Keith Richards : «Je veux réunir les Rolling Stones pour un nouvel album»

A l'occasion de la sortie cette semaine de son 3e album solo, Keith Richards, 71 ans, nous a reçus pour évoquer sa vie, ses excès et le retour prochain des Rolling Stones.

Keith Richards : «Je veux réunir les Rolling Stones pour un nouvel album»

    Une chambre de palace parisien, un cerbère qui veille à l'entrée, une poignée de journalistes du monde entier qui attendent anxieusement leur tour. A priori, une banale interview de rock-star. Sauf que dans cet univers aseptisé, derrière la porte, est installé Keith Richards. Il vous accueille avec un grand sourire, une main ferme, accepte quelques photos informelles pendant l'entretien et s'assoit... Fidèle à sa légende, le guitariste des Rolling Stones fume clope sur clope et boit de la vodka en pleine après-midi.

    Voix rocailleuse, visage ridé, ce sage papy de 71 ans a pourtant survécu à tout : les folies, les drogues, la prison, la mort de deux Stones originels, Brian Jones et Ian Stewart... De passage à Paris pour parler de son troisième album solo en cinquante ans de carrière, le fort recommandable «Crosseyed Heartâ??», qui sort vendredi, le jumeau maléfique de Mick Jagger semble lui aussi en pleine forme. Particulièrement affable et doux, il est habillé plus sobrement et chic que sur scène, avec une chemise bordeaux à pois blanc sur un tee-shirt et un pantalon noirs. Mais il ne quitte jamais les grigris qui en ont fait aussi une icône de la mode. Tout y est : ses yeux cernés de khôl, son énorme bague à tête de mort et les menottes à son poignet. Elles tinteront pendant toute l'interview.

    Comment allez-vous ?

    Keith Richards. Très bien. C'est toujours un plaisir de venir à Paris. Même pour y travailler.

    Votre dernier album solo remonte à 23 ans. Pourquoi avoir attendu si longtemps ?

    Les Stones, c'est ma priorité. Mais lorsqu'ils hibernent trop longtemps, j'ai besoin d'aller en studio. Alors je fais un album. Celui-ci n'était pas prémédité. J'ai commencé à jouer avec mon vieil ami batteur Steve Jordan il y a deux ans, alors que les Stones dormaient. Et ils se sont subitement réveillés (rires) ! (Ndlr : le groupe est alors reparti en tournée pour son 50ème anniversaire) Alors j'ai attendu...

    Ce disque sonne comme le testament d'un vieux routard...

    C'est assez juste, mais c'est venu tout naturellement. Je venais d'achever l'écriture de «â??Lifeâ??» (NDLR : son autobiographie parue en 2010), dans laquelle j'avais eu l'impression de vivre une seconde fois ma vie, et les chansons sont venues d'elles-mêmes. C'est l'album le plus cool que j'ai jamais enregistré, sans pression. Quel luxe !

    Pourquoi l'avoir appelé «â??Crosseyed heartâ??» (ndlr : coeur qui louche) et pas «â??Black heartâ??» (ndlr : coeur noir) ?

    C'est clairement un hommage à la musique noire, au blues de Robert Johnson, au reggae de Gregory Isaacs, aux musiciens qui m'ont donné envie de jouer. Mais je trouvais plus marrant de parler de mon «â??coeur qui loucheâ??», la partie qui regarde de l'autre côté du coin de la rue, s'il y a une jolie fille ou un vieux pote.

    Sur la couverture française de votre livre, «â??Lifeâ??», est écrit à propos de votre parcours «â??La vie la plus rock du siècleâ??». Vous confirmez ?

    Plein d'autres ont eu une vie très rock... mais ils sont morts (rires)... Je ne me suis jamais considéré comme un survivant, mais j'ai une bonne constitution. Je viens d'une famille où l'on vit vieux, 90 ans en moyenne. Et j'ai de la chance, une bonne étoile. A chaque fois qu'il y a eu des ennuis, j'ai couru au bon moment (rires). Et les Stones m'ont souvent sorti de la merde. Tout ce que je peux dire, c'est ne faites pas la même chose chez vous (rires) !

    Il y a trois ans, vous avez créé l'événement à Paris en jouant devant 700 fans et en leur ouvrant deux répétitions. Pourquoi ?

    Mais on adore faire ça. Ouvrir nos portes pendant vingt minutes, ce n'est pas compliqué. Et on ne peut pas ignorer la passion, voire la dévotion, que les fans ont pour ce groupe. C'est touchant. Et on a un peu la même ! Quant au Trabendo, c'est bon de jouer devant des petites salles comme cela. On se teste, on prend confiance. Si ça passe là, on peut jouer dans n'importe quel stade (il réfléchit). Dans l'esprit, on doit rester un groupe de club, de petites salles. Mais cela fait cinquante vieilles années que je fais ce métier et il n'y a rien de plus fort que de jouer devant des milliers de personnes.

    Mick Jagger (à gauche), Keith Richards (au centre) et Ron Wood en 2008 au Stade de France. (LP/Philippe Lenglin.)

    Dans le documentaire «â??Under The Influenceâ??», qui vous est consacré et qui sera diffusé sur Netflix le 18 septembre, vous dites que vous n'avez jamais grandi.

    Pas encore ! (Il rit). Je vieillis mais je ne grandis pas. Je vis au jour le jour. J'adore mes petits-enfants et avec une grosse voix, je leur dis : «â??Oui, j'ai grandi». Mais qu'est-ce que ça veut dire, au juste, grandir ? On apprend tous les jours. Je pense qu'on ne grandi jamais jusqu'au jour où on creuse votre trou.

    Votre ami Robin Williams disait de vous : «â??On peut fêler Keith, mais pas le briser.â??»

    Si, je suis cassable. Je suis même cassé de partout, j'ai des fractures de la tête au doigt de pied. Mais en ce moment, c'est vrai que tout va bien... Mais ça ne va pas durer (rires).

    Comment expliquez-vous que les Stones, Paul McCartney et Ringo Starr des Beatles, les Who, soient toujours sur scène ?

    C'est assez incroyable, c'est vrai. C'est une génération assez spéciale, née pendant la guerre, sous les bombes. Quand nous étions gamins, nos parents, le gouvernement anglais n'avaient qu'une envie, retourner dans les années 1930, aux jours heureux du passé. Nous avons refusé cela et avons toujours voulu aller de l'avant. Le rock n'a été qu'un détonateur de ce changement. Je dois d'ailleurs dire que les Beatles ont ouvert la voie pour les Stones, s'ils n'avaient pas cassé la porte, je ne sais pas si on aurait pu entrer. Et cette énergie vitale, cette force créatrice, nous portent encore. Regardez Mick Jagger, nous avons le même âge et il court comme un cabri sur scène. J'ai toujours eu de l'admiration pour lui.

    Vous ne l'avez pourtant pas épargné dans «â??Lifeâ??», lui reprochant son égocentrisme, son isolement, ses infidélités...

    Je ne veux pas trop aborder mes relations avec Mick, car à chaque fois que je lis ce que les journaux en font, ça me bouleverse. Avec Mick, en fait, nous sommes plus des frères que des amis. Et entre frères, on a forcément des bagarres, des désaccords. Mais la plupart du temps, nous sommes d'accord. C'est par période, en fait, et en ce moment, tout va bien. La célébration de notre cinquantième anniversaire nous a remis en selle. Je pense qu'on est meilleurs qu'avant, que le groupe progresse encore. Et ce train en marche, on ne peut pas le stopper. Personne ne peut arrêter les Stones.

    Ron Wood à la basse, Keith Richards à la guitare. (LP/Philippe Lenglin.)

    Il se dit d'ailleurs qu'un nouvel album est en projet...

    Je veux réunir les Stones en studio. Cela fait onze ans qu'on n'a pas fait d'album ! Allez les gars, allons enregistrer, cela va nous faire du bien. Ce ne sont pas les chansons qui manquent. C'est le moindre de nos problèmes. Quand on est dans les Stones, on se sent fort, c'est gratifiant. Je suis très chanceux et reconnaissant d'être un Stone.

    Quand voulez-vous entrer en studio ?

    L'idéal serait après notre tournée en Amérique du Sud, en février et mars prochain. On sera chaud, la machine n'aura pas besoin de lubrifiant. Je vais voir Mick et les autres à Londres lundi (NDLR : il y a une semaine) pour discuter de tout cela. J'utiliserais des explosifs, des prières, je me mettrai à genoux s'il le faut pour les convaincre (rires).

    Est-ce qu'un Stones se tient au courant de la vie du monde, du sort des migrants ?

    Comme tout le monde. C'est terrifiant de voir tous ces gens sur les routes, quittant leur maison, se retrouvant bloqués dans le gare de Budapest. Il faut les aider. Mais malheureusement, je n'ai pas de solution. C'est un problème mondial.

    Pourtant, certains vous auraient bien élu président... (Je lui montre mon tee-shirt, où on le voit dans les années 70 avec l'inscription «Keith Richards for presidentâ??»).

    (Il bondit sur son canapé). Oh ! Le seul gars que j'ai vu avec ce tee-shirt, c'est Johnny Depp à la télé. Président, vous n'y pensez pas. Je ne veux pas le job. J'ai assez de problèmes à régler avec moi-même. Et puis le président de quel pays ? Du monde, à la limite.

    Il est unique, ce tee-shirt !

    Mais je suis unique !

    Le nouvel album solo de Keith Richards, «Crosseyed Heart», sort vendredi. (DR.)