A journalist looks at the new Google logo at his work station in Washington, DC on September 1, 2015. Google on Tuesday refreshed its logo to better suit mobile devices that are supplanting desktop computers when it comes to modern Internet lifestyles. Google's logo keeps its four-color scheme but shifts to a soft sans-serif font. The company is also replacing the well-known blue lower case "g" icone with an upper-case "G" combining blue, green, red and yellow colors. The 17-year-old Internet company is keen to follow users of its online products onto new generations of Internet-linked devices such as smartphones, tablets, and watches.AFP PHOTO / EVA HAMBACH

Selon la firme de Larry Page, ses publicités en ligne et ses résultats de recherche ne nuisent pas à la concurrence.

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En ce début d'année 2012, Denis Olivennes veut frapper un grand coup. Propulsé à la présidence de toutes les entités de Lagardère Active quelques mois plus tôt, le dirigeant décide de s'adresser aux 200 cadres de son entreprise en les invitant à s'engager plus avant dans la révolution numérique. Responsables de titres de presse (Elle, Le Journal du dimanche...), de chaînes de télévision (MCM, Canal J, Gulli...), de radios (Europe1, Virgin...), tous sont invités à négocier sans crainte ce virage technologique décisif mais passionnant.

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Comme un symbole de cette stratégie conquérante et ambitieuse, le patron exhibe son premier trophée, l'acquisition la plus importante de l'histoire de sa société. Une pépite de l'Internet français présent dans 14 pays européens et qui oriente les internautes vers les sites de commerce en ligne proposant les meilleurs tarifs parmi 165 millions d'offres.

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Ce comparateur de prix, LeGuide.com, affiche une rentabilité insolente et un niveau de croissance devant lequel les vieux médias meurent d'envie. Acquise pour 95,8 millions d'euros, la start-up devient le fer de lance du groupe sur la Toile. Ce projet séduisant sur le papier va pourtant se fracasser très vite sur les rochers de la réalité. La croissance à deux chiffres se change en chute aussi brutale que soudaine.

Les ravages de l'algorithme de Google

La raison de ce naufrage? Dès 2014, la société enregistre une baisse de sa visibilité sur Google. Le changement de l'algorithme du moteur de recherche au sympathique surnom de Panda cause des ravages. En un an et demi, le gentil ursidé poilu fait perdre à LeGuide.com 20% de son chiffre d'affaires. A la fin de juin 2015, la pépite chèrement acquise ne vaut plus que... 35 millions d'euros dans les comptes. Plus de la moitié de la valeur originelle de cette filiale s'est évaporée en deux ans et demi.

Pour Denis Olivennes, le responsable est tout trouvé. D'ailleurs, la Commission européenne ne s'est-elle pas penchée sur les pratiques de Google, accusé de privilégier son comparateur de prix Shopping, rangé en première place des résultats du moteur, au détriment de tous ses concurrents?

"Au bout de six ans, l'enquête n'a toujours pas abouti, regrette Benoît Sillard, président de l'Open Internet Project, groupe d'influence fondé en 2014 et représentant plus de 500 entreprises, dont Lagardère Active. Une éternité sur Internet. Nous voilà revenus au temps du Far West, où, faute de shérif dans la ville, vous demandiez au marshal de la capitale d'intervenir. Mais, avant qu'il n'arrive, des événements tragiques s'étaient déjà déroulés."

Un temps, le commissaire européen à la Concurrence Joaquin Almunia a bien tenté de trouver un accord amiable sur ce sujet, mais l'Espagnol a finalement échoué sous la pression des plaignants. En 2014, un texte voté au Parlement européen est adopté préconisant de scinder le mastodonte, devenu trop puissant. Cette résolution n'est pas contraignante, mais qu'importe, le ton a changé.

Peu de temps après, la nouvelle commissaire, la Danoise Margrethe Vestager, marque sa différence avec son prédécesseur et choisit l'affrontement sous forme d'un acte d'accusation en bonne et due forme adressé à la société de Mountain View, en Californie. "Beaucoup d'efforts ont été consentis pour mener à bien les négociations. Malheureusement, sans déboucher sur une solution. Aussi, au vu de la multiplicité des plaintes d'acteurs européens et américains, cette voie s'est imposée", explique-t-elle dans un entretien à L'Express en juin dernier.

Le moteur de recherche, lui, rejette point par point tous les griefs dans un document de 150 pages. A l'en croire, il a "réfuté les affirmations selon lesquelles [ses] publicités en ligne et [ses] résultats de recherche nuiraient à la concurrence en privant les comparateurs de prix de toucher les consommateurs", a indiqué sur son blog Kent Walker, vice-président et directeur juridique de Google.

Les concurrents parient sur une sanction européenne

D'autres échanges sont encore prévus entre Bruxelles et la firme américaine au moins jusqu'à l'année prochaine, avant la prise d'éventuelles sanctions. Mais, d'ores et déjà, des concurrents se tiennent en embuscade, prêts à sauter sur l'occasion d'obtenir justice. Et peut-être beaucoup d'argent. Tous parient sur une sanction européenne pour s'engouffrer dans la brèche et saisir les tribunaux de commerce nationaux, avec, à la clef, des milliards de dollars de dédommagements. L'entreprise dirigée par Larry Page dispose d'une trésorerie colossale de 62,6 milliards d'euros qui fait des envieux.

"Chaque fois que la société de Mountain View décide de s'attaquer à un nouveau marché, les vols aériens avec Flights, la cartographie avec Maps, les restaurants avec Zagat, ou la comparaison de prix avec Shopping, ses services apparaissent systématiquement en tête des résultats. Les concurrents se trouvent alors relégués dans les profondeurs du classement, sauf à acheter des publicités auprès de Google", accuse Benoît Sillard. Au sein de l'Open Internet Project, qu'il préside, figurent plusieurs groupes allemands dont l'éditeur Axel Springer, le syndicat français des agences de voyages (Snav), celui des tour-opérateurs, des groupes de médias (Geste) ou encore la Fédération française des télécoms.

Tous ces plaignants potentiels sont invités à demander réparation sur la plateforme Google Redress and Integrity (Grip), ouverte, la semaine passée, par le cabinet bruxellois d'avocats Avisa et le londonien Hausfeld & Co. Les entreprises s'estimant lésées doivent tout de même dépenser de 10000 à 50000 euros selon leur taille pour se faire représenter après examen juridique des dossiers.

Cette initiative n'est pas du goût de Google. Le moteur n'y voit que des hommes de loi à l'affût de bonnes affaires et de coups de pub à peu de frais sur des dossiers virtuels dont Bruxelles ne s'est même pas encore emparé. Avisa et son patron, Jacques Lafitte, possèdent pourtant une longue expérience en la matière : ils représentent depuis plusieurs années Bruno Guillard. Sa société, 1plusV, éditait des moteurs de recherche thématiques (droit, musique...), comme eJustice ou eFinance, et fut l'une des premières en France à porter plainte contre le géant américain, en lui réclamant 295 millions d'euros. La procédure est aujourd'hui gelée au tribunal de commerce de Paris, dans l'attente des résultats de l'enquête de Bruxelles.

Le feu de la révolte couve

"Au cours de l'année 2007, Google a décidé de modifier son algorithme pour présenter les résultats de tous ses moteurs spécialisés dans la finance, les actualités, la cartographie... directement sur la première page. Du coup, nos sites ont été immédiatement déréférencés et ont fermé", se souvient-il. La très grande majorité des internautes reste, en effet, sur la première page de résultats après avoir réalisé une requête. Ne pas figurer sur cette tête de gondole numérique est synonyme de mort. Une règle d'airain parfaitement résumée dans une maxime célèbre sur le Net: "Le meilleur endroit pour cacher un cadavre, c'est la deuxième page de Google!"

Hors d'Europe, le feu de la révolte couve aussi. Si un rapport secret de l'agence de la concurrence américaine, la Federal Trade Commission, préconisait d'attaquer Google, il a été enterré. Ce n'est pas le cas de l'Autorité de la concurrence indienne. A la suite de plaintes de Facebook, de la division cartographie de Nokia, ou encore de Microsoft, elle vient d'établir que l'entreprise a abusé de sa position dominante et laisse au moteur de recherche jusqu'au 10 septembre pour répondre à ces accusations. Les mêmes pratiques que celles épinglées en Europe sont visées. "Nous considérons que Google offre plus de choix aux consommateurs [...], et des opportunités commerciales pour les entreprises de toutes tailles", se défend la firme sur son blog.

De son côté, Icomp, un organisme rassemblant plus de 70 entreprises concurrentes, estime qu'au regard des situations européenne et indienne "il n'est tout simplement plus possible [...] de continuer à affirmer qu'il n'y a aucun problème". "Don't be evil" (ne sois pas malveillant) est pourtant la devise du moteur de recherche californien. Mais, partout dans le monde, ils sont de moins en moins nombreux à la prendre pour argent comptant.

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