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EnquêteQuotidien

On a cherché la contraception écolo - et on l’a presque trouvée

Entre impact sur l’environnement, questions autour de la pilule, liberté de choix et égalité des sexes, il n’est pas facile de choisir sa contraception. Elle est un des casse-têtes du bon écolo. Reporterre essaye de le résoudre. Une conclusion : « Soyez expert(e) de votre propre corps ». Enquête.

On pourrait classer la contraception parmi les casse-têtes du bon écolo. Dans le désordre, voici un échantillon des questions que l’on se pose, rien qu’à la rédaction de Reporterre : la pilule et les autres contraceptions à base d’hormones polluent-elles l’environnement ? Quel effet ces hormones de synthèse ont-elles à long terme sur la santé, la fertilité, le corps en général ? Quelles sont les alternatives aux hormones ? Pourquoi pas un DIU (dispositif intra-utérin, ou stérilet) au cuivre ? Que valent les méthodes dites « naturelles » ? Et pourquoi les hommes ne participent-ils pas davantage à tout cela ?

A beaucoup de ces questions, nous n’avons pas trouvé de réponses figées, certaines et indiscutables. Vous voici prévenu(e)s. Ici, pas de prescription autoritaire du gynéco, mais quelques précieux éléments d’information et de réflexion pour aider les femmes et les hommes à faire leur choix.

La pilule (et les hormones de synthèse), est-ce que ça pollue ?

C’est une rumeur persistante sur le net (ici ou ici par exemple) : les hormones de synthèse contenues dans la pilule passent dans nos urines, puis dans les rivières, et enfin féminisent les poissons, mettant en danger leur reproduction et donc leur survie.

« J’aurais tendance à sourire de ces affirmations, commence Danielle Gaudry, gynécologue membre du Planning familial. Mais dans le même temps, je n’ai pas les éléments pour répondre. » Alors, est-ce une chimère inventée par les lobbys religieux pour nous dégoûter de la contraception ? Ou y a-t-il un fond de vrai dans ces inquiétudes ?

En France, selon l’Institut national d’études démographiques, 41 % des femmes utilisent la pilule comme méthode de contraception. Si l’on ajoute les autres méthodes à base d’hormones de synthèse, type patch, anneau vaginal et implant (toutes les méthodes contraceptives sont décrites ici), on constate que presque la moitié des femmes en France utilisent une contraception hormonale.

« La plupart utilisent une hormone de synthèse assez puissante, l’éthinylestradiol. L’effet des rejets de ces contraceptions est une vraie question. Mais il y a dans l’environnement tellement d’autres produits ayant les même effets – pesticides, bisphénol A, shampooings, déodorants, parabens – qu’il est difficile de distinguer quelle est la part de la pilule là-dedans, avance le gynécologue et endocrinologue Patrick Fénichel. En revanche, on est certain d’une chose, c’est que si on est prêt à en payer le prix, les stations d’épuration savent traiter ces hormones et éviter leur rejet dans l’environnement. Mais il semble que ce ne soit pas fait tout le temps. »

« Quand on prend un organisme sauvage et qu’on l’expose à des hormones, il peut y avoir des effets, explique Wilfried Sanchez, écotoxicologue et directeur de la Fondation de coopération scientifique Rovaltain. Cela dépend de la durée d’exposition, de la dose et de la période de la vie de l’organisme », telle que période de croissance ou de reproduction. Il cite notamment une étude canadienne dans laquelle les scientifiques ont volontairement contaminé un lac expérimental avec des hormones féminines de synthèse pendant plusieurs années. « Les chercheurs ont constaté une féminisation croissante des poissons, puis une extinction de la population de poissons au bout de huit ans », résume-t-il.

Ceci était une expérience. Et dans la nature ? Wilfried Sanchez a étudié les rejets hormonaux d’une usine Sanofi dans le Puy-de-Dôme. Des malformations sexuelles et un déclin de la population de poissons sont observés dans le cours d’eau voisin. « Mais c’était un cas particulier », tempère le scientifique. Reste que l’affaire nous rappelle que les contraceptifs hormonaux sont fabriqués dans les usines de l’industrie pharmaceutique, et donc peuvent être source de pollution dès leur fabrication.

Ces hormones de synthèse ont-elles des effets sur la santé ?

La petite dose quotidienne d’hormones (hormis pendant la période des règles), qui endort notre cycle naturel, peut-elle à la longue nous détraquer ? L’internet là aussi joue à nous faire peur, notamment si l’on tombe sur une interview du professeur Henri Joyeux, auteur d’un livre co-signé avec le journaliste Dominique Vialard, et intitulé La pilule contraceptive : dangers, alternatives. Selon l’ouvrage, les contraceptions hormonales augmenteraient les risques de cancers dits « hormonaux-dépendants » (ovaires, seins, utérus). Elles contribueraient également à augmenter l’infertilité des couples.

Autant d’affirmations balayées par la grande majorité des gynécologues. « La pilule ne diminue pas la fertilité des femmes, assure Patrick Fénichel. Côté cancers, aucune étude ne prouve qu’elle augmente les risques de cancer du sein et elle pourrait même diminuer celui de cancers de l’ovaire. »

Cependant, « il ne faut pas oublier que pilule et tabac font mauvais ménage », ajoute le médecin. Associer les deux consommations multiplie les risques cardio-vasculaires, et augmente les risques de cancer du col de l’utérus chez les fumeuses. « Sinon, le gros risque est celui de thrombose veineuse, il faut donc éviter de donner la pilule aux 2 % de femmes qui ont un terrain favorable », continue le docteur. C’est ce qu’avait mis en évidence la « crise de la pilule », déclenchée par un article du Monde en décembre 2012.

Pourquoi les gynécos s’obstinent-ils à nous prescrire la pilule ?

Allez faire un tour sur le site officiel de l’INPES (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé), vous trouverez sans doute une méthode de contraception dont vous ignoriez l’existence. Et encore, le site ne les recense pas toutes. Malgré la diversité des méthodes, rares sont les gynécologues qui en font spontanément une présentation exhaustive. La pilule est souvent la première contraception proposée aux jeunes filles. Et quand on vient expliquer que l’on n’a pas envie de polluer, ou de participer au financement de l’industrie pharmaceutique (quelques arguments ici), le médecin nous regarde avec perplexité...

Les gynécos sont-ils sous l’influence des laboratoires pharmaceutiques ? Les contraceptions hormonales coûtent plus cher qu’un DIU au cuivre qui coûte environ 30 euros et dure des années (étude ici).

Le gynécologue et écrivain Martin Winckler, connu pour être critique de sa profession, voit dans cette « attitude tout pilule » une conséquence de la formation des médecins financée par l’industrie pharmaceutique, mais pas seulement, explique-t-il sur son blog : « Formation non scientifique, manque de respect, ignorance des besoins des patientes, réticence à s’engager à leurs côtés, refus de partager le savoir (et, pour le partager efficacement, de le mettre à jour quotidiennement).

S’ils prescrivent des pilules plutôt que des DIU ou des implants, c’est à la fois parce qu’ils n’y connaissent rien, parce qu’ils ne cherchent pas à rendre service, et parce que les efforts que ça nécessite (poser un DIU, poser et retirer un implant, ça prend un peu plus de temps que marquer ’pilule’ sur une ordonnance) les fatiguent. Ils ne voient pas l’intérêt pour eux ; alors, pourquoi satisfaire les femmes, franchement ? »

Des travers que tentent d’éviter les consultations collectives au Planning familial. « On essaye d’énoncer toutes les méthodes, raconte Danielle Gaudry. Quand une femme nous dit qu’elle préfère une méthode qui ne met pas en jeu de produits chimiques, on n’a pas de jugement à avoir. On a toujours défendu au niveau du planning le fait que les femmes se réapproprient leur corps et fassent leur choix personnel par rapport aux informations qu’elles ont, leur histoire, leur sexualité. Chacun doit réfléchir avec ses propres données, on doit être expert de son propre corps. Aucune méthode ne doit être imposée. »

Si je ne veux pas d’hormones, quelles sont les alternatives ?

Cela a été l’un des effets de cette « crise de la pilule » : la diversification des méthodes de contraception. « C’est vrai qu’après cette polémique, j’ai observé des changements, confirme Béatrice Guigues, vice-présidente du Collège national des gynécologues et obstétriciens français. On a des jeunes qui arrivent et qui demandent un stérilet, ou nous parlent des méthodes dites ‘naturelles’. » Danielle Gaudry, au Planning, confirme : « Beaucoup de femmes, pour sentir à nouveau leur cycle naturel, ne veulent plus d’hormones. »

Un sentiment vérifié par l’INED qui constate que l’usage de la pilule comme moyen de contraception a baissé de 50 % à 41 % entre 2010 et fin 2013. « Si la pilule reste aujourd’hui encore la méthode de contraception la plus utilisée en France, les pratiques contraceptives apparaissent désormais beaucoup plus diversifiées », constatent les auteurs de cette note.

Parmi les contraceptions légèrement en hausse selon l’étude, les DIUs (au cuivre ou hormonaux), les préservatifs masculins ou féminins, les méthodes dites « locales » comme le diaphragme ou la cape cervicale (protections que l’on place au fond du vagin pour empêcher le passage des spermatozoïdes), la méthode du retrait, ainsi que les méthodes dites « naturelles » - on y revient ci-dessous.

En revanche, la stérilisation (masculine ou féminine) ne remporte pas plus de succès qu’avant. Certains préjugés ont la vie dure, notamment chez les médecins qui restent nombreux à refuser d’effectuer des stérilisations.

Image (capture d’écran) du film de Woody Allen « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe... sans jamais oser le demander ! »

Les méthodes « naturelles », est-ce que ça marche ?

Voilà encore un sujet qui peut faire grincer les dents de certains gynécos. Le terme regroupe les méthodes qui permettent de déterminer les périodes de fécondité, afin de se protéger ou de s’abstenir de rapports sexuels pendant ces moments-là. C’est par exemple la méthode des températures ou la méthode Billings, qui s’appuie sur l’observation de la glaire cervicale.

Emilie Blanc est formatrice pour cette méthode « symptothermique », promue par une fondation Suisse. Elle y est venue après avoir tenté la pilule et le stérilet : elle n’a jamais supporté aucun des deux. « Mais ma gynéco m’a fermé la porte au nez », raconte-t-elle.

La méthode symptothermique combine l’observation des températures et celle de la glaire cervicale et du « ressenti interne ». Emilie s’est formée auprès de la fondation, et a « observé » pendant un an et demi. Maîtriser la méthode demande de très bien connaître le cycle féminin, mais aussi un « recentrage sur soi pour aller à la rencontre de sa sphère intime, raconte la jeune fille, qui reconnaît que la méthode ne convient pas à toutes les femmes. Une fois que l’on maîtrise tout cela, on est capable de déterminer sa période d’ovulation, la méthode est aussi fiable que la pilule », assure-t-elle. Elle se félicite d’avoir retrouvé le fonctionnement naturel de son corps, alors que les hormones de synthèse « endorment la sphère gynécologique ».

Seul problème, « les médecins ne sont pas du tout informés sur ces questions, assure-t-elle. Quand j’ai dit au mien que j’utilise une méthode de contraception naturelle, il m’a demandé si j’étais prête à être enceinte... »

Qu’en pense-t-on au Planning familial ? « Quand une femme est intéressée, on lui explique les inconvénients et les avantages, explique Danielle Gaudry, qui avoue ne pas connaître la méthode symptothermique. Par exemple, avec la méthode des températures, si vous ne la prenez pas exactement au lever, vous pouvez vous tromper. La méthode de la glaire ne fonctionne pas si vous avez une mycose ou une infection. »

Surtout, elle conteste le terme de méthode « naturelle » : « La nature, c’est aucune méthode contraceptive et une grossesse tous les 16 à 18 mois avec des fausses couches, des maladies. C’est des bonnes choses et d’autres moins bonnes. »

Autre soupçon, derrière ces méthodes naturelles se profile souvent le contrôle des autorités religieuses. Comme le catholicisme qui prohibe préservatif et contraception chimique et prône entre autres la méthode Billings. Contrôler la contraception a toujours été un moyen de contrôler la sexualité des femmes et des couples. « Mais on peut aussi dire que les méthodes médicalisées sont un moyen pour le corps médical de contrôler le corps des femmes, rappelle Danielle Gaudry. Donc ce qui compte, c’est comment on choisit. Que les femmes soient capables de débattre avec le médecin ou la sage-femme sans enjeu de pouvoir. »

Et si la contraception idéale était masculine ?

Pourtant la contraception n’a pas toujours été une histoire de femmes. C’est dans les années 70 que la légalisation de la contraception « s’est accompagnée de sa médicalisation et de sa féminisation, explique dans cette intervention la sociologue Cécile Ventola, qui rédige en ce moment une thèse sur la contraception masculine. L’essor massif de la pilule et du stérilet est allé de pair avec la disqualification des méthodes impliquant les hommes comme le retrait ou le coït interrompu. Le nouvel espace médical d’administration de la contraception s’est construit autour des femmes, et particulièrement en France avec une spécialité dédiée, la gynécologie médicale, exercée aujourd’hui à 90 % par des femmes. »

Résultat aujourd’hui, toujours selon ses calculs, seules 15 % des méthodes contraceptives utilisées par la population en France reposent sur les hommes (principalement méthode du retrait et préservatifs), contre la moitié en Grande-Bretagne.

« Pourtant, on a des méthodes qui fonctionnent depuis trente ans », rappelle Pierre Colin de l’Ardecom (Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine).

La plus simple à mettre en œuvre est sans doute la vasectomie. Cette opération simple et pas coûteuse est réalisée sous anesthésie locale en un quart-d’heure dans le cabinet du médecin : elle consiste à couper les canaux déférents par lesquels passent les spermatozoïdes. Elle représente ainsi 21 % des méthodes contraceptives utilisées en Grande-Bretagne, contre seulement 0,2 % en France. « Aucun médecin, aucun gynéco n’en parle », déplore Pierre Colin. L’opération est présentée comme une stérilisation, mais la réparation chirurgicale serait en fait possible dans 80 % des cas.

Autres méthodes disponibles en France, l’injection, une fois par semaine, de testostérone. Mais « seulement deux médecins hospitaliers la prescrivent en France », regrette ce communiqué du Planning familial et de l’Ardecom. Reste qu’elle pose les mêmes questions que pour les femmes : quid des rejets et de la pollution générée par la production de médicaments ? A-t-on envie de financer l’industrie pharmaceutique ?

Le document cite également la méthode thermique, prescrite uniquement au Centre hospitalier universitaire de Toulouse. Elle consiste à porter un sous-vêtement maintenant les testicules près du corps, pour faire monter leur température et diminuer la production de spermatozoïdes.

Enfin, autre espoir, la vasectomie réversible. Un liquide, le vasalgel, serait injecté dans les canaux déférents puis dissous par un second liquide quand l’homme souhaite retrouver sa fertilité. Les tests préalables à des essais sur l’humain devraient être terminés d’ici la fin de l’année. « Mais pourquoi parler toujours des choses qui vont arriver ? s’interroge Pierre Colin. On a déjà des méthodes qui marchent, certaines sans produits chimiques. Alors utilisons-les ! »

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