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L'Afrique sera-t-elle le nouvel atelier textile du monde ?

Who's Next septembre 2015
Le stand Maison Château Rouge au salon Who's Next. (Paris, septembre 2015.) Photo Stéphanie O'Brien

Plébiscitée par la rue, la tendance afropolitaine a été identifiée par le salon Who's Next comme l'un des trois indispensables de l'été 2016. Mais derrière cette mode colorée se cache un enjeu de taille pour le continent. L'Afrique est-elle le nouvel atelier du monde ou simplement une destination de choix pour qui cherche des fournisseurs? L'analyse de quatre professionnels du made in Africa.

L'Afrique sans H&M, c'était avant. Depuis août 2013, le géant suédois qui s'approvisionne à 80% en Asie a lancé plusieurs commandes test auprès de fournisseurs basés en Éthiopie. Dès lors, tous les regards se tournent vers le pays de la Reine de Saba. Coût du travail très bas, proximité des marchés européens, production de coton de qualité, savoir-faire locaux... l'Afrique dans son ensemble ne manque pas d'arguments. Et ce nouvel attrait se traduit déjà dans les chiffres : 128 milliards de dollars d'investissements étrangers enregistrés en 2014, soit une hausse de 136% (1) sur un an. Historiquement concentrée en Tunisie et au Maroc, l'industrie du textile migre vers la corne de l'Afrique, Addis-Abeba en tête.

Gagner la confiance des partenaires africains

Pour Johan Lequien, co-animateur de la conférence "L'Afrique est-elle le nouvel atelier du monde ou une simple destination de sourcing (le fait de trouver de nouvelles sources d'approvisionnements, NDLR.) ?", "L'Éthiopie est un pays stable dont le gouvernement favorise les investissements étrangers. Le Kenya est quant à lui intéressant pour la qualité de son coton et pour le sourcing textile, tout comme la Tanzanie, où les salaires sont très bas. Il existe aussi des accords commerciaux appelés A.F.T.Z. (African Free Trade Zone), qui favorisent les échanges entre les pays", explique ce Français originaire du Nord qui a travaillé en Afrique pendant des années. Cofondateur de la marque Caran avec sa femme Charlène Taty Menzène, il met aujourd'hui son expérience aux services de futurs investisseurs. "Rassurez-vous, il existe des structures pour accompagner les entreprises. Le plus difficile et le plus important, c'est de créer un rapport de confiance avec les partenaires africains." Cette mise en garde revient régulièrement dans les conversations lorsque l'on interroge les entrepreneurs qui ont tenté l'aventure africaine.

Problème d'approvisionnement, respect des normes de fabrication et des délais de livraison, régularité dans le travail, "tout doit être contrôlé. Il ne faut rien laisser au hasard, il faut quelqu'un sur place pour tout superviser," conseille Moulaye Taboure, cofondateur de l'e-boutique Afrikrea. Première plateforme francophone dédiée à la création africaine, Afrikrea propose 3 000 références de mode, d'accessoires et de déco réalisées par 300 créateurs différents. Présentée au salon Who's Next, Afrikrea entre dans la cour des professionnels et compte bien séduire les acheteurs avec ses best-sellers. "Pour les 15 créateurs que nous avons présentés, cinquante commandes sont en cours. Nature & Découvertes par exemple devrait confirmer la commande de 5 000 capes et sacs à la créatrice Bazara'Pagne. Le premier bilan est plutôt positif", précise l'entrepreneur.

Confiant mais réaliste, il tient à rappeler aux participants de la conférence certains principes. " Il faut construire une relation gagnant-gagnant et définir une politique salariale juste avec les partenaires. En Afrique, un salaire fait vivre toute une famille et parfois tout un village. Surtout si les employés sont des femmes."

Inspiration afropolitaine au salon Who's Next 2015

La tendance afropolitaine au salon Who's Next 2015

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Ne pas reproduire le drame du Rana Plaza

Une réalité socio-économique que Jean-Luc François défend via l'association qui porte son nom. Également styliste, ce spécialiste des métiers d'art et de la formation a travaillé plusieurs années en Chine ainsi que dans un centre de formation à la couture au Cambodge. "Je n'aimerais pas que l'on reproduise dans les pays africains le modèle asiatique et notamment celui du Bangladesh". Une allusion transparente au drame du Rana Plaza qui a coûté la vie à 1 200 personnes en avril 2013 et créé une onde de choc dans le monde entier. "Il faut rester très prudents vis-à-vis de ces entreprises qui passent d'un pays à l'autre pour leur sourcing. Elles cherchent à gagner toujours plus en produisant toujours moins cher. Lorsqu'une très grande entreprise s'installe dans un pays en voie de développement, cela engendre des tas de nouveaux problèmes comme l'appauvrissement des terres, l'expropriation, l'apparition des traffics de drogue et la prostitution. Au final, les pays et les habitants ne sont pas toujours gagnants", explique Jean-Luc François.

Si tous les participants de cette table ronde s'accordent sur le fait que l'Afrique est un nouvel eldorado, tous en appellent également aux gouvernements dont la responsabilité est de développer l'économie tout en protégeant la population. Entre les drames humains et un nouveau pillage de ses richesses, l'Afrique doit réussir à imposer ses conditions pour que l'embellie annoncée soit durable. Charge à nous, consommateurs, de nous montrer plus responsables.

(1) Selon l'étude "Africa Attractiveness Survey - Making Choices" du cabinet Ernst & Young publiée le 2 juin 2015.

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