French President Francois Hollande (R) speaks with French Foreign Affairs Minister Laurent Fabius at the Upper Barracca Gardens in Valletta on October 5, 2012, during the "Five-Plus-Five" summit. European and North African leaders held their first summit since the Arab Spring revolts today in Malta, where France, Italy, Portugal and Spain will also hold talks on the euro debt crisis.  AFP PHOTO / VINCENZO PINTO

Avec le recul, la lecture du rapport Fabius, censé permettre aux socialistes d'asseoir leur crédibilité, est édifiante sur les défaillances de leur gouvernance.

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C'est un rapport de 350 pages, intitulé "La mission première année", un ­document secret dont on a beaucoup parlé mais que personne n'a lu. Sa ­rédaction s'achève le 2 novembre 2011 et son contenu - c'est Laurent Fabius qui tient la plume - est à la fois la ­traduction, version réaliste, du projet du Parti socialiste adopté en mai 2011 et un ­vivier d'idées pour le candidat Hollande, qui vient de remporter la primaire socialiste, le 16 octobre. L'Express s'est procuré ce texte, à la fois précis et direct: le futur ministre des Affaires étrangères ne cache pas les difficultés que son camp devra affronter.

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Précis, car le calendrier des réformes à mener (justice, éducation, fiscalité, défense...) est très détaillé, distinguant ce qui doit être fait immédiatement après l'élection, après les législatives de juin 2012, ou durant la première ­année du mandat. Esquissant aussi les grandes lignes du quinquennat. Le contenu de ce travail n'est pas divulgué - le texte n'est distribué qu'à une dizaine de dirigeants - mais son existence, fruit de l'audition des responsables et des experts de l'équipe de campagne, est censée permettre aux socialistes ­d'asseoir leur crédibilité, alors que la droite les accuse d'inexpérience face à un ­Nicolas Sarkozy buriné par trois années de crise. "Même les décrets d'appli­cation figurent dans le rapport", jure-t-on au QG socialiste.

C'est inexact, mais l'intérêt du document est ailleurs: sa lecture aujourd'hui met en lumière les défaillances du quinquennat, la difficulté de François Hollande à dire la vérité, à faire preuve de rapidité. Le candidat dispose d'un programme et d'un mode d'emploi lui permettant de dégainer très vite: il reprend la plupart des mesures à son compte, mais, une fois élu, les applique avec une lenteur dont il paie le prix dans les ­sondages, dès la fin de l'été 2012.

Quid du "chantier constitutionnel"?

Fabius dresse un tableau lucide de la ­situation économique. Il souligne à quel point les prévisions de croissance ­retenues par le projet du PS sont irréalistes (hypothèse annuelle moyenne de 2,5 %!), en suggère d'autres, que le candidat retient en les teintant d'un petit surcroît d'optimisme. L'ancien Premier ministre souligne qu'il faudra supprimer les cadeaux fiscaux de la droite, par souci de justice et pour réduire les ­déficits "ainsi que limiter de nombreuses dépenses". Et il met en garde contre les éventuels effets récessifs de cette politique. "Un plan d'austérité" entraînerait "une forte baisse de la croissance".

Alors Fabius propose de ralentir le rythme de la réduction des déficits ­publics. Le candidat Hollande s'est engagé à les ramener à 3 % du PIB en 2013. Comme Nicolas Sarkozy. Intenable, ­selon Fabius. Il affirme qu'il faut "faire accepter par nos partenaires [européens] le report d'un an", en s'appuyant sur le cadrage financier du PS. Et soumet au candidat Hollande le choix de la date de cette annonce: pendant la campagne présidentielle? Durant les législatives? Ou après les élections? En fait, le président élu attendra... février 2013 pour demander, non pas une, mais deux années de plus pour atteindre les 3 %. Et sollicitera encore deux années supplémentaires en mars 2015.

rapport Fabius présidentielle de 2012

Laurent Fabius imaginait un grand "chantier constitutionnel", qui devait être opéré entre juin 2012 et juin 2013. Il n'en n'a rien été.

© / L'Express

Le questionnement de Fabius pointe un élément clef du quinquennat: dès la campagne, Hollande sait sa promesse irréaliste. Il n'y renonce que très tardivement. Le faire dès l'été 2012 aurait permis de limiter la ponction fiscale qui a torpillé le quinquennat. Mais c'était risqué, la zone euro affrontant toujours la tempête. Le rythme des réformes se révèle bien moins rapide que préconisé, sauf sur les questions internationales (Afghanistan). Alors que le rapport vante un démarrage en trombe, avec "un chantier constitutionnel et neuf lois entre juin 2012 et juin 2013", le début du quinquennat est marqué par une ­poignée de textes seulement. Quid du "chantier constitutionnel"? Il n'a toujours pas abouti. Dans le document, pourtant, le droit de vote des étrangers aux élections locales ou la réforme du statut pénal du chef de l'Etat sont ­censés être adoptés dès... octobre 2012 (voir extrait ci-avant). Laurent Fabius suggère de préférence le recours au référendum.

Deux propositions de gauche qui ne seront pas retenues

Au fil des pages, le cimetière des ­promesses non tenues dans les temps prévus se peuple: on y trouve aussi bien le lancement du processus de fermeture de la centrale de Fessenheim que celui des travaux préparatoires au prélèvement de l'impôt sur le revenu à la source, en juillet 2012. Simple en apparence, "cette réforme majeure ne sera pas facile à expliquer et à mettre en oeuvre". Bien vu: ces travaux sont tout juste au menu du projet de budget pour... 2016!

Toutefois, Hollande ne reprend pas toutes les propositions du document. Fabius se prononce en faveur "du transfert des charges qui pèsent actuellement sur le travail vers une autre assiette (CSG ou autre pour nous, TVA pour la droite)". Durant la campagne, la position de Hollande sur le sujet est tortueuse. Dans L'Express du 11 avril 2012, il affirme que le financement de la ­protection sociale ne doit pas reposer sur le seul travail, mais ajoute: "Est-ce à dire que ce serait aux ménages de payer par de nouveaux impôts les allègements de charges des entreprises? Non [...]" Il fera exactement le contraire avec le crédit d'impôt compétitivité emploi (Cice), lancé en novembre 2012 (une baisse des charges partiellement financée par une hausse de TVA), complété par le pacte de responsabilité. C'est cette politique qui constitue le tournant dit social-libéral du quinquennat, mais que les plus fervents soutiens de Hollande refusent de présenter comme tel. "Il n'y a pas de tournant, car François a toujours pensé cela", dit l'un d'entre eux. Il l'a peut-être pensé, mais ne l'a pas dit aux Français. "La mission première année" posait la ­problématique et proposait même une ­option de gauche pour cette réforme: augmenter la CSG. Hollande a choisi la TVA, comme la droite.

De gauche aussi, cette proposition de Fabius non reprise par le ­candidat: faire passer de 67 à 65 ans l'âge qui "annule la décote". En clair: l'âge qui ­permet de prendre sa retraite sans pénalités même si l'on n'a pas le nombre d'années de cotisation requis. Il est vrai que la mesure coûterait ­plusieurs milliards d'euros... Sans complaisance, l'équipe Fabius pointe les domaines dans lesquels le PS présente un projet trop lacunaire: la santé, l'énergie, l'éducation (François Hollande a dégainé, le 9 septembre, la création de 60 000 postes). Il faut "muscler politiquement le discours envers les fonctionnaires, un électorat (5 millions de voix) favorable bien qu'il ne faille pas négliger la part prise par la droite et le FN (ce dernier mène une politique active de séduction)". Un ­gisement aujourd'hui en déshérence.

Enfin, un nom s'impose au fil des pages: celui de Nicolas Sarkozy, parfois réduit à ses simples initiales, N. S. Avant la bataille, Fabius imagine, avec délectation, les angles d'attaque les plus prévisibles du candidat de la droite: "Je sais ce que c'est que d'agir, décider, faire preuve de courage dans l'adversité. Je ne vois pas ces qualités dans votre CV", fait-il dire à l'adversaire. "Je serai le président qui maîtrisera les flux migratoires et qui refusera les dérives intégristes. Vous serez le président de la régularisation des sans-papiers et d'un Etat faible face à l'islamisme." Ou encore: "Je serai le président de la compétitivité, vous serez le président de la dépense publique." La joute a ses limites et Fabius ne nie pas les difficultés objectives ­auxquelles Sarkozy s'est heurté. En ­particulier dans la relation franco-­allemande: "Comment convaincre A. Merkel d'orientations qu'elle a refusées pour une part à N. Sarkozy?"

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