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Yoann Gourcuff, label indifférent

L'ex-futur Zidane a signé à Rennes. Retour sur le parcours d'un incompris.
par Grégory Schneider
publié le 14 septembre 2015 à 18h58

On y est. Yoann Gourcuff, le footballeur chômeur le plus célèbre de l'Hexagone, a signé dans le club de ses débuts, le Stade rennais. Il sera présenté mardi à la Piverdière, le centre d'entraînement de l'actuel 2e de Ligue 1, en pleine bourre après son succès dimanche (2-0) à Nantes dans le toujours sensible derby breton. Gourcuff arrive blessé : on ne sait quand il sera opérationnel.

Le deal était acté depuis des semaines. Mais alors, pourquoi Gourcuff a-t-il signé si tard ? Philippe Montanier, le coach rennais, s'est exprimé là-dessus jeudi : «Lui, il fait une fixation : "Je veux être à 100% pour revenir, je ne veux pas trahir le club." C'est intègre, honnête, je le crois sincère. Mais moi, je pense qu'il ne peut pas y arriver tout seul. Tu ne peux pas être dans ton coin à faire un peu de vélo, un peu de piscine, et revenir à 100%. J'ai envie qu'on l'aide, et aussi qu'il nous aide.» Son ex-coéquipier et ami à Rennes, Jimmy Briand : «Je l'ai eu presque tous les jours au téléphone, je sais un petit peu. Je pense qu'il voulait retrouver une santé physique.» En cause : une blessure aux sésamoïdes, deux petits os sous la tête du premier métatarse.

La énième blessure – plus d’une vingtaine, souvent concentrées sur la cheville droite et l’adducteur gauche – depuis son arrivée à Lyon en août 2010, sur les brisées d’une Coupe du monde sud-africaine hallucinée. Au vrai, le décompte est compliqué, d’une part à cause du secret médical, d’autre part parce que Gourcuff a toujours eu une propension à se soigner hors du contrôle des médecins d’un club qui le payait plus de 6 millions d’euros annuels. Ces toubibs ont du reste parfois mis en cause la réalité des susdites blessures, rejoints par certains coéquipiers du joueur : Gourcuff n’ayant aucune chance d’être un tire-au-flanc (il adore le foot), ces soupçons disent d’une part un état d’esprit, d’autre part la perception très particulière qu’a l’intéressé de son talent et des conditions dans lesquelles il l’exerce.

Taxé d'ingratitude

Certains observateurs de sa période lyonnaise ont lu un certain machiavélisme dans les attitudes du gaillard, celui-ci ayant il est vrai pris le parti de ne jamais se justifier – ni devant des médias à qui il ne parle jamais, ni devant son coach, ni dans le vestiaire. Il nous semble qu’il s’agit d’autre chose. Un jour de 2009, alors que Gourcuff explosait à Bordeaux, un confrère l’a innocemment entretenu de son intérêt pour l’opéra, le joueur ayant été vu quelques jours plus tôt à une représentation : il a complètement paniqué, effrayé par l’idée même de voir la chose basculer dans le domaine public.

Dans le même ordre d’idée, le Morbihanais de naissance s’est fait ouvrir un soir le premier étage désert d’un bar où il avait ses habitudes pour suivre un match de Ligue des champions à la télé. Le taulier a refermé la porte derrière lui. Dix minutes plus tard, Gourcuff a déboulé furieux, expliquant être pris pour cible par des paparazzis en planque dans l’immeuble en face. Celui-ci était pourtant désert. Gourcuff avait pris le radar flashant les automobilistes pour le mitraillage des photographes.

En gros, le milieu décrit un type à la fois indifférent, voire ingrat – le regretté Tiburce Darou, préparateur physique qui s’était beaucoup employé pour le retaper, n’a plus eu de nouvelle du jour au lendemain – et plus que méfiant envers tout ce qui touche au monde du foot. Ses coéquipiers compris : trois semaines avant le Mondial 2010, son capitaine, Patrice Evra, avait raconté devant une presse ahurie qu’il n’avait pas le pouvoir de lui adresser directement la parole, le truc consistant dès lors à passer par Jérémy Toulalan ou Hugo Lloris – les seuls à avoir la confiance de Gourcuff.

Rumeurs sans fondement

On a raconté beaucoup de chose sur Gourcuff dans l’ambiance parfois surréaliste de Knysna, cette année zéro du foot français – la grève du bus, etc. Franck Ribéry, auquel une partie de la presse prêtait des intentions quelque peu sadiques envers le Breton, en a longtemps voulu à Gourcuff de ne jamais avoir publiquement démenti les bruits concernant leurs relations prétendument conflictuelles. On sait aussi que Ribéry, Anelka et pas mal d’autres étaient rétifs à la présence de Gourcuff chez les Bleus : rien de personnel selon eux, mais le sentiment que le joueur n’avait pas le talent que les médias lui accordaient.

Il s’est même trouvé un joueur – gréviste sud-africain – pour nous expliquer qu’aux yeux de la superstructure tricolore, cette bulle médiatique était liée au physique avantageux de Gourcuff, voire à son côté «France profonde» – on imagine sans peine où le joueur voulait en venir. Le natif de Ploemeur (Morbihan) a donc dû parfois se débattre dans un contexte parfois malsain : peu de footballeurs ont ainsi fait l’objet d’autant de rumeurs sans fondement que lui, parfois véhiculées par l’un de ses concurrents au poste en club, parfois par un dirigeant cherchant à fracturer plus avant un vestiaire tricolore en pleine ébullition sud-africaine. Le silence où Gourcuff s’est emmuré depuis longtemps n’a rien arrangé. Aux yeux des dirigeants rennais, un milieu de terrain à 31 sélections de son niveau – quand Gourcuff est en état de jouer – est bien entendu une prise de guerre exceptionnelle, voire inespérée. Gourcuff arrive dans un vestiaire où il est la vedette indiscutée, ce qui devrait lui éviter un certain nombre de misères passées. Après, on n’est pas sûr de grand-chose quand même.

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