Réfugiés ou SDF ? Les associations face au piège de la "concurrence"

Réfugiés ou SDF ? Les associations face au piège de la "concurrence"
La maire Anne Hidalgo souhaite la bienvenue à Paris aux réfugiés en provenance de Munich, vendredi 11 septembre 2015. (CAPTURE TWITTER)

La brusque accélération des mesures politiques en faveur des réfugiés réjouit professionnels et bénévoles de l'aide sociale... autant qu'elle provoque leur incompréhension.

Par Le Nouvel Obs
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La maire de Paris Anne Hidalgo a annoncé jeudi 10 septembre l'ouverture de six nouveaux centres d'hébergement à Paris (plus un à Bourg-la-Reine), destinés à recevoir 460 migrants, et était sur le pont ce vendredi pour accueillir 36 réfugiés irakiens et syriens arrivés dans la nuit à un centre d'hébergement parisien. A Saint-Etienne, à Lille, à Rennes, mais aussi dans des territoires ordinairement marqués par la pénurie de places d'hébergement d'urgence, les offres d'accueil des pouvoirs publics commencent à affluer de tout l'hexagone.

Alors que le compte à rebours vers l'hiver est déjà lancé, cet afflux de solidarité ultra-ciblé fait grincer bien des dents chez les défenseurs habituels du fameux "SDF de souche" sur les réseaux sociaux, certains se trouvant un soudain intérêt pour les sans-abri. Y compris chez ceux qui ont l'habitude de taper sur les "assistés".

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... mais aussi parfois au sein du monde associatif.  

Car ce genre d'opposition entre "nouveaux réfugiés" et précaires "déjà sur place" n'est pas totalement sans fondement. Mi-juin, "L'Humanité" se faisait ainsi l'écho de l'expulsion "d'une trentaine de SDF, habituellement logés au centre d'accueil de Nanterre", afin d'y accueillir à la place les migrants expulsés de Paris, une information que confirmait un communiqué de la ville.

Le cas inverse est parfois observé : ainsi, à Bruxelles, de nombreux sans-abri de la capitale belge se sont mis à fréquenter la plate-forme citoyenne de soutien aux réfugiés. "Il y a des présences de gens qui ne sont pas forcément du campement. On n'est pas contre", déclarait une porte-parole à RTL Belgique.

Il y a une précarité à Bruxelles et on ne veut pas empêcher les gens de se nourrir s’ils ont faim, de prendre des vêtements s’ils ont froid."

La concurrence est aussi "entre migrants"

Toujours est-il que l'incompréhension gagne certains personnels du Samu social de Paris, "qui chaque jour doivent refuser 150 personnes", indique son président Eric Pliez au magasine "TSA""La pénurie crée un effet de tri et de concurrence", admet Christophe Robert, de la Fondation Abbé-Pierre, auprès de Rue 89. Ce mot de "concurrence" entre différents publics, peu le reprennent malgré tout à leur compte.

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"On ne présente pas les choses de cette manière-là. Beaucoup de sans-abri sont eux aussi des migrants : 40% des personnes qui appellent le 115 sont de nationalité extracommunautaire. Si opposition il y a, elle est davantage entre les migrants eux-mêmes", explique Florent Gueguen, directeur général de la Fnars (Fédération nationale des associations d'accueil et de réadaptation sociale). "Le gouvernement a désigné quatre nationalités prioritaires [Syriens, Libyens, Irakiens et Érythréens, NDLR] qui ne sont pas les nationalités majoritaires au sein des demandeurs d'asile."

Et si "personne ne conteste la priorité donnée aux personnes issues de zones de guerre", force est de constater que le gouvernement a encouragé le développement d'une demande d'asile à deux vitesses cet été : d'un côté, accueil immédiat et traitement accéléré des dossiers (trois mois) ; de l'autre, Kosovars, Congolais, Tchétchènes attendent parfois plusieurs années et en tout, seulement un tiers des demandeurs d'asiles accèdent finalement à une place en Cada (Centre d'accueil de demandeurs d'asiles). 

"Il a fallu pousser les murs", reconnaît Hidalgo

Ce vendredi, Anne Hidalgo répétait qu'il n'y avait "pas de concurrence entre les publics", tout en reconnaissant qu'il avait "fallu pousser les murs", pour "ouvrir des places supplémentaires", face à des "capacités d'hébergement d'urgence déjà saturés" pour les SDF d'Ile-de-France. Et les représentants de 600 villes ont répondu à l'invitation du gouvernement pour participer samedi à Paris à une réunion visant à organiser l'accueil des 24.000 réfugiés supplémentaires acceptés par François Hollande le 7 septembre. De quoi susciter des interrogations au sein du monde associatif.

Cela fait des années que les communes nous répondent, à nous et à la fondation Abbé-Pierre, qu'elles n'ont 'pas de foncier'... Et tout à coup, on s'aperçoit qu'il suffit d'une mobilisation des opinions françaises et européennes pour que les solutions qui n'existaient pas hier apparaissent", s'interroge Florent Gueguen.

Les capacités d'accueil hivernales seront-elles cannibalisées par les nouveaux arrivants ? La préfecture d'Île-de-France a d'ores et déjà assuré que la mise à disposition de places pour les réfugiés estampillés "quotas européens" ne se ferait pas au détriment des sans-abri français, communautaires et extracommunautaires déjà présents sur le territoire.

"On attend des confirmations. L'autre enjeu sera d'éviter la concentration à Paris, de répartir les centres d'accueil sur l’ensemble du territoire. Dans certaines régions, très peu de maires sont prêts", prévient Florent Gueguen. Il faut dire qu'il y a une échéance électorale dans trois mois. Mais dans trois mois, ce sera aussi l’hiver.

Timothée Vilars

Le Nouvel Obs
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