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Portrait

La Villa Médicis, joyau contesté de la République

Première femme appelée à diriger l'Académie de France à Rome depuis 1666, Muriel Mayette doit prendre ses fonctions à la mi-septembre. Mais son arrivée reste contestée, sur fond de doutes persistants sur la mission de la vénérable institution.

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Par Pierre de Gasquet

Publié le 10 sept. 2015 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Un calme trompeur règne sous les grands pins parasol de la villa Médicis, à Rome. Le séisme n'est pas répertorié sur l'échelle de Richter, mais il a été ressenti à Paris jusque dans les jardins du Palais-Royal. Sept ans après le parachutage raté du journaliste Georges-Marc Benamou sur la colline du Pincio, siège de l'institution tricentenaire, Muriel Mayette, cinquante et un ans, ex-administratrice générale de la Comédie-Française, s'apprête à reprendre les rênes du fleuron de l'action culturelle française à l'étranger. Non sans heurts et grincements de dents. Après Ingres, Balthus ou Frédéric Mitterrand..., c'est la première fois qu'une femme devrait hériter de la direction de la prestigieuse académie fondée, en 1666, sous l'impulsion de Colbert. C'est aussi la première fois que le projet de nomination - annoncé, le 3 septembre, par la ministre de la Culture, Fleur Pellerin - fait l'objet d'une pétition d'une trentaine d'artistes et anciens pensionnaires, dénonçant un « mauvais casting ».

« Eric de Chassey a assaini l'administration et les dépenses, faisant sortir la Villa de décennies de pratiques féodales », s'insurgent les signataires, en militant pour le renouvellement du mandat du directeur sortant. En revanche, ils demandent le retrait de la nomination de Muriel Mayette, « qui ne connaît aucun des domaines artistiques et intellectuels représentés à la Villa » et avait déjà eu maille à partir avec les sociétaires de la Comédie-Française par le passé. « Les personnels sont fous de rage que l'on parle de "pratiques féodales''. Cette pétition ne fera qu'accélérer la nomination », estime un salarié de la Villa, en notant que les signataires (le plasticien Jean-Luc Moulène, le chanteur Christophe...) sont tous ceux qui ont été exposés ou hébergés à la Villa sous le « règne » du directeur sortant.

Après la polémique de l'été sur le projet de parachutage avorté d'Eric de Chassey, proche de Julie Gayet, à l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts, la nomination de Muriel Mayette - épouse du journaliste sportif Gérard Holtz, proche de Manuel Valls - ne fait pas l'unanimité. Malgré les doutes sur sa légitimité - le théâtre est la seule discipline non représentée à la Villa -, l'ancienne patronne de la Comédie-Française (de 2006 à 2014) prendra ses fonctions, le 17 septembre, dans la foulée de la publication de sa nomination au « Journal officiel ». Mais la passation des pouvoirs s'annonce tout sauf sereine sur la colline du Pincio, où l'ancienne villa de Ferdinand de Médicis a été vendue à la France en 1803. « Tout cela est dévalorisant pour l'institution en tant que telle », déplore un ancien cadre. D'autant que la valse des directeurs intervient au moment où le gouvernement italien vient de boucler, début août, un processus transparent et « exemplaire » de recrutement international pour la direction des vingt principaux musées publics de la péninsule.

Entre 500 et 600 candidats

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Feydeau ou Courteline ? Depuis l'« affaire Benamou » de 2008, et même avant, les batailles pour la succession à la tête de la Villa Médicis sont devenues un grand classique. Derrière les luttes d'influence sur la nomination du nouveau directeur - un des postes les plus convoités de la république des arts -, c'est aussi l'avenir et la réputation internationale de l'institution qui est en jeu. « A quoi sert la Villa Médicis ? », s'interrogeait déjà le sénateur (UMP) Adrien Gouteyron, dans un rapport parlementaire sanglant qui fit grand bruit en 2008. « Contenant superbe, a-t-elle encore un contenu ? », s'inquiétait son collègue Yann Gaillard.

Malgré les polémiques, quelque 500 à 600 candidats (de 25 à 44 ans) frappent encore chaque année à la lourde porte de ce lieu unique au monde, qui surplombe la Trinité des Monts. Ecrivains, plasticiens, cinéastes, photographes, architectes ou historiens d'art : la vingtaine d'« heureux élus » (23 en 2014), sélectionnés pour un séjour de douze à dix-huit mois, bénéficient d'une bourse de 3.200 euros brut et d'un logement enviable sur les 8 hectares d'un parc sublime, qui recèle encore les vestiges d'un temple romain dédié à la Fortune.

« On peut se poser la question de l'utilité de la Villa Médicis à Rome en 2015 », reconnaît aujourd'hui le cinéaste Nadir Moknèche (« Goodbye Morocco, « Délice Paloma »...), qui a passé trois fois le concours avant d'y être admis en 2010, à quarante-quatre ans. Tout en reconnaissant avoir bénéficié d'une « chance inouïe », il reste partagé sur sa localisation. « Je n'ai pas le sentiment que Rome donne de l'énergie. Il faudrait plusieurs Villa Médicis, à New York ou à Shanghai », se plaît à rêver le cinéaste-scénariste, sans cacher n'avoir « jamais vraiment compris le processus de sélection ». Il se félicite néanmoins que la Villa lui ait permis de préparer le scénario de son prochain film, « Lola Pater », avec Fanny Ardant.

« Dans une situation de raréfaction des budgets publics, on ne peut ignorer la question : comment être à la hauteur du lieu ? », admet Eric de Chassey, le directeur sortant. Pour lui, « l'important ce n'est pas le directeur, c'est la Villa ». Or il faut dissiper le mythe qu'elle coûte cher au contribuable, précise-t-il. Avec un budget annuel de 8,5 millions d'euros - dont 5,5 millions d'euros de dotation publique, qui n'a pas « évolué du tout » depuis plusieurs années -, la Villa représente presque une goutte d'eau par rapport aux 745 millions d'euros du budget consacré à l'action culturelle extérieure, la promotion de la langue française, la coopération scientifique et universitaire, et l'enseignement français à l'étranger en 2015. « Avec la subvention publique, on fait tourner la maison : on paie les salaires et on fait les restaurations. Le mécénat et le sponsoring, la location d'espaces et la billetterie servent à financer le reste », précise-t-il.

Spécialiste de Matisse et de l'art américain, cet historien d'art, nommé par Nicolas Sarkozy en septembre 2009 et reconduit par François Hollande en 2012, a déjà fait deux mandats à la tête de l'Académie de France. C'est moins que le « règne » record de dix-sept ans du peintre Balthus, nommé en 1961 par André Malraux, mais c'est conforme à la moyenne. Il est crédité d'une réforme efficace du statut des pensionnaires et d'une remise aux normes du fonctionnement de la Villa, grâce, en partie, au recrutement de l'ex-secrétaire générale du Louvre Claudia Ferrazzi, une brillante Franco-Italienne de trente-huit ans qui a renforcé les liens avec Rome. Mais, comme ses prédécesseurs, il a dû naviguer entre deux piliers parfois contradictoires : la mission Colbert (l'accueil des artistes) et la mission Malraux (le rayonnement culturel de la France à travers l'organisation d'expositions). Sans compter la troisième mission de préservation et de mise en valeur du prestigieux bâtiment et de ses jardins. Du coup, le bilan est forcément incomplet.

S'ouvrir aux nouvelles disciplines

Parfois jugé « autoritaire » ou « cassant » en interne, Eric de Chassey se targue d'avoir mis un terme aux « dysfonctionnements hérités de l'inertie » et d'avoir mené une « politique très volontariste d'insertion dans le tissu romain » à travers des partenariats avec des institutions locales (Maxxi, Auditorium, festival RomaEuropa, Casa del Cinema...). Parmi ses « coups d'éclat » : son exposition Europunk, sur la « culture visuelle punk » de 2011 ou le festival de musique pop, électro et rock Villa Aperta. « Il a ouvert la porte aux nouvelles disciplines », reconnaît Géraldine Kosiak, une dessinatrice et écrivaine qui a également séjourné à la Villa Kujoyama à Kyoto, au Japon. « La Villa doit s'ouvrir sur le monde extérieur : il faut créer un événement pour faire venir les collectionneurs, les commissaires d'exposition et les galeristes », ajoute l'ancienne pensionnaire, qui a refusé de signer la pétition contre l'arrivée de Muriel Mayette.

Loin d'y voir un risque de dilution, Eric de Chassey revendique ouvertement la multiplication des disciplines. « La pluridisciplinarité est un élément précieux et une des richesses principales de la Villa. Si l'on veut être un grand artiste du futur, on ne peut pas ne pas se confronter aux autres champs de la création. C'est pourquoi j'ai renforcé la pluridisciplinarité en créant le Nouveau Prix de Rome en septembre 2014. » Le premier est le philosophe italien Giorgio Agamben : sa tâche sera d'animer et de nourrir cette pluridisciplinarité.

Le destin de la Villa est-il forcément lié au lieu, même si l'Académie n'y a son siège que depuis 1803 ? « Oui, la Villa Médicis ne pourrait pas exister ailleurs », répond sans hésiter Eric de Chassey. Quant à une vente éventuelle, il serait vain d'imaginer que le prestigieux bâtiment, évalué à une valeur comptable de 350 millions d'euros par France Domaine (l'organisme public qui gère les biens de l'Etat), puisse être mis sur le marché au même titre que l'ancien consulat à Hong Kong ou la résidence de l'ambassadeur de France auprès de l'ONU à New York. « Privatiser la Villa Médicis serait une hérésie car on a un rôle de service public. C'est très important que ce genre d'institution soit assumé par la collectivité », estime le directeur sortant. En revanche, la Villa a mis en chantier une délocalisation de résidences dans les Pouilles en sondant ses mécènes privés (Total, Air France, Groupama...) et va créer un fonds de dotation pour renforcer son financement propre. Sans compter le projet de « Villa Médicis de banlieue », à Clichy-Montfermeil (93), récemment relancé par Fleur Pellerin.

Une gestion « normalisée »

« Depuis Renaud Camus ou Hervé Guibert et son livre "Incognito", critiquer la Villa est devenu un genre littéraire. C'est étrange : le monde entier nous envie cette institution et, comme d'habitude, le ''french bashing'' conduit à s'interroger sur son bien-fondé », s'agace Eric de Chassey. Quant à l'« effet tremplin » contesté de la Villa, il estime qu' « avoir le nez rivé sur l'efficacité immédiate serait le plus sûr moyen de se tromper ». Sept ans après le rapport du Sénat d 2008 et la « série traumatisante de vols et de dégradations de janvier 2012 » épinglée par l'Inspection générale des affaires culturelles (Igac), la Villa estime avoir normalisé sa gestion. Une grande exposition Balthus est prévue pour octobre et l'ex-directeur du Louvre Henri Loyrette (ancien pensionnaire de la Villa, lui aussi) sera le commissaire d'une expo Yan Pei-Ming en 2016.

Pépite de la république ou vestige suranné, l'Académie de France est un éternel chantier. De passage à la Villa, il y a quelques années, Renato Brunetta, l'ancien ministre de la Fonction publique et économiste préféré de Silvio Berlusconi, s'était exclamé : « C'est magnifique ! Heureusement que la France s'en occupe ! » On ne saurait lui donner tort. A condition de conjurer le spectre rampant de la république des copinages.

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Les points à retenir

L'ancienne directrice de la Comédie-Française devrait succèder jeudi prochain à l'historien de l'art Eric de Chassey, à la tête de laVilla depuis 2009.

Une trentaine d'artistes et anciens pensionnaires se sont opposés, dans une pétition, à cette nomination, qu'ils jugent illégitime.

L'institution, au rôle régulièrement discuté, doit répondre à de nombreux défis d'ouverture et de modernisation.

Envoyé spécial à Rome Pierre de Gasquet

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