ENQUETE. Présidentielle : Montebourg en embuscade

LE PARISIEN MAGAZINE - Notre enquête auprès de ses proches le montre : reconverti en entrepreneur, l'ex-ministre n'a pas renoncé à un destin présidentiel. Il veut incarner le renouveau à travers son combat pour le Made in France.

ENQUETE. Présidentielle : Montebourg en embuscade

    « Politiquement, Arnaud ne fait que des conneries ! Pour entretenir la flamme, il faut savoir ce qu'on veut faire, où on va, proposer une perspective. Là, il n'y en a pas. Des troupes ? Il faudrait déjà qu'il en ait », enrage un de ses anciens complices. Inconstant Arnaud Montebourgâ?¦ Alors qu'il s'est allié au centriste Yves Jégo pour les Assises du produire en France, jeudi et vendredi, à Reims, l'ancien ministre du Redressement productif déconcerte jusqu'à ses partisans. A-t-il vraiment renoncé à la politique pour l'entreprise ? Ou prépare-t-il un retour aux allures de success story ?

    « Une cure de jouvence »

    Qu'on se rassure, le trublion va bien, très bien même. Il sera bientôt papa, à 52 ans, sa compagne Aurélie Filippetti, 42 ans, elle-même ancienne ministre de la Culture, étant enceinte. « Le déclencheur de leur histoire, c'est le combat d'Arnaud pour Florange. Aurélie a été impressionnée par son courage politique. Leur histoire a démarré là », confie l'un de ses copains. Preuve qu'il est en forme ? Quand on l'appelle pour s'enquérir de ses projets, il nous engueule ! « Ã?a s'appelle la liberté. La liberté de penser, d'agir. Ã?a m'a coûté cher, mais j'en suis très fier ! » trompette Montebourg, devenu le vice-président de la société d'ameublement Habitat. Il a monté sa propre boîte, Les équipes du Made in France, et investit dans des start-up.

    « Une cure de jouvence », loin du « monde étouffant de la politique partisane » qu'il a quitté avec fracas voilà un an, « démissionné » du gouvernement pour indiscipline. Essayer de le faire parler du PS ou de la présidentielle, c'est se heurter à un mur. « Je n'en sais rien, je n'en suis pas là. Posez-moi la question dans un an ! » On croirait entendre Nicolas Sarkozy qui, après sa défaite à la présidentielle de 2012, répétait : « La politique, c'est terminé, terminé, terminé. » On connaît la suite. Et si, comme lui, Montebourg avançait masqué ?

    Il n'a plus besoin de la politique pour vivre, c'est sa singularité

    Pour y voir plus clair, il faut interroger le premier cercle des « montebourgiens », les amis de trente ans et la petite bande des élus de Saône-et-Loire. On les compte sur les doigts d'une main. Tous décrivent un Montebourg en embuscade, qui observe la tectonique des plaques à gauche, prêt à sortir du bois si â?? et seulement si â?? l'opportunité d'un retour s'offre à lui. Homme d'intuitions géniales, l'ex-ministre du Redressement productif rêve d'inventer une nouvelle façon de faire de la politique, hors des partis qu'il dit usés jusqu'à la corde. Son diagnostic est sans appel : les Français n'en veulent plus. Et lui n'en a plus besoin pour vivre : « Il est en rupture alimentaire par rapport à la fonction politique, c'est sa singularité », confie un ami. « Quand il était ministre, il disait : â??Un jour, je ne serai plus au gouvernement. Je ferai du business et je reviendrai en 2022. Je montrerai aux Français qu'on peut faire de la politique autrementâ? », se souvient l'ancien ministre Thomas Thévenoud, autre grand brûlé de la politique, chassé du gouvernement pour cause de « phobie administrative ». Ils ont gardé des liens. Le 30 août, alors que les socialistes achevaient leur université d'été à La Rochelle, Montebourg l'a appelé de Saône-et-Loire, leur fief commun. Il venait de passer devant une salle municipale où ils ont battu ensemble les estrades. « T'en es où ? Tu fais quoi ? » Ils ont parlé vacances, amours, emmerdes. Et politique. « On est d'accord pour dire que les partis sont en train de mourir », raconte Thévenoud. « Je préfère retourner à ma charrue et mes champs, comme Cincinnatus ! » nous glisse Montebourg, en référence au politicien romain parti cultiver son lopin de terre, avant d'être rappelé au pouvoir en homme providentiel.

    Un retour prévu pour 2017â?¦ ou 2022

    « C'est le vrai-faux retraité, comme Jospin. Evidemment qu'il est en embuscade ! » sourit un proche, qui rigole de ses apparitions répétées. « La politique pour Arnaud, c'est autre chose qu'une activité, c'est une passion. Il développe son propre modèle, hors des sentiers battus. Est-ce qu'il reviendra en 2017, en 2022 ? A suivre, mais la page n'est pas tournée », décrypte son ami Michel Piloquet, patron de la société immobilière Quanim, qui le connaît depuis Sciences Po, dans les années 1980. Si le chantre du Made in France a décidé de reprendre le chemin de l'école à l'Insead, temple du management, c'est « parce qu'il a fait l'expérience de l'impuissance politique. Il veut apprendre le langage économique car ce sont les acteurs économiques qui détiennent le vrai pouvoir », enchérit son ami Thomas Clay, professeur agrégé de droit. C'est chez lui que Montebourg a atterri le soir de son limogeage, le 25 août 2014. « J'ai été ministre de l'Economie d'un pays qui faisait 0 % de croissance. Ã?a me noue le ventre. Je ne pouvais pas continuer », lui a-t-il confié, paradoxalement soulagé.

    « Il veut flinguer Hollande »

    Le sort du « Monsieur 17 % » de la primaire socialiste de 2011 va se jouer en fin d'année, après les régionales, selon que ce scrutin vire à la bérézina pour la gauche, que François Hollande s'enfonce dans les sondages, que le chômage continue de flamber. Alors seulement, la question de son retour pour la présidentielle de 2017 se posera. « C'est là que le virage va se prendre », glisse le député de Saône-et-Loire Philippe Baumel. « S'il a une fenêtre de tir, il la saisira », appuie un autre. Des voix pourraient s'élever pour réclamer une primaire ouverte à gauche. « C'est inéluctable si on veut légitimer notre candidat. La primaire est dans les statuts du PS, c'est nous qui, avec Arnaud, l'avons installée dans le paysage. La droite se l'est appropriée et nous ferions l'impasse ? » tonne le député du Gard Patrice Prat.

    Et s'il n'y avait pas de primaire ? Les amis de Montebourg n'excluent rien. Y compris qu'il se présente sans le parti, face à Hollande. « Pour le moment, la question ne se pose pas. Mais s'il n'y a pas de primaire et si Hollande est réellement dans les choux, il faudra y penser », glisse un membre du premier cercle. « Il peut jouer une campagne avec des réseaux et sans appareil politique », prophétise l'un des « frondeurs », les députés PS qui critiquent la politique du gouvernement. D'ici là, silence radio. Pas question de porter le chapeau d'une défaite aux régionales. Raison pour laquelle Montebourg a filé doux fin août à Frangy-en-Bresse (Saône-et-Loire), laissant la vedette au charismatique Yánis Varoufákis, ancien ministre des Finances grec. « C'était la consigne », souffle l'un de ses partisans.

    Voilà François Hollande prévenu. Montebourg voue un mépris sans borne à ce président qui, à ses yeux, a trahi son camp. « Il y a chez Arnaud un moteur idéologique : son opposition à la ligne du gouvernement. Et un moteur personnel : il veut flinguer Hollande. Il n'a pas digéré Florange (il avait perdu l'arbitrage gouvernemental concernant la nationalisation de l'usine ArcelorMittal, NDLR) », lâche un fin connaisseur de l'homme à la marinière. Une rancÅ?ur qu'il partage avec l'ex-conseiller du président, Aquilino Morelle, viré après avoir été soupçonné de conflit d'intérêts (et pour avoir fait venir son cireur personnel à l'Elysée). « Ils sont en phase, ils feront tout pour tuer Hollande. Morelle raconte partout qu'il a retardé la sortie de son livre pour le publier au moment où ça fera le plus mal », murmure encore ce proche.

    Valls, le complice devenu rival

    Entre Arnaud Montebourg et Manuel Valls, qui pourrait être son grand adversaire en 2022, les ponts sont aussi rompus. Envolé le pacte de l'automne 2013, quand ils s'étaient alliés pour propulser le second à Matignon. « On va dézinguer Pépère ! » entonnait alors Montebourg. Devenu Premier ministre, Valls a choisi la fidélité au chef de l'Etat. Montebourg s'est senti trahi. Piégé même. Pour ses amis, c'est Valls qui a obtenu sa tête lors de ce week-end maudit d'août 2014 (où Montebourg avait réclamé une inflexion de la politique économique française). « L'événement le plus important de ce week-end, à titre personnel, a été la disparition de mon chien Homère », cingle le Premier ministre, un rien cruel, en petit comité.

    En attendant son heure, Montebourg planche sur des idées. Continue à voir des universitaires, économistes, syndicalistes, intellectuels, chefs d'entreprise. Et cultive ses réseaux. En juin, des « frondeurs » ont été invités à partager un petit-déjeuner au Bourbon, « le » café des politiques en face de l'Assemblée. Certains ont décliné. Ils n'y croient plus. « Il ne capitalise jamais sur le long terme. Arnaud, c'est un mec qui va dans la forêt, amasse des fagots et, au lieu de les garder pour se chauffer l'hiver, il fait un grand feu de joie le premier jour ! » soupire un conseiller de l'exécutif. « Il lui faudrait un ou deux ans de plus pour démontrer que sa reconversion en entreprise est une réussite », s'inquiète un « frondeur », dubitatif. C'est là tout le pari de Montebourg : partir, vraiment, pour mieux revenir.