Peut-on nommer un ancien banquier – fût-il ancien haut fonctionnaire reconverti dans la banque –, à la tête de la Banque de France, institution indépendante dotée de missions d’intérêt général ?
« Non », répondent sans détour près de cent cinquante économistes et universitaires réputés – du très en vue Thomas Piketty au très discret François Bourguignon de l’Ecole d’économie de Paris –, dans une tribune commune, publiée mardi 15 septembre dans Le Monde, s’opposant à la désignation de François Villeroy de Galhau comme prochain gouverneur de la banque centrale française.
Aujourd’hui âgé de 56 ans, cet ancien directeur de cabinet de Dominique Strauss-Kahn (DSK) à Bercy a été officiellement choisi par François Hollande, le 8 septembre, pour succéder à Christian Noyer au sommet de l’une des plus prestigieuses institutions de la République, à compter du 31 octobre.
Brillant énarque passé par l’Inspection des finances, ce vieux compagnon de route de la gauche a rejoint le privé en 2003 et opté pour une carrière de banquier chez BNP Paribas. Il en était le directeur général délégué jusqu’en avril.
Alors que ce choix doit encore être validé, le 29 septembre, par les commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, les signataires de cette lettre ouverte appellent les parlementaires à rejeter « le choix du président ».
De leur point de vue, si les qualités du candidat présenté par le chef de l’Etat sont incontestables, son passé de banquier privé le disqualifie pour cette institution chargée de tout à la fois de superviser le secteur bancaire français en coordination avec la Banque centrale européenne (BCE) et d’appliquer en France la politique monétaire décidée à Francfort. Ce passé, estiment-ils, l’expose « à un grave problème de conflit d’intérêts ».
« Expert mais pas indépendant »
A l’origine de cet « appel des 150 » aux côtés de Laurence Scialom, professeur à Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, et Anne-Laure Delatte, chargée de recherches au CNRS, Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, justifie la démarche : « Ce n’est pas une attaque ad hominem, affirme-t-elle, mais une tribune fondée sur des principes. M.Villeroy de Galhau coche la case de l’expertise pas celle de l’indépendance. »
« On ne peut pas laisser la finance dicter ses choix aux politiques et placer à la tête d’une Banque centrale ou d’une autorité de supervision une personnalité issue du secteur bancaire, argue-t-elle. Cela forge un état d’esprit et conduit à appréhender les évolutions du secteur bancaire avec un certain biais. »
Laurence Scialom renchérit : « François Villeroy de Galhau a défendu les intérêts des banques et de BNP Paribas pendant douze ans. Comment pourrait-il changer subitement ses positions pour incarner l’intérêt général ? L’indépendance ne souffre aucun doute. »
Son analyse est partagée par l’économiste Jean-Paul Pollin, professeur à l’université d’Orléans : « Le gouverneur de la Banque de France ne doit pas seulement être indépendant du pouvoir politique mais aussi du lobby bancaire. Or François Villeroy de Galhau serait l’envoyé de BNP Paribas à la banque centrale. Quand bien même il aurait des convictions et donnerait des garanties, la suspicion sera là. »
Comme ses cosignataires – dont beaucoup soutiennent le challenger du poste Benoît Cœuré, actuel bras droit de Mario Draghi à la BCE et économiste de formation – l’universitaire eut préféré un économiste pour diriger la Banque centrale. « Il faut songer à Greenspan ou à Bernanke, ces anciens présidents emblématiques de la Réserve fédérale américaine. Si les Etats-Unis, le Canada, l’Allemagne, vont chercher des économistes professionnels, parfois des prix Nobel, pour diriger les banques centrales, c’est que cela doit servir, argumente-t-il. La France est le seul pays à considérer que l’ENA constitue la voie royale pour faire de l’économie. »
« Archétype même du haut fonctionnaire »
Face à la polémique, toutefois, les nombreux soutiens de François Villeroy de Galhau restent droits dans leurs bottes et convaincus de tenir là le meilleur candidat pour le fauteuil de gouverneur de la Banque de France. Parmi leurs arguments clés figurent les récentes évolutions statutaires attachées à la fonction, et notamment le transfert, auprès de la BCE, depuis novembre 2014, de la supervision des grandes banques européennes, dont BNP Paribas. Exit donc, soulignent-ils, le risque de conflit d’intérêts.
Ainsi, Michel Camdessus, ancien directeur général du Fonds monétaire international (FMI) et ancien gouverneur de la Banque de France, se dit-il persuadé que « le Président de la République a fait un très bon choix ». « François Villeroy de Galhau a toutes les qualités requises, soutient-il, une extraordinaire droiture, une grande intégrité morale, des compétences techniques, le sens de l’Etat et du service public, qu’il a servi pendant vingt ans. Il a honoré la fonction publique. C’est l’archétype même du haut fonctionnaire que le reste du monde nous envie. »
Pour l’ex-banquier central, les opposants à sa nomination commettent « de lourdes erreurs de raisonnement », se trompant « sur le fonctionnement institutionnel, sur le job de gouverneur de Banque centrale et sur la personne ».
« La responsabilité du contrôle prudentiel qui exposerait un gouverneur peu scrupuleux à des conflits d’intérêt a disparu. Le job a été transféré à Francfort », explique notamment Michel Camdessus.
De son côté, Nicole Notat, présidente-fondatrice de Vigeo, société spécialisée dans la notation de la responsabilité sociale des organisations, apporte son soutien à la candidature de l’ex-collaborateur de DSK : « Il est légitime que les gens se posent des questions. Mais il n’y a pas d’opposition de principe à cette nomination, estime-t-elle. Connaissant François Villeroy de Galhau, je n’imagine pas un seul instant qu’il n’ait pas bordé la question de son indépendance. Il se fera fort de démontrer qu’il est libre d’intérêts. Je l’ai vu faire au ministère de l’économie puis chez BNP Paribas où il a donné corps au concept de banque responsable, sur l’octroi de crédits ou la gestion des ressources humaines. Il a l’éthique chevillée au corps. »
Le « verdict » sera rendu le 29 septembre.
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