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Récit

Halo la Terre, éteignez la lumière !

Santé, biodiversité, transition énergétique… Les nuisances lumineuses, de plus en plus prononcées, n’entravent pas uniquement l’observation spatiale.
par Sibylle Vincendon
publié le 7 août 2015 à 20h06

Au début, on les a pris pour des dingues. Les astronomes amateurs, vers les années 90, ont, les premiers, voulu alerter l'opinion sur la croissance du halo lumineux qui les empêchait de plus en plus d'observer les étoiles. «Dire qu'il fallait protéger le ciel, c'était, en quelque sorte, ridicule», se souvient Anne-Marie Ducroux, présidente de l'Association nationale pour la protection du ciel et de l'environnement nocturnes (ANPCEN). On leur renvoyait l'image de fous rêvant d'un black-out général.

En réalité, du haut de leurs étoiles, les astro-amateurs avaient mis le doigt sur un problème que personne encore n’avait identifié : la pollution lumineuse. Le fait qu’elle ait été reconnue comme une nuisance dans le Grenelle de l’environnement est en grande partie dû au travail qu’ont fait les militants de cette association, la seule en France spécialisée sur la question. L’idée qu’une surabondance de lumière artificielle puisse relever des atteintes à l’environnement est maintenant admise. Pourtant, rien n’est gagné.

Sens. Au cours des dernières années, la consommation énergétique de l'éclairage public a nettement baissé car les matériels se sont améliorés. Mais l'intensité lumineuse a augmenté car ces mêmes matériels se sont multipliés. Les grandes villes ne connaissent plus de nuit noire. Elles vivent dans «un crépuscule permanent», écrit l'association sur son site. Cela ne pose pas seulement des problèmes de contemplation de la voûte céleste. C'est aussi une affaire de biodiversité, de santé publique et, bien sûr, de transition énergétique. L'alternance jour-nuit est indispensable à la faune et à la flore, mais elle l'est aussi à l'humain : seule l'absence de lumière nous permet de sécréter la mélatonine qui garantit un bon sommeil. A cette préoccupation sanitaire, s'ajoute la question économique et climatique : quel sens cela a-t-il pour une petite commune de dépenser de l'énergie pour éclairer les monuments ou la voie publique à 2 heures du matin ?

Eclairage de monuments à Passau, en Allemagne, en 2002. Photo Dihei, CC BY SA

Depuis des années, l'ANPCEN fait réfléchir les élus locaux sur ces questions. Témoignant en vidéo sur le site de l'association, Michel Maya, maire de Tramayes (Saône-et-Loire), admet qu'auparavant, il n'avait «pas conscience de la nuisance lumineuse». Il l'a acquise. La commune a divisé sa facture d'électricité par quatre et éteint pas mal de lampadaires. Pour y parvenir, le maire a beaucoup discuté avec ses concitoyens. Pour faire «une analyse réelle des besoins réels», comme le résume Anne-Marie Ducroux, il faut commencer par convaincre la population. Les maires eux-mêmes se demandent au début s'ils ont «le droit» de baisser la lumière, si des normes les contraignent. Or il n'y en a pas, quoiqu'en disent les marchands de matériel d'éclairage.

«Quand les élus ont commencé à entendre nos arguments, se souvient la présidente de l'association, les professionnels ont développé toute une argumentation sur le mode : attention, c'est dangereux, il va y avoir des problèmes de sécurité… Evidemment, il faut prendre en compte la sécurité.» Mais cela n'oblige pas à éclairer toute la commune a giorno. Pour Helen Henderson, la maire de Nanteau-sur-Essonne, «le fait d'éteindre la nuit n'a aucune incidence sur les cambriolages».

Depuis une dizaine d’années, l’ANPCEN organise tous les deux ans auprès des mairies

. La procédure est assez exigeante, avec un questionnaire costaud qui oblige la commune à disséquer la façon dont elle s’éclaire. L’édition de cette année sera close au 15 septembre et, déjà, plusieurs centaines de dossiers sont arrivés. Aujourd’hui, 389 communes sont labellisées. Une goutte d’eau ? Un début, veut croire Anne-Marie Ducroux.

«Limiter la pollution lumineuse est devenu une évidence. Mais il n’y a pas de politique nationale, d’objectifs chiffrés ou d’indicateurs. Tout reste à construire.»

Soupir. Dans les faits, le gros du territoire est bien loin de la vertu des villages étoilés. Il existe 11 millions de points lumineux en France, dont 3,5 millions d'enseignes. Le nombre global a quasi doublé en vingt ans. Les enseignes lumineuses doivent être éteintes après minuit depuis une loi de 2012, mais les fabricants ont obtenu un délai de mise en place de six ans. «Comme s'il fallait ça pour reprogrammer un logiciel d'extinction», soupire Anne-Marie Ducroux. Il faut basculer dans l'éclairage nocturne «du XXIe siècle, qui répond aux besoins et protège la biodiversité, plaide-t-elle. Mais on raisonne encore comme au XIXe siècle. Il y a quelque chose d'assez culturel dans l'impression que, par nature, la lumière, c'est le progrès».

Image composite de la Terre vue la nuit.

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