Vingt-trois ans après avoir été licenciés,600 salariés congolais de Comilog, une filiale du groupe minier français Eramet, viennent enfin d’obtenir réparation. La cour d’appel de Paris a reconnu le déni de justice dont ils étaient victimes et a condamné l’entreprise à leur verser des indemnités. Une brèche ouverte dans la reconnaissance de la responsabilité des sociétés mères sur les activités de leurs filiales à l'étranger, alors que laproposition de loi sur le devoir de vigilance des multinationales vient d’être inscrite au Sénat.

"C’est une première judiciaire considérable", se réjouit Marie-Laure Guislain, responsable du contentieux au sein du pôle Globalisation et Droits Humains de l’association Sherpa. Vingt-trois ans après les faits, la Cour d’appel de Paris a condamné le jeudi 10 septembre la société gabonaise Comilog, filiale du groupe minier français Eramet, à verser leurs indemnités à 600 salariés congolais pour la rupture de leurs contrats de travail en octobre 1992.
Les employés travaillaient sur le chemin de fer qui acheminait le manganèse extrait par la Comilog au sud-est du Gabon jusqu’à Pointe-Noire au Congo, port d’exportation. Après un accident survenu en 1991, dans lequel 100 travailleurs ont péri, le Gabon a interdit le transport de ce minerai sur la voie ferrée congolaise et la société, deuxième producteur mondial de manganèse, a décidé de cesser son activité. Elle a licencié 955 salariés, sans préavis ni indemnités. Depuis, ces derniers tentent d’obtenir réparation.
Les travailleurs se sont d’abord tournés vers le tribunal de Pointe-Noire, qu’ils ont saisi en 1992. En vain. En 2003, un protocole d’accord est signé entre le Congo, le Gabon et la Comilog, prévoyant de verser 1,8 million d’euros aux salariés licenciés, mais beaucoup refusent. Ils estiment la somme insuffisante. En 2008, ils font appel à l’association Sherpa pour porter l’affaire devant les juridictions françaises et faire jouer le lien de rattachement entre Comilog et Eramet. Pourtant, à l’époque des faits, Eramet n’avait pas de lien avec la Comilog. Ce n’est qu’en 1995 que la société française entre à son capital (à 46 %). Elle en devient l’actionnaire majoritaire (à 61 %) en 1997. "Ce qui est intéressant c’est que pour établir le lien de rattachement avec la France, les juges se sont basés sur la date de la saisine de la justice française, en 2009", explique Marie-Laure Guislain.

Déni de justice et lien de rattachement à la France actés



La suite est une succession de jugements à rebondissements. Après un premier rejet de la compétence des juridictions françaises par le conseil des Prud’hommes en 2009, puis un appel et un pourvoi en cassation, la Cour d’Appel de Paris se déclare définitivement compétente pour statuer. Et retient l’existence d’un déni de justice : "Une telle situation, contraire au principe selon lequel la justice doit être rendue dans un délai raisonnable, caractérise à l’évidence un déni de justice".
"Ce n’était pas un fondement juridique évident à prouver", explique Marie-Laure Guislain de Sherpa. "C’est donc une décision importante, qui donne espoir aux victimes de crimes économiques ayant tenté d’obtenir justice sur leur territoire sans succès. Mais ce qu’on retient aussi c’est qu’il faudrait élargir le principe des class actions au-delà des consommateurs [les actions collectives ne s’appliquent aujourd’hui qu’à ce type de plaignants, NDLR] puisque 857 dossiers ont dû être constitués. Il faudrait une loi plus générale sur les dommages causés par les multinationales à l’étranger, car il existe des milliers d’autres victimes qui ne remplissent pas les conditions bien spécifiques imposées."
Sur les 857 dossiers déposés auprès de la Cour d’appel de Paris, 600 ont obtenu gain de cause. "Il s’agit des salariés qui ont pu prouver qu’ils avaient bien saisi le tribunal de Pointe-Noire, sans quoi le déni de justice ne peut être constitué" commente Eric Moutet,  l’avocat de Sherpa dans cette affaire. "Chaque salarié va recevoir entre 25 000 et 30 000 euros. Une goutte d’eau par rapport aux bénéfices engrangés par Eramet via la Comilog". D’autant que l’ensemble des dommages a été estimé par l’association à 60 millions d’euros.

Un mouvement qui prend de l’ampleur



Cette décision s’inscrit dans une tendance plus large qui, depuis plusieurs années, tente de durcir la réglementation sur la responsabilité des sociétés mères vis-à-vis de l’activité de leurs filiales à l’étranger. "Nous saluons le courage des juges, qui sont allés à l’encontre de l’avis du ministère public. Cela envoie un message positif et montre que la France est soucieuse de donner à ces victimes de crimes économiques accès à la justice. Il y a un terreau fertile pour avancer sur ces questions. La cour d’appel de Paris s’inscrit dans ce mouvement", estime Marie-Laure Guislain de Sherpa.
En France, pour l’instant, c’est la "soft law" qui prévaut, s’appuyant sur les principes directeurs des Nations-Unies et de l’OCDE, et la bonne volonté des entreprises dans leur mise en œuvre. La proposition de loi sur le devoir de vigilance des multinationales est en cours d’examen. Après moult rebondissements, une version édulcorée a été votée au printemps dernier par l’Assemblée nationale. Et elle vient d’être inscrite au Sénat par un groupe d’élus socialistes pour une lecture espérée entre mi-octobre et mi-novembre, selon les informations d’Amnesty International.
Sur le plan international, un traité est en cours de négociation à l’ONU en vue de l’instauration de normes légalement contraignantes pour les entreprises transnationales sur la question des droits humains. "Le nombre sans cesse croissant de violations des droits humains perpétrées directement par les multinationales, ou en leur nom, prouve que les normes volontaires sont absolument insuffisantes ou carrément inadéquates, et qu’on ne peut pas faire confiance aux multinationales pour s’autoréguler" réagit Juliette Renaud, chargée de campagne sur les Industries extractives et la RSE aux Amis de la Terre. Un groupe de travail intergouvernemental planche sur la question depuis juin 2014 et se réunit une fois par an. L’objectif est d’arriver à un projet de texte en 2017.

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