âSur un tel sujet, je trouve que la salle nâest pas assez remplieâ, lance Marc Laget, responsable de lâamĂ©nagement numĂ©rique des territoires au CGET, avant-dernier intervenant du colloque sur âlâimpact du numĂ©rique sur le dĂ©veloppement Ă©conomique localâ organisĂ© jeudi 10 septembre par la FNCCR et la mission Ecoter.
Six heures plus tĂŽt, en ouverture de la rencontre, Gilles Quinquenel, prĂ©sident du conseil dâorientation numĂ©rique de la FNCCR et prĂ©sident de la mission Ecoter, dĂ©plorait : âIl reste beaucoup de travail pour que le numĂ©rique soit appropriĂ© par les Ă©lus. Il faut comprendre que ce nâest pas un sujet technique mais politique.â
Entre les deux, les autres dĂ©batteurs ont dressĂ© le mĂȘme diagnostic expliquant les freins au dĂ©veloppement de politiques publiques numĂ©riques, dans une mĂȘme unanimitĂ©. Non que les territoires ne savent pas se montrer pertinents sur ce thĂšme â les diffĂ©rents projets Ă©voquĂ©s en tĂ©moignent, tout comme ce rĂ©cent rapport dâAkim Oural -, mais âlâinnovation est marginale, câest triste », a encore regrettĂ© Gilles Quinquenel, le cap de la massification restant trop souvent un Graal lointain.
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âIl y a rĂ©ticence Ă copier ce quâa fait le voisinâ
Parmi les obstacles frĂ©quemment citĂ©s, un tropisme certain aux querelles de clocher : chaque commune veut SA solution, mĂȘme sâil existe dĂ©jĂ des outils qui ont fait leurs preuves. âIl y a une vraie rĂ©ticence Ă copier ce quâa fait le voisinâ, jette sans ambages CĂ©line Faivre, chargĂ©e, au sein du SGMAP, du programme de dĂ©veloppement concertĂ© de lâadministration numĂ©rique territoriale (DCANT), dont le lancement officiel est prĂ©vu le 6 octobre.
âJe sais quâil y a de la concurrence territoriale, renchĂ©rit, ironique, Sophie Houzet, directrice gĂ©nĂ©rale du PĂŽle NumĂ©rique de la DrĂŽme, une structure qui fait lâinterface entre les acteurs sur des projets numĂ©riques innovants. Mais je ne peux pas vous aider si vous voulez Ă©conomiser et ne pas partager. Je ne sais pas faire !â
Ce défaut ne portait pas à conséquence quand le lait et le miel des dotations coulaient normalement. En ces temps de sévÚre sécheresse, la mutualisation revient dans les bouches comme une solution, malgré ses limites.
Par-delĂ la logique financiĂšre, certains projets ne peuvent pas ĂȘtre menĂ©s Ă bien sans collaboration. Morgan HervĂ©, DGA du syndicat Manche numĂ©rique, en a donnĂ© lâillustration avec les applications de tourisme : â22 organismes en voulaient une. Bonjour lâexpĂ©rience utilisateur sâil faut tĂ©lĂ©charger 22 fois une application qui va rester une journĂ©e sur le smartphone !â
Les restrictions rĂ©frĂšnent aussi les ardeurs dâinnovation. Ce qui nâest pas forcĂ©ment un mal, vu lâinutilitĂ© patente de certaines. Mais, comme souvent, il ne faut pas jeter le bĂ©bĂ© avec lâeau du bain, dâautant que, comme lâexplique Gilles Quinquenel : âJe ne peux pas me tromper, je nâai plus de margeâ.
Les process Ă©voluent Ă©galement, pour tenir compte de ces nouvelles contraintes. Il Ă©voque ainsi la stratĂ©gie de prise de risque mutualisĂ©e Ă©laborĂ©e Ă lâoccasion dâun projet de « candĂ©labres intelligents » pour Saint-LĂŽ Agglo. Les tests ont Ă©tĂ© effectuĂ©s dans une seule commune : si la nouveautĂ© tient ses promesses, les autres lâadoptent Ă leur tour ; en cas dâĂ©chec, le gĂąchis financier a Ă©tĂ© limitĂ©. Mais toutes les interco sâinscrivent-elles dans cette optique ?
De lâhumain, pas de la technique
ConsidĂ©rer le numĂ©rique sous sa seule dimension technique est aussi le plus sĂ»r moyen dâaller dans le mur : le numĂ©rique a beau ĂȘtre adulte depuis longtemps â le web grand public a explosĂ© Ă partir de 1995, par exemple â sa mutabilitĂ© permanente lâapparente Ă un adolescent sautillant que certains ont bien du mal Ă comprendre.
âUn tiers de nos effectifs sont des âambassadeursâ, câest-Ă -dire des personnes dĂ©diĂ©es Ă lâaccompagnement des publics vers ces nouveaux usagesâ, a expliquĂ© Gilles Delamarche, du GIP e-Bourgogne, plate-forme rĂ©gionale des marchĂ©s dĂ©matĂ©rialisĂ©e.
Les collectivitĂ©s se consoleront de partager les mĂȘmes frilositĂ©s et incomprĂ©hensions que bien des entreprises, contrairement Ă certains clichĂ©s : la pĂ©dagogie sâadresse aussi Ă ces derniĂšres, avec des effets limitĂ©s : âNous comptons 36000 inscrits, et 1000 seulement ont optĂ© pour le coffre-fort numĂ©rique(1), lancĂ© voilĂ 8 ansâ, indique Gilles Delamarche.
Lâaccompagnement est primordial dans la conduite du changement, le marchĂ© public simplifiĂ© lâillustre.â GĂ©nĂ©ralisĂ© depuis novembre 2014, MarchĂ© public simplifiĂ© (MPS) dĂ©marre poussivement. Et la faute en revient aussi Ă lâEtat, estime-t-il : âMPS constitue une vraie rĂ©ussite de simplification, encore faut-il que les entreprises en aient entendu parler : on note un dĂ©ficit de communication, nous nâavons pas vu les chambres consulaires.â
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De ce point de vue, les espaces de mĂ©diation ont encore tout leur rĂŽle Ă jouer, souligne Morgan HervĂ© : EPN, ENE, et leur pendant pour les entreprises, fab lab mobileâŠ, la Manche a une typologie trĂšs variĂ© dâendroits dâacclimatation/formation, adaptĂ© Ă la physionomie trĂšs Ă©tendue et Ă©parpillĂ© de ses collectivitĂ©s. Morgan HervĂ© regrette cependant que ces lieux soient dĂ©laissĂ©s. Une plate-forme fĂ©dĂ©rant les initiatives de cette mĂ©diation en mutation est en cours de prĂ©paration, avec un lancement prĂ©vu Ă lâautomne.
Corollaire de ce manque de comprĂ©hension, les organisations restent calquĂ©es sur dâanciens canevas, devenus inopĂ©rants. âLâaction publique aime les schĂ©mas matriciels en silo, analyse Sophie Valdenaire-Ratto, directrice amĂ©nagement du territoire et habitat de Bourgogne. Cela donne un atroce schĂ©ma empilant des cubes de façon pyramidale, projetĂ© derriĂšre elle. Il y a un besoin de clarification, mais le numĂ©rique ne sây prĂȘte pas.â
âLa stratĂ©gie numĂ©rique nâest pas assez proche des directionsâ, dĂ©plore encore Jean-Luc Sallaberry, en charge du dĂ©partement numĂ©rique Ă la FNCCR.
« Les âtechosâ au sous-sol, ce nâest plus possible », indique encore Gilles Quinquenel : âun SI Ă part, ce nâest pas possible, il doit ĂȘtre transversal.â
Le programme DCANT apportera-t-il des solutions ? âNous voulons crĂ©er les conditions du passage Ă lâĂ©chelle supĂ©rieureâ, promet CĂ©line Faivre. StructurĂ© en 4 axes et 10 recommandations âconcrĂštesâ, il sâinscrit dans un calendrier politique court : 2017, câest demain, ce qui peut inciter Ă donner un coup de pied dans la fourmiliĂšre.
LâEtat est dâautant plus pressĂ©, que, pour le moment, il est le gagnant de la dĂ©matĂ©rialisation.
Gilles Quinquenel lâa illustrĂ© de cette anecdote qui a fait sourire la salle : âUne signature manuelle me prend 5 secondes. Une signature Ă©lectronique nĂ©cessite que jâallume lâordinateur, jâouvre le logiciel, clic, je le ferme, cela nĂ©cessite 40 secondesâ, et cela autant de fois quâil y a dâactes. âRepasser le travail Ă la secrĂ©taire ? Ce nâest pas lâesprit, on repasse au papier puisque cela veut dire quâelle doit imprimer les actes, me les montrer et ensuite faire la signature Ă©lectronique. Cela me rappelle le vote Ă©lectronique, qui a finalement Ă©tĂ© abandonnĂ©. Faites simple, sâil vous plait !â
Le programme comporte des principes de bon sens Ă mĂȘme de rĂ©soudre les problĂšmes : rĂ©fĂ©rentiels communs, simplification, Ă©valuation, gouvernance partagĂ©e. Le volet humain nâa pas non plus Ă©tĂ© oubliĂ© : lâInet, le CNFPT, les associations de territoriaux sont dans la boucle pour faire passer le message. Ils ne seront pas de trop pour expliquer certains concepts du plan, Ă la mode certes, mais encore bien loin du quotidien des Ă©lus : faire de lâagile, avoir un âapp store territorialâ, appuyĂ© sur âlâEtat plate-formeââŠ
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Notes
Note 01 un dĂ©pĂŽt des piĂšces justificatives, qui permet un gain de temps : elles sont chargĂ©es une fois, puis les informations sont âappelĂ©esâ facilement, sans avoir Ă recharger les piĂšces Ă chaque rĂ©ponse Ă un marchĂ©. Retour au texte