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Sur la piste du fief de l’Etat islamique

L’analyste irakien Hicham Al-Hachémi décrit le cœur de l’organisation djihadiste, dans une vaste zone désertique à cheval sur la frontière entre la Syrie et l’Irak, loin des lignes de front.

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Publié le 14 septembre 2015 à 19h17, modifié le 15 septembre 2015 à 16h35

Temps de Lecture 4 min.

Capture d'une vidéo de propagande de l'Etat islamique diffusée en juillet 2014, montrant un prêche du leader de l'organisation, Abou Bakr Al-Baghdadi.

La région a été surnommée le « Tora Bora irakien », en référence à la zone montagneuse devenue la place-forte des Talibans pendant la bataille d’Afghanistan, lancée en réponse aux attaques perpétrées aux Etats-Unis le 11 septembre 2001. Cette vaste zone désertique à cheval sur la frontière irako-syrienne, de plus de 400 kilomètres de long entre Al-Baaj dans le nord de l’Irak et Routba près de la frontière jordanienne, est le cœur névralgique du territoire de l’organisation Etat islamique (EI). Faite de vallées encaissées traversées de rivières et de collines parsemées de caves, elle offre aux djihadistes un refuge quasi inaccessible.

C’est dans cette zone stratégique, qui comprend les provinces autoproclamées de Ninive, Dijla, Ifrit et Al-Jazira en Irak, Abou Kamal et Deir ez-Zor en Syrie, et plus particulièrement dans la province irakienne de « Furhat », autour d’Al-Baaj, que le haut commandement de l’EI s’est établi. « Depuis le début de l’expansion de Daech [acronyme arabe de l’EI], la province de Furhat est son fief réel . C’est la province la plus importante pour lui car la région est bien protégée », indique l’analyste irakien, Hicham Al-Hachémi, spécialiste de l’EI.

« Abou Bakr Al-Baghdadi et le haut commandement y vivent dans des endroits isolés, peu connus de tous », nous a indiqué M. Al-Hachémi, lors d’un passage à Paris. L’analyste irakien implanté à Bagdad se veut même plus précis et affirme que le calife autoproclamé de l’EI se trouve à Al-Baaj. Le chef de l’EI y serait en convalescence, selon l’expert, qui assure que ce dernier a été blessé dans une frappe de la coalition internationale, en mars 2015.

Une région incontrôlable

Le Pentagone, s’il avait confirmé au printemps une frappe sur Al-Baaj, a pourtant nié avoir ciblé une personnalité importante de l’EI. « Il est très difficile de retracer leurs trajets car ils sont protégés par plusieurs couches de sécurité et n’utilisent pas de moyens de communication modernes. Leurs femmes leur servent même de messagers », poursuit M. Hachémi. Al-Baghdadi aurait deux épouses. « Pendant sa convalescence, il est secondé par l’émir de l’EI pour la Syrie et l’Irak, Abou Alaa Al-Afari, originaire de Tal Afar », ajoute-t-il.

Seuls les avions de la coalition balaient cette zone située à des centaines de kilomètres des lignes de front. « Depuis 2004 jusqu’à aujourd’hui, aucune puissance militaire n’a réussi à contrôler cette région », indique M. Al-Hachémi. Après l’invasion américaine de l’Irak en 2003 pour chasser le dictateur Saddam Hussein et la montée de l’insurrection d’Al-Qaida en Irak, « les Etats-Unis ont essayé de la contrôler et y ont perdu beaucoup de leurs soldats. Les tribus qui habitent cette région ont une longue histoire de contrebande, surtout d’armes, mais aussi de bétail, de vivres... Ce sont des combattants féroces que même le régime de Saddam Hussein a échoué à contrôler », poursuit-il.

« Les combattants ont épousé les femmes de la région et vivent parmi la population de façon tout à fait normale »

Quand l’EI est apparu dans la région, le 5 janvier 2014, ses combattants n’ont eu à tirer aucune balle. « Les gens les ont accueillis à bras ouverts. Les combattants ont épousé les femmes de la région et vivent parmi la population de façon tout à fait normale », indique M. Al-Hachémi. Lors d’un séjour effectué dans cette région en 2009, il avait observé au sein de la population des pratiques déjà proches de celles prônées par l’organisation djihadiste : le niqab pour les femmes, la barbe et le kamis pour les hommes, l’attribution des noms Oussama (du nom de Ben Laden, l’ancien chef d’Al-Qaida) ou Moussab (du nom d’Al-Zarkaoui, l’ancien chef d’Al-Qaida en Irak) aux nouveau-nés.

Camps d’entraînement

La majorité de la population refuse de travailler pour le gouvernement et considère les chiites comme hérétiques. « Les jeunes des tribus locales se sont convertis au salafisme dans les années 1990. Sous l’influence d’associations saoudiennes, les cheikhs et imams se forment depuis en Arabie saoudite. Ils sont donc presque tous wahhabites », explique M. Al-Hachémi.

Dans les années 2000, Al-Qaida en Irak y avait établi ses camps d’entraînements militaires et des centres islamiques. Aujourd’hui, la région abrite les centres de commandement de l’EI, et de nombreux stocks d’armes et de munitions. Des maisons d’hôte ont été établies pour recevoir les combattants étrangers. La province accueille surtout, selon l’expert, les centres de commandement des bataillons spéciaux, placés sous les ordres directs d’Al-Baghdadi.

Ces cinq bataillons, composés respectivement de 350 à 500 hommes, sont divisés par nationalité et spécialité. L’unité combattante des Libyens est considérée comme la plus loyale. L’unité regroupant des ressortissants du Golfe et du Maghreb s’occupe de la protection des commandants. Les Européens de l’est et les Asiatiques assurent principalement la collecte du butin de guerre, des impôts et le transport des armes. Des Syriens sont chargés de la protection du fief de Rakka, en Syrie. La brigade de libération de Mossoul, composée à 80 % d’Irakiens, est le fer de lance de l’organisation. Elle combat aujourd’hui dans la province d’Hassaké, en Syrie.

Depuis le début des frappes de la coalition en août 2014, 19 des 43 grands chefs de l’EI ont été tués.

Depuis le début des frappes de la coalition en Irak puis en Syrie, en août 2014, 19 des 43 grands chefs de l’EI ont été tués, selon M. Al-Hachémi, qui poursuit : « Ils sont remplacés mais Daech ne dispose pas d’un important vivier de chefs historiques, avec une histoire djihadiste comparable aux chefs d’Al-Qaida. » L’EI regroupe aujourd’hui 100 à 125 000 combattants en Syrie et en Irak, dont 13 à 15 000 étrangers. « Jusqu’à février 2015, entre cinq et dix nouvelles recrues étrangères rejoignaient chaque jour le mouvement », indique-t-il. Les djihadistes français seraient au nombre de 800, principalement basés en Syrie et occupés à des tâches administratives, financières, médiatiques et au recrutement.

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