semaines auparavant le Premier ministre s'était prononcé contre les quotas. 

Est-ce la rôle d'un Président de la République d'attendre qu'une terrible image d'un enfant mort échoué sur une plage fasse le tour du monde, pour qu'il décide enfin de prendre une initiative ? Non ! Certes l'émotion est importante, mais un Président ne doit pas être dans l'émotion pure, mais dans la prise de conscience. Cela fait des semaines qu'il aurait du intervenir fortement. Il nous manque à la tête de l'Etat ces grandes visions qui rassemblent autour des valeurs universelles et qui créent une dynamique. Ce gouvernement de gauche manque totalement d’audace, timoré, frileux face au FN. Parmi les dirigeants politiques, seule Emmanuelle Cosse a déclaré qu'on pouvait les accueillir tous.

Je suis particulièrement inquiète par les communications de l'Elysée depuis hier qui se concentrent essentiellement sur une intervention militaire en Syrie, comme si la question humanitaire des réfugiés restait secondaire.

Sur la France, Dany Cohn-Bendit a aussi raison, quand il affirme qu’elle « juge à l’aune du Front National et qu’elle a peur de son ombre ». Il suffit de voir ce qu'il s'est passé dans l’Eurostar il y a quelques jours: Face au « danger d'intrusions » de migrants, la police verrouille un eurostar sans climatisation pendant 5h, mettant en danger à la fois les migrants et les passagers, notamment des femmes enceintes. Je ne pense pas qu’en Allemagne, l’ICE, le train à grand vitesse allemand, soit verrouillé pour empêcher les « intrusions » de migrants. La France fut longtemps l’exemple même de ce qu’on appelle terre d'asile, exemple avec lequel beaucoup de générations ont grandi, et dont nous étions fiers. Un gouvernement de gauche y a mis fin hélas, La France est dépassée par d'autres, en l’occurrence aujourd’hui l’Allemagne. Ce sont des portraits d'Angela Merkel de la CDU que les réfugiés portent, c'est « Germany, Germany » qu'ils scandent.

Des associations, comme Human Rights Watch critiquent fortement la position timorée de la France. Il y a de quoi. Quand le Premier ministre annonce fièrement que la Commission européenne mettra à disposition des autorités françaises jusqu'à 5 millions d'euros qui financera principalement l'installation de quelques 120 tentes pour abriter environ 1 500 personnes à Calais et que ce campement pourra ouvrir au début de l'année 2016, c'est tout simplement fermé les yeux face à ce mouvement d'ampleur des réfugiés qui fuient la guerre et le terrorisme.

La droite, méprisante, marche sur les traces du FN. C'est terrible d'entendre dans ce contexte les discours de la droite et de l'extrême droite et diffusés allègrement par les medias.

Parlons en des medias audiovisuels, ils ne cessent de relayer depuis les années le discours identitaire et décliniste, ils intègrent les peurs et une parole politique timorée et de fait contribuent également et fortement à ce que 56% des Français soient contre l’accueil de réfugiés. Heureusement qu'il y a la presse écrite et notamment Mediapart

Et pourtant la France pourrait faire de grandes choses avec l’Italie de Matteo Renzi qui fait beaucoup dans le sauvetage et l’accueil des nombreux réfugiés.et qui s’est souvent trouvée bien seule.

Puisse la photo du petit Aylan provoquer le sursaut citoyen. Des grandes villes françaises se déclarent prêtes à accueillir des réfugiés. Des manifestations citoyennes ont enfin eu lieu samedi à 17h dans plusieurs villes de France. Un site www.aiderlesrefugies.fr vient d'ouvrir pour contrecarrer l'image d'une France repliée. Des hashtags émergent comme « Solidarité avec les réfugiés ». Mais ne nous replions-pas sur nous mêmes, adressons-nous aux réfugiés, tournons-nous vers eux en leur souhaitant la bienvenue et donc faisons nôtre le hashtag international #refugeeswelcome.


Bazar en Europe

Le contraste est flagrant entre une Allemagne ouverte, accueillante et une Hongrie hostile aux réfugiés

Le Premier ministre hongrois Viktor Orban, juge que l'afflux des réfugiés en Europe, "musulmans dans leur majorité", constitue une menace pour l'identité chrétienne de l'Europe, une vision rejetée par la chancelière allemande Angela Merkel notamment.

Et pourtant, quand on regarde l'histoire de la Hongrie depuis la fin de la guerre, Orban oublie que des milliers de Hongrois en 1956 fuyaient l'intervention soviétique. Il oublie que c'est bien la Hongrie qui, le 11 septembre 1989, ouvrait sa frontière pour permettre aux nombreux « Flüchtlinge » de l'ex-RDA qui s'étaient réfugiés principalement en Hon grie de se rendre à l'Ouest. On parlait à l'époque de Hongrie accueillante. Bizarre et effrayant de voir la Hongrie aujourd'hui construire un mur de barbelés pour empêcher les réfugiés syriens et afghans de passer.

Viktor Orban est aujourd'hui la honte de l'Europe. Cette coalition qui va de la Hongrie aux pays baltes en passant par la Tchécoslovaquie, la Pologne est d'autant plus ignoble que beaucoup de leurs citoyens étaient aussi sur les routes quand ils fuyaient leur régime.

La chancelière allemande, qui a pris l'initiative de suspendre le protocole de Dublin, va sans doute faire pression lors de prochains sommets européens, pour que les Européens prennent leur responsabilité dans la répartition des réfugiés. Pas étonnant que le ministre autrichein des Affaires étrangères a appelé à mettre fin au bazar en Europe, surtout que l'Autriche joue pleinement son rôle dans l'accueil des réfugiés en coordination avec l'Allemagne.

L'Union européenne se compose essentiellement d'Etats dirigés par des conservateurs, mais la situation est contradictoire entre une Hongrie, une Slovaquie, une Pologne, une république tchèque et une Grande Bretagne repliées voire hostile et une Allemagne qui est à la tête de l'accueil des réfugiés. Elle l'est aussi au sein des pays qui dirigés par la gauche social-démocrate, puisque la France, contrairement à l'Italie est loin d'être exemplaire. Rappelons nous de Lampedusa, toute cette région la plus pauvre d'Italie où il n' y a pas de structures pour accueillir les migrants, l'Etat joue son rôle. Quand on entend dire qu'en France, il n' y a pas de structures... cela pourrait faire sourire, si la situation n'était pas aussi grave

Human Rights Watch appelle l'UE à prendre cinq mesures pour faire face à la crise des réfugiés. Attendons les propositions du Président de la Commission européenne et des futurs sommets européens.

Et pourtant l'Europe solidaire pourrait naître de cette situation.

Je terminerai par une citation que Guillaume Duval a eu l'idée de mettre sur sa page Facebook. Il s'agit d'une superbe citation de Stefan Zweig tirée de « voyages », que la réaction indigne des Européens face au racisme et à l'exode des juifs d'Allemagne dans les années 1930 avait poussé au suicide : · »

« Regarde-les donc bien ces apatrides, toi qui as la chance de savoir où sont ta maison et ton pays, toi qui à ton retour de voyage trouves ta chambre et ton lit prêts, qui as autour de toi les livres que tu aimes et les ustensiles auxquels tu es habitué. Regarde-les bien, ces déracinés, toi qui as la chance de savoir de quoi tu vis et pour qui, afin de comprendre avec humilité à quel point le hasard t'a favorisé par rapport aux autres. Regarde-les bien, ces hommes entassés à l'arrière du bateau et va vers eux, parle-leur, car cette simple démarche, aller vers eux, est déjà une consolation ; et tandis que tu leur adresses la parole dans leur langue, ils aspirent inconsciemment une bouffée de l'air de leur pays natal et leurs yeux s'éclairent et deviennent éloquents ». 

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