« Mais pourquoi a-t-il fallu la publication de la photo d’un enfant mort pour que les pouvoirs publics se bougent ? ». La flèche est décochée à l’encontre des dirigeants politiques qui ont fait assaut d’émotion après les images du corps sans vie d’Aylan, Syrien de 4 ans retrouvé sur une plage de Turquie. Quant à l’archère, âgée de 17 ans, elle est élève en terminale L au lycée Michelet de Vanves, dans les Hauts-de-Seine.
Cheveux courts, yeux clairs, Florine Hausfater a encore sur la peau un bronzage estival quand elle décide « de faire quelque chose » pour les migrants. « Durant les dernières semaines, la couverture médiatique de la situation des réfugiés syriens a été un facteur de sensibilisation », explique-t-elle. La rentrée ne se passera donc pas sans agir, à se contenter de s’émouvoir quand sonne l’heure du journal télévisé.
La jeune fille dresse rapidement le bilan de ses atouts : « une structure », son lycée, où mener une action, et une troupe potentiellement mobilisable, la vingtaine de contributeurs de Zeugma, le journal du lycée, dont elle est rédactrice en chef.
Sollicités jeudi 3 septembre, ces derniers « ont tous répondu oui ! », se félicite la lycéenne. Parmi les premières à ses côtés : Juliette Calori et Naomi Kukansami, également en terminale L. Restait à savoir quoi faire... « La collecte de vêtements et de denrées non périssables nous a paru le plus approprié. Il n’y a pas d’argent à gérer, la collecte, le stockage et la redistribution sont plus simples », analyse Florine.
Comment met-on en place une opération caritative ? Aucun cours du programme de terminale L ne porte sur le sujet. Sans expérience militante, la jeune fille se tourne vers la conseillère principale d’éducation du lycée, Annie Lakhlifi, qui « nous a suggéré de nous rapprocher d’une association dotée d’un sérieux bagage en logistique ».
« C’est notre éveil politique »
« Le rassemblement de soutien aux migrants qui s’est tenu à Paris samedi 5 septembre m’a semblé l’endroit idéal pour trouver un collectif compétent. » Place de la République, c’est dans la foule que la lycéenne cherche un relais. Elle croise un représentant de SOS-Racisme, lui explique son projet... Banco ! Emballée, l’association décide d’accompagner Florine et sa petite bande. S’ensuit une leçon express de communication : affichage, tractage. SOS-Racisme promet de mobiliser des bénévoles pour un coup de main à la collecte, au transport et à la redistribution. L’opération est sur les rails, et le feu vert du proviseur du lycée rapidement obtenu.
S’investir pour des migrants, « c’est notre éveil politique », réalise Naomi. « Cette crise humanitaire grandit à nos frontières depuis des mois, et il a fallu une image pour que nos dirigeants s’engagent ! Comme si ces décisions se prenaient sous le coup de l’émotion », s’étonne-t-elle. « La politique, c’est prévoir, poursuit Florine. Face à une crise humanitaire, notre pays n’a pas le droit de préférer le marché à l’éthique. On ne peut pas sacrifier des milliers de personnes sous le prétexte d’un possible risque économique ! ».
En panne d’agenda, c’est sur sa main gauche que la lycéenne a noté au stylo le thème de son prochain cours de philosophie : le mythe de la Caverne, de Platon. « Je ne sais pas encore de quoi il s’agit. Je n’ai pas étudié le texte », avoue-t-elle. Cette allégorie du philosophe grec décrit un éveil intellectuel face aux opinions communes, aux préjugés (doxa)... Grâce à leur mobilisation, Florine, Juliette et Naomi passent directement, dès la rentrée, de la théorie aux travaux pratiques.
Jeudi, la rédaction du Monde se mobilise avec près de trente reporteurs, en France, en Europe, en Afrique. De la frontière tuniso-libyenne à la gare de Munich, en Hongrie, en Macédoine ou sur l’île grecque de Lesbos, à Paris, à Lyon, à Marseille ou à Toulouse, ils décriront une journée parmi d’autres dans la vie de migrants.
Retrouvez ces histoires, ces témoignages et les décryptages de nos journalistes lors de cette journée spéciale, dès 8 heures, jeudi 10 septembre, sur le live du Monde.fr, où nous répondrons également à vos questions, et sur Twitter et sur Instagram, avec le mot-clé #Jourdemigrants.
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