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L’éducation nationale se mobilise pour la scolarisation des jeunes migrants

Selon les estimations ministérielles, entre 8 000 et 10 000 élèves nouvellement arrivés et ne parlant pas le français pourraient être scolarisés en deux ans.

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Publié le 14 septembre 2015 à 13h26, modifié le 14 septembre 2015 à 20h53

Temps de Lecture 5 min.

Dans une classe de CM1 à Aytré (Charente-Maritime), le 1er septembre.

« C’est un peu comme un voyage sur place », confie Vanda Derkac en se glissant entre les rangées d’élèves. Dans la classe sur laquelle cette enseignante de français langue étrangère (« FLE », dans le jargon de l’école) veille le temps d’une matinée, ce vendredi de septembre, les langues autant que les voix se mêlent : au premier rang, si l’anglais et le chinois dominent, l’hindi et le serbe se devinent. A droite, c’est en arabe que les adolescents chuchotent ; à gauche, ils parlent le russe ou l’italien ; un peu plus loin le coréen…

Une classe d’un jour : dans des locaux du rectorat de Paris, à deux pas de la porte des Lilas (Paris-20e), une quarantaine d’adolescents se succèdent chaque matin, depuis la rentrée. Des jeunes que l’éducation nationale qualifie, dans sa novlangue, d’« élèves allophones nouvellement arrivés » – autrement dit, des élèves parlant une autre langue que le français. C’est eux que la ministre de l’éducation, Najat Vallaud-Belkacem, vient rencontrer ce lundi 21 septembre.

Ils ont entre 10 et 18 ans et viennent y chercher leur sésame : soit une place dans une classe « ordinaire », soit un accueil dans une « unité pédagogique pour élève allophone arrivant » (UPE2A), sorte de « sas » temporaire en collège-lycée où l’accent sera mis, entre autres, sur l’apprentissage du français, avant l’intégration espérée dans le cursus classique.

« Quelques-uns viennent de milieux aisés, beaucoup connaissent la précarité. Tous attendent énormément de l’école »

Tout dépendra de leur niveau, évalué au cas par cas au rectorat. « C’est peu dire qu’il est divers, témoigne Arthur Derviso, l’un des huit enseignants qui, avec Vanda Derkac, fait passer des tests en français, en maths et d’expression orale. Certains jeunes peuvent avoir un très bon niveau scolaire mais ne pas du tout parler le français ; d’autres n’ont jamais mis les pieds à l’école, même dans leur pays d’origine. Quelques-uns viennent de milieux aisés, beaucoup connaissent la précarité. Tous attendent énormément de l’école… Cela fait la richesse de nos classes », souligne-t-il, lui qui enseigne, le reste du temps, dans une UPE2A d’un lycée du 13e arrondissement.

Quelque 50 écoles primaires de Paris en sont actuellement dotées, comme 75 collèges et lycées. Et plus, si besoin, dans les semaines qui viennent, assure-t-on tant du côté de la Ville de Paris que du rectorat, où l’on a procédé, une semaine après l’annonce de l’accueil de 24 000 migrants en deux ans, au recensement des lieux et places disponibles. Avec, dit-on dans l’entourage de la maire PS Anne Hidalgo, « au moins une classe en réserve » au primaire dans chaque arrondissement, et 45 possibilités d’ouverture en collège.

« Une hausse annuelle de 10 %, cela rien d’inatteignable »

A l’échelle nationale, aussi, l’éducation nationale a sonné la mobilisation générale : c’est en tout cas le message martelé rue de Grenelle. Selon les estimations ministérielles, entre 8 000 et 10 000 enfants et adolescents pourraient être accueillis en deux ans. « 4 500 en moyenne chaque année, rapportés aux 45 000 élèves allophones que nous scolarisons déjà, ça représente une hausse annuelle de 10 %… et cela rien d’inatteignable », souligne-t-on dans l’entourage de la ministre de l’éducation.

« Ne rêvons pas, on ne sauvera pas des classes rurales en y envoyant des enfants de migrants »

La phase d’ajustement de la « carte scolaire » qui suit chaque rentrée, et qui se solde par d’ultimes ouvertures et fermetures de classes en septembre, ne rend-elle pas l’exercice périlleux ? « Les communes rurales voient dans l’accueil de ces enfants réfugiés une opportunité, [elles qui] voient fermer leurs classes à cause de la baisse du nombre d’élèves », a affirmé Najat Vallaud-Belkacem dimanche 13 septembre, sur France 3.

Son cabinet apporte quelques nuances : « Ne rêvons pas, on ne sauvera pas des classes rurales en y envoyant des enfants de migrants. Mais on trouvera les moyens pour scolariser les enfants au plus près de leurs lieux d’hébergement… quitte à y envoyer, dans un premier temps, des antennes mobiles » – ces camions-école qui, d’ordinaire, prennent en charge les enfants roms et de la communauté des gens du voyage.

Non sans difficulté, rappelle-t-on dans les milieux associatifs : près de la moitié des enfants vivant dans des squats, bidonvilles et autres campements ne sont pas scolarisés aujourd’hui, estime-t-on. « En dépit des efforts de l’éducation nationale, les réticences d’acteurs locaux perdurent, regrette Nathalie Serruques, responsable de la mission enfance de l’Unicef France. Gardons-nous des interprétations manichéennes – les difficultés viennent aussi des familles et de leur extrême précarité. Mais on ne peut pas ignorer que des municipalités, obligées – en droit – de délivrer les certificats d’inscription à l’école, ne le font pas. La peur d’être engorgé existe, conclut Mme Serruques, en particulier dans les petites villes ».

Mais pas seulement, comme le montrent les polémiques récurrentes en matière de scolarisation entretenues à Béziers (73 000 habitants) par le maire Robert Ménard, élu grâce au Front national. Après celle sur le « fichage » des enfants musulmans au printemps, l’élu a refait parler de lui le 9 septembre en publiant, en « une » de son bulletin municipal, une photo – retouchée – de migrants montant à bord d’un train. En guise de titre : « Ils arrivent ! », puis « Béziers 3 865 km… Scolarité gratuite, hébergement et allocation pour tous ».

« De la parole aux actes »

Les enseignants, eux, n’entendent pas alimenter les polémiques. Pour les syndicats, une seule priorité : anticiper l’arrivée d’élèves. « On nous parle sans cesse d’une école mobilisée pour la défense des valeurs de la République, observe Sébastien Sihr, du SNUipp-FSU, majoritaire au primaire. Voyons aujourd’hui si l’on est prêt à passer de la parole aux actes ». D’autant que « l’accueil peut se faire assez naturellement, selon Christian Chevalier, du SE-UNSA, surtout si l’hébergement est bien réparti, en s’appuyant et en redéployant les ressources dont l’éducation nationale dispose déjà ». A commencer par les professeurs de « FLE » et les centres « CASNAV » – acronyme renvoyant aux « centres pour la scolarisation des nouveaux arrivants et des enfants du voyage » – dont chaque académie est dotée.

« Les petits Syriens, ça fait quatre ans qu’on les reçoit sans que les politiques en fassent grand bruit »

Au CASNAV de Paris, l’équipe de huit enseignants, pas vraiment habituée à être au centre de l’attention politico-médiatique, confie quelques regrets. « C’est quand même malheureux qu’il ait fallu cette mobilisation autour du petit Aylan pour qu’on vienne se pencher sur nos pratiques et pour qu’on porte de l’intérêt à nos élèves », témoigne Angèle Prévôt, qui enseigne, le reste du temps, dans une UPE2A du 19e arrondissement parisien d’un type un peu particulier, puisqu’elle n’accueille que des jeunes n’ayant jamais été scolarisés.

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Ce n’est pas le cas des enfants originaires de Syrie, dont tous les enseignants reconnaissent, ici, un niveau « généralement élevé ». « Les petits Syriens, ça fait quatre ans qu’on les reçoit sans que les politiques en fassent grand bruit, lâche Vanda Derkac. L’effet d’annonce m’inquiète un peu, mais s’il permet de changer le regard sur les primo-arrivants, de montrer que l’intégration par l’école se fait déjà, alors pourquoi pas ! »

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