L'écrivain Denis Tillinac, éditorialiste du très droitier hebdomadaire Valeurs Actuelles, se réclame - en principe - du gaullisme. Il fut longtemps un proche de Jacques Chirac qui lui confia un temps à l'Élysée le secteur Afrique. Corrézien, grande gueule, belle plume, Tillinac incarne la figure de l'intellectuel de droite accepté et reconnu dans les cénacles de gauche. Un cousin certes éloigné, mais membre à part entière de la famille Saint-Germain-des-Prés. Participant cette semaine à la célèbre émission de RTL "On refait le monde", Tillinac a expliqué, avec cynisme et lassitude dans la voix, qu'il allait de soi que le Front National était devenu un parti comme les autres, que Marine Le Pen n'était guère différente de Nicolas Sarkozy ou de Bruno Le Maire, que la diabolisation, ça suffit. Tillinac exprime-t-il tout haut et intelligiblement les aspirations du "peuple de droite", cette France catholique, provinciale, rurale qu'il prétend incarner et défendre? Si c'est le cas, la droite républicaine, la droite modérée, la droite centrale, celle qui est censée revenir au pouvoir a et aura bien du souci à se faire...
L’écrivain légitime l’ignominie banalisée
Un "parti comme les autres"... Il aura suffi d'observer et d'écouter Marine Le Pen en campagne régionale dans l'Essonne pour constater une fois de plus que la "normalisation" n'est qu'une fumisterie, une escroquerie politique et intellectuelle. Pour s'en convaincre, il suffit de lire- et inutile même de relire. Une fois suffit.
-" Dans notre pays, les Français sont les derniers servis. Parfois, quand ils veulent être servis, ça leur coûte de plus en plus cher, alors que ces services sont gratuits pour ceux qui ne nous ont pas demandé notre avis pour s'installer chez nous".
Un exemple parmi tant d'autres de la rhétorique la plus classique, la plus hargneuse de l'extrême-droite, radicalement antihumaniste, xénophobe sans le moindre effort de retenue. Mais la bassesse lepéniste est sans limite. La preuve par ce qui suit...
-"Nous ne voulons plus accueillir d'immigration supplémentaire. Il faut arrêter immédiatement cette folie qui va déstabiliser et ébranler notre pacte social, notre liberté et notre identité. Les migrants vont chercher des emplois que vous n'avez pas, des prestations sociales que vous n'avez plus, les logements que vous recherchez désespérément".
Le ton, les mots, la démagogie, la vulgarité de propos typiquement "lepéniste" (à la mode Le Pen Jean-Marie). Tillinac le gaulliste serait-il devenu sourd? Ou aurait-il perdu le sens de la raison politique et, d'une certaine façon, de la morale en politique? Tillinac le corrézien a-t-il zappé de sa mémoire l'exemple d'un autre Corrézien, le très catholique Edmond Michelet, résistant et ministre du général de Gaulle qui, pas un instant, ne songea à courber l'échine devant l'extrême-droite. Ce à quoi, précisément, succombe Denis Tillinac et quelques autres. Pendant ce temps, sûr de son coup, Marine Le Pen en rajoute.
-"Sans nulle action de la part du peuple français, l'invasion migratoire que nous subissons n'aura rien à envier à celle des invasions barbares du IVe siècle".
Fermer le ban. Celui de l'ignominie au quotidien, l'ignominie banalisée, celle qui pénètre et corrompt à petit feu. Avec l’approbation du si chrétien Denis Tillinac, auteur d'un magnifique Dictionnaire amoureux du catholicisme. Et il n'y voit pas de contradiction. Nous savons que ce n'est pas l'analyse du Pape François.
Fidèle au FN façon Jean-Marie Le Pen
L'idée est désormais si répandue que Marine Le Pen et le Front National ont "évolué", qu'ils se sont "modérés" que les dernières incartades, et les suivantes ne tarderont pas, ne changeront rien à l'affaire. La nouvelle pensée unique veut et exige que le FN ait "changé", qu'il se soit "républicanisé", "modéré", "modernisé", "recentré". Une compilation d'âneries qui font sourire Marine Le Pen. Car elle, elle sait. Elle sait qu'elle triche, qu'elle bidouille et qu'un flanc de la droite républicaine se laisse entortiller - la preuve par Tillinac. Le FN façon Marine Le Pen reste d'une parfaite fidélité à la nature identitaire du FN façon Jean-Marie Le Pen. À deux éléments près, l'un et l'autre d'importance : l'antilibéralisme (ou la patte Florian Philippot, le numéro 2 du parti d'extrême droite) ; la dénonciation de l'antisémitisme névrotique du "vieux" Le Pen. Car son héritière a compris que cette focalisation sur la Shoah et les juifs lui interdirait toute alliance, tout accord, toute entente. Elle a donc choisi de rompre sur ce point précis. Sans pour autant aller jusqu'au terme du processus puisque des antisémites patentés continuent d'être présents et influents au FN, jusque dans son entourage proche.
On ne coupe pas les racines aussi aisément que cela.
