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Politique

Art contemporain : le triomphe de la crétinerie française

Face aux affaires Mac Carthy et Kapoor qui illustrent les maux dont souffre la société française, le silence des médias et des intellectuels, gauche et droite confondues, témoigne-t-il d'un abandon face à la crise identitaire du pays ?
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Kapoor
Le "Dirty corner"
Michel Euler/AP/SIPA

Que l'on déteste "durty corner" (un "coin sale", que quelques esprits mal placés ont ensuite surnommé le "vagin de la Reine"...), l'installation du plasticien britannique Amish Kapoor plantée dans le parc du château de Versailles, voilà qui n'est guère surprenant. L'affrontement - ou même la cohabitation - artistique entre la modernité la plus radicale et le comble de la tradition française ne va pas forcément de soi. "À Versailles, on attend l'ordre, reconnaît l'artiste. J'ai voulu apporter le désordre". Il faut admettre que des esprits pourtant éclairés soient choqués, traumatisés, parfois bouleversés. Cette confrontation n'excuse en aucun cas la violence, qu'elle soit physique ou conceptuelle.

Que deux académiciens français de l'envergure, de l'influence culturelle de Jean Clair et Marc Fumaroli se soient lancés dans un combat frontal et acharné contre l'art contemporain et ses dérives, il faut à l'évidence en tenir compte. Certains de leurs arguments ne manquent pas de pertinence. Jeff Koons, la star des stars, n'est-il en effet qu'un escroc de l'art comme les deux sommités le prétendent, un commerçant avisé, le maître d'œuvre d'un business à peine déguisé ? Le marché de l'art contemporain n'est-il pas tombé depuis deux décennies déjà entre les mains des pirates et des piranhas du néolibéralisme le plus acéré - il n'est d'ailleurs pas anodin que Clair et Fumaroli, deux "réactionnaires" patentés, soient les têtes de pont de la dénonciation de cet accaparement. A l'inverse des "progressistes", la "modernité" ni ne les obnubile ni ne les impressionne. C'est notamment en cela qu'ils sont à la fois respectables et indispensables.

Les intégristes de la pseudo-morale s'estiment désormais autorisés à oser

Mais l'affaire Kapoor n'a rien en commun avec la nécessité du débat, de l'opposition et de la confrontation. Une nouvelle fois, elle illustre quelques-unes des crispations et maux qui taraudent la société française.

Au printemps dernier, le "Plug anal" de Paul Mac Carthy fut nuitamment dégonflé Place Vendôme. L'installation était de piètre qualité et l'action "militante" revendiquée par le Printemps Français, l'un des groupes les plus radicaux issus de la mobilisation contre le mariage gay. Mac Carthy remettait-il en cause la famille ? L'identité française ? La place de l'enfant ? Rien de tout cela bien sûr, mais les intégristes de la pseudo morale sont persuadés qu'ils tiennent le manche idéologique, que leurs idées sont désormais majoritaires à droite et dans le pays profond. Ils s'estiment donc autorisés à oser. Après Mac Carthy, Kapoor. Après la mise en pièce d'un travail peu intéressant, l'attaque d'une œuvre autrement captivante, méritant somme toute l'intérêt et l'observation attentive.

Trois attaques en trois mois. Graffiti antisémite : "Le deuxième viol de la nation française par l'activisme juif déviant"... Hindou par son père, Kapoor est le fils d'une Juive d'origine irakienne. Graffiti catholique traditionaliste : "A Versailles, le Christ est Roy". "Roy" avec un y, pour mieux insister... Graffiti royaliste d'extrême droite : "La reine sacrifiée, deux fois outragée". Quand il se déplace à Paris ou à Lyon pour la Biennale, Kapoor vit désormais sous... protection policière... Il n'en revient toujours pas : "Mais qu'est-ce qui se passe en France ? Le pays de 1968 ! Ce souffle de liberté, c'est ici que ça avait jailli, nulle part ailleurs. Et maintenant, quoi" ? C'est en effet la bonne question.

Silence troublant des médias et des intellectuels

Que des "identitaires" ultras s'en prennent à Kapoor, il fallait s'y attendre. Les Veilleurs qui, à Versailles, sont passés à l'action, ont bien tenté de se justifier en réactivant cette interrogation éculée : "Peut-on tout se permettre au nom de l'art"? - la réponse étant incluse, imposée. Mais pourquoi donc les plus éminents représentants (politiques et intellectuels) de la droite républicaine, de la droite modérée restent-ils silencieux après ces récentes agressions ? Peu importe qu'ils "aiment" ou "détestent" l'art contemporain ; peu importe qu'ils dénient à Kapoor l'état d'artiste, de créateur. Pourquoi Le Figaro se contente-t-il de narrer les différents épisodes sans jamais prendre la peine de condamner ? L'un de ses chroniqueurs vedette, le philosophe Luc Ferry, a multiplié les textes depuis quelques années pour dénoncer "l'arnaque de l'art contemporain". Cette fois, il est demeuré silencieux. Qu'a-t-il à nous dire des récents "événements" de Versailles ? Plus à droite encore, l'hebdomadaire Valeurs Actuelles laisse entendre entre les lignes que, s'il n'approuve pas, au moins il comprend et défend. Ce n'est évidemment pas le cas des quatre Académiciens du quai Conti qui, aujourd'hui, incarnent la tradition et un certain "bon goût à la française", Jean d'Ormesson, Alain Finkielkraut, Jean Clair et Marc Fumaroli. Que leur inspirent ces actes et leur contenu politique, idéologique, culturel ? Jusque-là, rien, silence. Et Bruno Le Maire ? Pourquoi reste-t-il coi alors qu'il revendique aussi un statut et une place d'écrivain, d'intellectuel agissant en politique. La droite humaniste n'oserait-elle plus contredire la crise identitaire ? Ce mutisme semblerait l'accréditer.

Enfin, remarquons que l'intelligentsia dite de "gauche" n'est guère plus active. Depuis quelque temps, elle a rendu les armes. Nous le savions. Amish Kapoor vient de l'apprendre. A ses dépens.

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