Comment dompter la masse salariale de l'État

La Cour des comptes dresse un tableau sans concessions de la politique de ressources humaines de l'État. De nouvelles mesures d'économies sont nécessaires.

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Didier Migaud a une nouvelle fois appelé le gouvernement à prendre des mesures pour bien maîtriser sa masse salariale.
Didier Migaud a une nouvelle fois appelé le gouvernement à prendre des mesures pour bien maîtriser sa masse salariale. © AFP

Temps de lecture : 8 min

Le gouvernement sera-t-il vraiment capable d'endiguer l'augmentation tendancielle de la dépense publique ? C'est la question qui vient immédiatement à l'esprit à la lecture du dernier rapport de la Cour des comptes. Sur une saisine de la commission des Finances du Sénat, les sages de la Rue Cambon ont cette fois planché sur « la masse salariale de l'État ». En clair, sur le poids de la rémunération des fonctionnaires d'État, sujet qu'ils ont élargi à l'ensemble de la fonction publique (collectivités territoriales, Sécurité sociale). Ce poste est considérable puisqu'il représente près d'un quart de la dépense publique totale ou 13 % du PIB, soit le poids « le plus important des pays de l'OCDE, à l'exception des pays scandinaves ».

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À première vue, l'État lui-même est devenu plutôt un bon élève. Il a fait des « efforts notables » pour parvenir à « quasiment stabiliser sa masse salariale depuis 2011 », a souligné le premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, lors d'une audition au Sénat mercredi matin. Les progrès ont d'abord porté sur les effectifs, grâce au non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite voulu par Nicolas Sarkozy de 2008 à 2012. Depuis 2010, la rémunération des fonctionnaires a aussi été touchée avec le gel du point d'indice puis la réduction des mesures catégorielles, depuis 2013.

Des objectifs ambitieux...

Cette politique, qui influence aussi les rémunérations de tous les agents de la fonction publique, se révèle toutefois insuffisante pour « garantir une évolution contenue de la dépense de la masse salariale publique dans son ensemble ». Ces dix dernières années, les collectivités territoriales ont d'ailleurs augmenté leur masse salariale de 4,5 % et les opérateurs de l'État de plus de 6,5 % à cause d'augmentations d'effectifs « qui sont allées au-delà des seuls transferts de personnel de l'État sur la période ».

Mais surtout, l'objectif de maîtrise de la masse salariale de l'État que le gouvernement s'est lui-même fixé est désormais menacé. Au terme de la loi de programmation des finances publiques validée par le Parlement, la progression de la masse salariale devrait se limiter à 1 %, soit 250 millions d'euros par an de 2015 à 2017. Or le gel des enveloppes catégorielles et du point d'indice ainsi que la stabilisation des effectifs ne suffiront pas. Sans mesures complémentaires, la masse salariale dérivera de 700 millions d'euros par an. Le gouvernement doit donc encore économiser 450 millions d'euros par an en moyenne et même 500 millions d'euros en 2016 et 2017, compte tenu d'un budget 2015 pas assez ambitieux en la matière.

... mais peu crédibles

La Cour des comptes n'y croit pas. L'État a par exemple prévu d'économiser 250 millions d'euros, notamment via la réduction des heures supplémentaires des professeurs dans l'Éducation nationale. A priori, cela semble atteignable au moment où le nombre de professeurs augmente pour respecter la promesse de 54 000 créations de poste d'ici à 2017. Sauf que ce n'est pas ce qui s'est produit depuis 2013. Malgré la progression des effectifs, les heures supplémentaires ont continué à croître, notamment parce qu'elles « constituent un complément important de la rémunération des enseignants, qui ont peu de primes et d'indemnités par rapport aux autres fonctionnaires », écrit la Cour des comptes dans son rapport. Et il n'y a pas de raison pour que ce mouvement s'inverse soudainement.

Autre exemple, les économies espérées sur la masse salariale liées aux opérations extérieures (intervention au Mali, en Irak, etc.). Elles « apparaissent désormais très hypothétiques », constate la Cour des comptes, compte tenu des récentes annonces en la matière.

La stabilisation des effectifs aux oubliettes

Plus grave, la stabilisation des effectifs promise sur le quinquennat n'aura pas lieu. Au-delà de l'abandon d'une promesse politique, cela fragilise encore les objectifs du gouvernement en termes de masse salariale. En cause, la décision de François Hollande de revenir sur les suppressions de poste dans la Défense après les attentats du 11 janvier. Les efforts demandés aux ministères « non prioritaires » en échange sont jugés insuffisants pour compenser. Dès 2016, le gouvernement va en effet créer 8 300 postes équivalents temps plein supplémentaires alors qu'il n'était parvenu à les diminuer que de 702 par rapport à 2012…

Et tout cela sans parler des risques de sous-estimation des crédits nécessaires au moment des lois de finances. Pour la Cour des comptes, l'État n'est pas en mesure d'évaluer correctement les dépenses de personnel à engager chaque année. C'est notamment le cas au ministère de la Défense, comme l'a illustré la mise en place catastrophique du logiciel de paie Louvois. Mais la police nationale ou la gendarmerie sont aussi concernées…

Une gestion des ressources humaines défaillante

À plus long terme, l'État a un sérieux problème de gestion de ses ressources humaines. S'il s'est attaqué aux « grilles salariales qui ont progressivement perdu de leur sens » ou aux « avancements automatiques à l'ancienneté qui priment encore sur la reconnaissance de la performance, rendant les parcours professionnels peu incitatifs », la réforme négociée avec les syndicats aura un coût de 2017 à 2020 qui n'est pas compensé.

Pour être capable de gérer au mieux les carrières (en favorisant, par exemple, la mobilité) tout en respectant ses objectifs budgétaires, l'État va donc devoir faire de nouvelles économies sur la masse salariale, anticipe la Cour des comptes.

Des pistes d'économies explosives

Les magistrats de la Rue Cambon n'hésitent pas à proposer des pistes explosives sur la rémunération des fonctionnaires comme la suppression du supplément familial de traitement, « hérité d'une époque antérieure à la sécurité sociale » et qui vient s'ajouter aux allocations familiales. Ils s'attaquent également aux « sur-rémunérations outre-mer », « sans commune mesure avec le différentiel effectif de coût de la vie par rapport à la métropole » (dixit Didier Migaud), ou encore aux promotions dites « coup de chapeau » de fin de carrière « devenues automatiques dans certains ministères ».

Mais cela ne sera encore pas suffisant. C'est pourquoi la Cour des comptes remet la question des effectifs sur le tapis. Le non-remplacement d'un fonctionnaire sur quatre partant à la retraite (deux fois moins qu'à l'époque Sarkozy) suffirait par exemple à lui seul à financer les économies nécessaires d'ici à 2017. Pour éviter que cela ne se transforme en nouveau coup de rabot inefficace, la Cour estime que ce mouvement devrait être précédé d'une redéfinition du périmètre de l'État et d'une répartition des compétences entre les administrations (collectivités locales ou État ?) afin de mieux cibler les services qui seraient concernés. Autant dire que ce n'est pas gagné...

Dans la fonction publique territoriale, un temps de travail inférieur à la durée légale

« La réalité du temps de travail des agents de la fonction publique est très mal connue : le dernier rapport transversal sur le sujet date de 1999 ; le bilan du passage aux 35 heures n'a jamais été fait. » Le constat dressé par Didier Migaud mercredi matin devant les sénateurs de la commission des Finances est sidérant. D'autant que dans la fonction publique territoriale, la durée moyenne de travail semble bel et bien inférieure à la durée légale, estime la Cour des comptes, à partir d'une enquête déclarative de l'Insee. Si cette moyenne cache d'importantes disparités, « le fait de porter la durée effective du travail au niveau de la durée légale partout où elle lui est inférieure aurait un effet non négligeable », considèrent les magistrats. Mais la mesure est politiquement très sensible.

La fonction publique d'État n'est pas non plus exemplaire. Les magistrats s'étonnent ainsi de la sur-rémunération de ses agents à temps partiel (à 80 ou 90 %). Ceux-ci perçoivent 85,7 % d'un temps complet ou 91,4 %, et ce « sans réelle justification ». Un écart avec leur temps de travail loin d'être négligeable : la Cour des comptes estime le surcoût annuel à environ 300 millions d'euros pour l'État !
Le maquis des régimes indemnitaires

« Les enquêtes de la Cour mettent chaque année en évidence des régimes indemnitaires excessivement complexes et irréguliers. » Voilà comment les magistrats fustigent, en termes très pudiques, des éléments injustifiés de rémunérations des fonctionnaires. Pour les militaires, par exemple, il existe jusqu'à 174 « primes et indemnités » « au caractère mal identifié et parfois obsolète ou irrégulier ». Les fonctionnaires d'État outre-mer ne sont pas en reste. Ils bénéficient de compléments de rémunération sans « base légale ».

Cette opacité nuit à la bonne gestion. « Si les grandes entreprises gèrent une centaine de règles de paye, l'État rémunère ses agents sur la base de 1 500 éléments de paye distincts, chacun susceptible d'être diversement décliné suivant les ministères, écrit la Cour. Les éléments communs à l'ensemble des fonctionnaires (traitement brut de base, supplément familial de traitement, indemnité de résidence, etc.) n'en constituent qu'une petite partie, les autres étant spécifiques à des corps, des ministères, des fonctions ou des zones géographiques particuliers. »
La fonction publique territoriale n'échappe pas non plus à la critique. En 2013, les magistrats ont identifié de nombreux régimes indemnitaires jugés « onéreux, voire irréguliers ».
Un manque de mobilité des fonctionnaires

Pas étonnant que l'État fasse de plus en plus appel à des « contractuels » pour combler rapidement ses besoins non pourvus ! Parmi les fonctionnaires titulaires, seuls 2,56 % ont changé d'employeur, 3 % de bassin d'emplois et 0,3 % de statut, déplore le rapport de la Cour des comptes. Et quand l'agent bouge, c'est dans 84 % des cas pour satisfaire un choix personnel. Résultat, « les agents les moins expérimentés se trouvent sur les postes les plus difficiles et les plus expérimentés dans les zones qui leur conviennent le mieux à titre personnel ».
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Commentaires (31)

  • ubu22

    Entre la Cour des Comptes et le Point, le même constat, bien argumenté. A quoi cela sert-il, étant donné, de plus pour augmenter le "cloud", de voir notre monarque actuel d'autoriser la CdC a donner son avis sur la stratégie financière du pays. Rien que du lavage dirait Coluche.

  • LE NAIF

    Dans le secteur privé depuis des années on serre les boulons pour optimiser les productions matérielles ou administratives.
    Il semble évident que l'on pourrait réduire les fonctions publiques d'au moins 25 % si l'état et les collectivités territoriales étaient correctement gérées sans oublier QUE C'EST TOUJOURS LES CONTRIBUABLES QUI PAIENT

  • le Papou

    ... Ce qui justifie, dans notre monde en mouvement, l'incroyable privilège de l'emploi à vie des fonctionnaires, assorti d'une impunité totale : combien de licenciements pour faute dans une année pour plus de 5 millions d'agents - tous parfaits ?
    Il est évidemment hors de question de demander à nos 5 millions de chômeurs - sans compter tous les précaires, CDD, intérimaires, stagiaires, etc. - ce qu'ils en pensent.
    On peut toujours relire "La guerre des deux France" (Jacques Marseille), mais quel homme politique aura le courage de décréter une véritable abolition des privilèges - votée le 4 août 1789? !