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Liban

Un accord trouvé dans la crise des déchets à Beyrouth

Le gouvernement libanais a trouvé ce mercredi soir un accord, alors que les manifestants étaient de nouveau dans la rue malgré une tempête de sable meurtrière.
Pierre Longeray
Paris, FR
Manifestation du mouvement "You Stink!" du 29 août à Beyrouth, Liban (VICE News)

Après plus d'un mois de manifestations, le gouvernement libanais a approuvé ce mercredi soir un plan pour mettre fin à la crise des ordures qui a mis à mal la patience des habitants de Beyrouth, la capitale du pays. Au lendemain de cet accord, la crise politique elle, ne semble pas devoir disparaître.

Depuis la mi-juillet et la fermeture de la déchetterie de Naameh (la principale décharge du pays, installée dans la banlieue de Beyrouth), les déchets s'entassent dans les rues de la capitale, faisant craindre de sérieux risques sanitaires. Pendant ce mois de manifestations, les Beyrouthins — rassemblés sous la bannière d'un mouvement baptisé « You Stink! [Vous puez !]» — protestaient autant contre cette crise des déchets que contre l'inaction et la corruption de leur classe politique, qui oeuvre sans chef d'État depuis mai 2014. Des manifestations qui ont fait plusieurs dizaines de blessés lors d'affrontements entre les manifestants et la police anti-émeutes.

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Le ministre de l'Agriculture, Akram Shehayeb, a détaillé, ce mercredi soir vers 23 heures (heure locale), le plan prévu par le gouvernement libanais, alors que des milliers de Libanais manifestaient encore dans les rues de Beyrouth.

The crowd is louder than ever— Beirut Syndrome (@BeirutSyndrome)September 9, 2015

Manifestations de ce mercredi à Beyrouth.

« Cette crise des déchets a fait exploser la grogne que les Libanais gardent en eux depuis près de 10 ans, » explique à VICE News, ce jeudi après-midi, Pascal Monin, professeur à l'Institut d'études politiques de l'Université Saint-Joseph de Beyrouth. Cette crise illustre « la nonchalance et l'absence de sentiment de responsabilité publique des hommes politiques libanais, » d'après Monin.

La force de ce mouvement contestataire est qu'il n'a « pas de couleur politique, ni religieuse » d'après le professeur de l'une des facultés les plus importantes du pays. Cet état de fait a permis à une grande partie de la population de soutenir le mouvement. Pour l'universitaire, il serait regrettable de ne pas profiter de cette dynamique pour insuffler un changement politique dans le pays.

À lire : Crise des ordures à Beyrouth : Les manifestants du mouvement « Vous puez ! » font tomber le « mur de la honte »

Ce mercredi, les habitants de Beyrouth s'étaient à nouveau mobilisés, pour mettre la pression sur le gouvernement, malgré la terrible tempête de sable qui touche le pays et la Syrie voisine depuis quelques jours. 7 personnes ont été tuées au Liban depuis ce lundi, à cause des conditions météorologiques et trois manifestants ont dû être transportés ce mercredi à l'hôpital à cause de difficultés respiratoires.

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Scene from an apocalyptic Beirut: — Lara Bitar (@LarsBit)September 9, 2015

À lire : En photos : Beyrouth croule sous les ordures

L'accord trouvé ce mercredi soir a bien failli ne pas voir le jour. Plus tôt dans la journée, les responsables des différents courants politiques libanais, réunis au Parlement dans un état de siège et accueillis par des jets d'oeufs, n'étaient pas parvenus à un accord. Après trois heures de réunion, ils s'étaient seulement donné rendez-vous dans une semaine pour une nouvelle réunion. Le Premier ministre du pays, Tammam Salam, a alors convoqué dans la soirée de mercredi un Conseil des ministres extraordinaire, au cours duquel l'accord a enfin été trouvé.

L'ouverture de deux nouvelles décharges dans le pays a été promise : une à Srar (extrême nord du Liban) et l'autre dans la vallée de la Bekka (dans l'est-libanais). Le ministre de l'agriculture a aussi annoncé que la décharge de Naameh — fermée mi-juillet — sera réouverte pendant une semaine afin d'y déposer les ordures qui s'accumulent dans Beyrouth et ses alentours. Ces ordures sont tellement dégradées qu'il est aujourd'hui impossible de les traiter, selon des sources ministérielles.

Seulement il est possible que la réouverture — bien que temporaire — de la décharge de Naameh se heurte à l'opposition des habitants du quartier de la décharge. Ils avaient fait savoir qu'ils ne toléreraient sa réouverture sous aucun prétexte.

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Les ministres réunis sont aussi parvenus à une solution à moyen terme pour aboutir à une gestion décentralisée des déchets, comme l'explique le journal local L'Orient Le Jour, qui juge le plan du gouvernement « vague ». Cette solution provisoire court sur les dix-huit prochains mois, pour permettre aux municipalités d'établir leur propre infrastructure de gestion des déchets — à savoir la construction d'usines et l'aménagement de décharges. Pour Pascal Monin, la solution proposée par le gouvernement n'est pas satisfaisante puisqu'il s'agit d'une « solution par défaut et provisoire. »

Manifestations de ce mercredi à Beyrouth (Images Russia Today)

À lire : Crise des ordures à Beyrouth : plus de 80 blessés après un week-end d'affrontements entre manifestants et la police antiémeute

Comme le prouvent à nouveau les images de la manifestation d'hier — où certains Beyrouthins marchaient sur les visages imprimés de la classe politique libanaise — le ras-le-bol des Libanais vise principalement les hommes politiques du pays, qui semblent incapables de s'entendre. En l'absence d'élections depuis 2009, le Parlement libanais a été contraint de proroger son propre mandat à deux reprises, alors que le gouvernement d'union nationale de Tammam Salam ne parvient à s'entendre sur aucune décision d'importance.

Pour Pascal Monin, « si le mouvement s'essouffle, ils n'auront rien obtenu. » Pour relancer la démocratie libanaise, le professeur estime que le peuple doit pousser pour organiser des élections présidentielles doublées d'un changement de la loi électorale pour élire un Parlement « vraiment représentatif. » Le spécialiste prône un passage à un scrutin à la proportionnelle pour les élections parlementaires. Aujourd'hui le Parlement est élu au scrutin majoritaire.

Pascal Monin estime que les Libanais vont choisir cette voie institutionnelle pour imposer le changement, plutôt que la violence, expliquant qu'au cours du Printemps arabe « Tout casser pour tout reconstruire n'a pas marché dans les autres capitales de la région. »

Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray

Fin août, VICE News s'était rendu à Beyrouth pour suivre une manifestation du mouvement « You Stink ! » (en anglais)